Création et rédemption, deuxième partie: La fille du marquis. Dumas Alexandre

Création et rédemption, deuxième partie: La fille du marquis - Dumas Alexandre


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lui avait arrachée des mains.

      Cette lettre, elle tremblait, au milieu des événements de la soirée, de l'avoir perdue.

      Elle chercha avec anxiété dans les plis de la robe, dans ceux du corset, dans ceux de la chemise.

      Enfin, elle jeta un cri de joie, elle venait de froisser un papier.

      Ce papier c'était cette lettre bien-aimée, qui tant de fois avait été lue et relue par Jacques, tant de fois avait été baisée par lui.

      Seulement, détrempée par l'eau de la Seine, une partie des caractères s'était effacée.

      C'était un souvenir de plus, souvenir terrible, à ajouter aux doux souvenirs qu'éveillait ce billet.

      VIII

      LA SÉPARATION

      Lorsque, après un quart d'heure d'absence de la chambre d'Éva, Jacques Mérey y rentra, il avait changé de vêtements, et nous dirons presque de visage.

      Son front était encore triste, et l'on sentait que, pour longtemps, sinon pour toujours, il serait perdu dans de sombres nuages; mais sa physionomie, pendant quelques heures pleine de menace et de haine, avait secoué la tempête et avait pris l'aspect d'une morne sérénité.

      La jeune femme jeta sur Jacques un regard inquiet; ce fut lui qui le premier prit la parole.

      – Éva, dit-il, c'était la première fois qu'il l'appelait Éva, elle tressaillit; Éva, vous allez écrire à votre femme de chambre de vous envoyer pour demain matin du linge et des robes. Je me chargerai de faire parvenir votre lettre.

      Mais Éva secoua la tête.

      – Non, dit-elle, c'est la seconde fois que vous me sauvez la vie: la première fois la vie de l'intelligence, la seconde fois celle du corps; autrefois comme aujourd'hui, vous m'avez prise nue à la mort. Je ne veux pas avoir plus de passé aujourd'hui qu'il y a neuf ans; c'est à vous de m'habiller; ce ne sera pas cher; je n'ai besoin ni de linge fin ni de belles robes.

      – Mais que ferez-vous de votre maison et de tout ce qui est dedans?

      – Vous vendrez la maison et tout ce qu'il y a dedans, Jacques, et vous en emploierez le prix à de bonnes œuvres. Vous rappelez-vous, mon ami, que vous disiez toujours que quand vous seriez riche vous feriez bâtir un hôpital à Argenton; l'occasion est venue, ne la laissez pas échapper.

      Jacques regarda Éva, elle souriait du sourire des anges.

      – C'est bien, dit-il, j'approuve votre idée, et dès demain je la mettrai à exécution.

      – Je ne vous quitterai jamais, Jacques. (Jacques fit un mouvement. Éva sourit tristement.) Jamais un mot d'amour ne sortira de ma bouche, Jacques, aussi vrai que vous m'avez sauvé la vie, et, vous le voyez, j'ai déjà cessé de vous tutoyer… Oh! il m'en coûte beaucoup, continua-t-elle en essuyant avec ses draps les grosses larmes qui coulaient de ses yeux; mais je m'y ferai. Ce n'est point assez de me repentir, mon ami; il faut que j'expie.

      – Ne prenons pas d'engagements éternels, Éva. Ils sont, vous le savez, trop difficiles à tenir.

      Elle s'arrêta un instant; le reproche de Jacques lui avait coupé la parole.

      – Je ne vous quitterai que si vous me chassez, Jacques, reprit Éva; est-ce mieux ainsi?

      Jacques ne répondit point; il appuyait son front brûlant sur la vitre de la fenêtre.

      – Que vous restiez à Paris ou que vous retourniez à Argenton, vous avez besoin de quelqu'un près de vous. Si vous vous mariez et que votre femme veuille me garder près d'elle, ajouta-t-elle d'une voix altérée, je serai sa dame de compagnie, sa lectrice, sa femme de chambre.

      – Vous, Éva! n'êtes-vous pas riche, ne vous a-t-on pas rendu tous les biens de votre famille?

      – Vous vous trompez, Jacques, je n'ai rien. Si on me les a rendus, c'est pour les pauvres; moi, je veux vivre du pain que vous me donnerez, m'habiller de l'argent que vous me donnerez; je veux dépendre en tout de vous, mon doux maître, comme j'en dépendais dans la petite maison d'Argenton, sachant que si je dépends de vous, Jacques, vous en serez meilleur pour moi.

      – Nous ferons du château de votre père une maison de refuge pour les pauvres du département.

      – Vous en ferez ce que vous voudrez, Jacques. Pourvu que je trouve ma petite chambre dans la maison d'Argenton, c'est tout ce que je vous demande; vous m'apprendrez à soigner les malades, n'est-ce pas? les pauvres femmes et les petits enfants; puis, s'il y a quelque fièvre contagieuse et que je l'attrape, vous me soignerez à mon tour. Je voudrais mourir dans vos bras, Jacques, car je suis bien sûre d'une chose, c'est qu'avant que je ne meure, quand vous seriez bien sûr que je n'en puis revenir, vous m'embrasseriez et me pardonneriez.

      – Éva!

      – Je ne parle point d'amour, je parle de mort!

      En ce moment l'heure sonna à l'horloge des Tuileries.

      Jacques compta trois heures.

      – Vous rappellerez-vous tout ce que vous venez de dire, Éva? demanda Jacques avec une certaine solennité.

      – Je n'en oublierai pas une syllabe.

      – Vous rappellerez-vous que vous avez ajoute qu'il y avait des fautes pour lesquelles le repentir ne suffisait pas, pour lesquelles il fallait l'expiation?

      – Je me souviendrai de l'avoir dit.

      – Vous rappellerez-vous enfin que vous ferez de la charité même au risque de votre vie?

      – J'ai touché deux fois la mort de la main. Je n'aurai jamais peur de la mort.

      – Dormez sur cette triple promesse, Éva, et demain en vous éveillant vous trouverez sur votre lit tout ce dont vous avez besoin.

      – Bonne nuit, Jacques, dit doucement Éva.

      Jacques, sans répondre, passa dans sa chambre; mais une fois la porte fermée, il répondit par un soupir, en murmurant:

      – Il faut que cela soit ainsi.

      Le lendemain Éva trouva en effet six chemises de fine toile sur une chaise à côté de son lit, et sur son lit deux peignoirs de mousseline blanche.

      Jacques était sorti au point du jour, et avait fait les achats lui-même.

      Une bourse contenant cinq cents francs d'or était déposée sur la table de nuit.

      Pendant toute la matinée les marchandes se succédèrent: couturières, faiseuses de mode, – bonnetières, – toutes venaient de la part de la même personne, qui envoyait à choisir parmi les objets choