Création et rédemption, deuxième partie: La fille du marquis. Dumas Alexandre

Création et rédemption, deuxième partie: La fille du marquis - Dumas Alexandre


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entendit-il ces mots? lui donnèrent-ils à penser? entrevit-il le projet d'Éva? se crut-il assez vengé ou, ne l'étant point assez, voulut-il savoir où la retrouver pour prolonger le supplice de celle à qui la veille, pour épargner un soupir, il eût donné sa vie? Le fait est qu'il revint à la fenêtre, s'effaçant de façon à ce que de la fenêtre de l'entresol il pût tout voir sans être vu.

      Éva parut à la porte de l'hôtel et mit un louis dans la main du cocher.

      Un louis d'or, c'était près de 8,000 francs en assignats.

      Il secoua la tête.

      – Comment voulez-vous que je vous rende, ma petite dame? dit le cocher; je n'ai pas de monnaie d'argent, et en assignats je ne suis pas assez riche.

      – Gardez tout, mon ami, dit Éva.

      – Comment! que je garde tout, vous ne me prenez donc pas à la course?

      – Si fait.

      – Mais alors…

      – Je vous donne la différence.

      – Il ne faut pas refuser le bien qui nous tombe du ciel.

      Et il mit le louis dans sa poche.

      Éva était montée dans le fiacre, le cocher referma la portière sur elle.

      – Où faut-il vous conduire, ma petite dame demanda-t-il.

      – Au milieu du pont des Tuileries.

      – Ce n'est point une adresse, cela?

      – C'est la mienne, allez!

      Le cocher monta sur son siége et partit dans la direction indiquée.

      Jacques Mérey avait tout entendu. Il resta un instant immobile et comme hésitant.

      Puis tout à coup:

      – Oh! non! dit-il, moi aussi je me tuerais!

      Et, sans chapeau, il s'élança hors de l'appartement, laissant portes et fenêtres ouvertes.

      VII

      L'INSUFFLATION

      Lorsque Jacques Mérey se trouva sur la place du Carrousel, le fiacre était près de disparaître sous les arcades du bord de l'eau.

      Il s'élança à sa poursuite avec toute la légèreté dont il était capable; mais lorsqu'il arriva sur le quai, la voiture était déjà engagée sur le pont. Vers le milieu du pont elle s'arrêta. Éva en descendit et marcha droit au parapet.

      Jacques Mérey calcula qu'il arriverait trop tard pour l'empêcher de se précipiter. Il se laissa glisser le long du talus et se trouva au bord de la rivière.

      Une forme blanche apparaissait au-dessus du parapet.

      Jacques Mérey mit bas son habit et sa cravate, et s'avança le plus qu'il put vers le milieu de la rivière, sur les bateaux amarrés à la plage.

      Tout à coup il entendit un cri, une blanche vision raya l'ombre, un coup sourd retentit, la rivière se referma.

      Jacques s'élança de manière à couper l'eau et à se trouver en avant du corps; par malheur, la nuit était sombre; on eût dit que la rivière roulait de l'encre.

      Le nageur eut beau ouvrir les yeux, il ne vit rien; mais il sentit à l'agitation de l'eau qu'il ne devait pas être loin d'Éva.

      Il lui fallait respirer.

      Il remonta sur l'eau, vit quelque chose de blanc tourbillonner à trois pas de lui, à la surface de la rivière. Il respira profondément et plongea de nouveau.

      Cette fois, ses mains s'embarrassèrent dans les vêtements d'Éva; il la tenait, il pouvait la soulever à la surface de l'eau; mais c'était sa tête qu'il fallait amener à l'air respirable.

      Ses cheveux flottaient, il la prit par les cheveux et, par un vigoureux coup de pied, il remonta avec elle, et en ouvrant les yeux vit les étoiles.

      Éva évanouie, complètement inerte, ne l'aidait ni ne le gênait.

      Le courant était rapide. Il les avait entraînés tous deux à trente pas du pont.

      Jacques Mérey calculait qu'il pouvait s'aider du courant pour gagner la berge en coupant l'eau diagonalement, lorsqu'il entendit crier derrière lui:

      – Ohé, le nageur!

      Jacques tourna la tête et vit une barque qui venait à lui. Il se soutint et soutint Éva au-dessus de l'eau. La barque, conduite par le courant, arriva à la portée de sa main.

      Il s'y accrocha et tendit Éva à l'homme qui la montait.

      L'homme tira Éva à lui, la coucha dans la barque, la tête haute.

      Puis il aida Jacques à y monter à son tour.

      Jacques s'aperçut alors qu'il n'avait pas de rames, mais seulement l'écope à vider l'eau.

      Avec cette écope il avait godillé, et en godillant il était parvenu à l'endroit où étaient la noyée et le sauveteur.

      Le batelier n'était autre que le cocher, qui, voyant ce qui se passait, était descendu sur la berge, avait sauté dans un bateau, avait détaché la chaîne, mais, ne trouvant pas les rames, enlevées par précaution, s'était servi de l'écope comme d'une godille.

      En continuant la même manœuvre et au bout d'une minute ou deux, il accosta.

      On tira la barque à terre; les deux hommes transportèrent Éva évanouie le long de la berge.

      Arrivé au pont, le cocher alla chercher son fiacre où il l'avait laissé, l'amena sur le quai, à la naissance de l'arche, puis il souleva par les épaules Éva soutenue par Jacques Mérey et l'attira à lui.

      Jacques escalada le talus à son tour, et, prenant Éva entre ses bras, il la transporta dans le fiacre.

      Le cocher demanda l'adresse, comme la première fois; Jacques donna celle de l'hôtel, et le fiacre partit au grand trot.

      À la porte il s'arrêta, Jacques descendit avec Éva et mit sa main à sa poche pour récompenser le cocher; mais celui-ci vit le mouvement, et, écartant le bras de Jacques:

      – Oh! ce n'est pas la peine, dit-il, la petite dame a payé la course, et bien payée!

      Et il partit au petit trot dans la direction de la rue de Richelieu.

      Jacques emporta rapidement Éva et retrouva la porte de sa chambre comme il l'avait laissée.

      Il posa la jeune femme sur un lit et s'assura que la respiration et la circulation étaient suspendues; le sang, ne pouvant plus pénétrer dans les vaisseaux pulmonaires, avait reflué dans les cavités droites du cœur.

      Il commença par poser Éva sur un plan incliné, puis avec un couteau il ouvrit sa robe du haut jusqu'en bas, mit le torse à nu, en l'inclinant sur le côté droit, en lui penchant légèrement la tête et en lui écartant les mâchoires avec la lame du couteau.

      Puis, comme il craignait que cette eau glacée d'où il l'avait tirée n'empêchât la chaleur de revenir, il fit chauffer une couverture de laine du lit, et tandis qu'elle chauffait à la cheminée au dos d'un fauteuil, il déchira le reste des habits qui couvraient le corps toujours inerte de l'asphyxiée.

      Une fois enveloppée d'une couverture bien chaude, Jacques passa aux moyens plus actifs, c'est-à-dire à la respiration artificielle.

      Il commença par des pressions exercées avec la main sur la poitrine et l'abdomen, de manière à simuler l'acte respiratoire.

      Sans donner encore un signe direct d'existence, Éva commença de rejeter une partie de l'eau qu'elle avait prise.

      C'était déjà un grand point.

      Jacques avait préparé sa trousse. Il était décidé, si l'immobilité continuait et si la respiration ne se rétablissait pas, à inciser le tuyau laryngo-trachéal, opération qui n'était point encore connue à cette époque, mais qu'il s'était toujours promis d'appliquer en cas de nécessité.

      Il


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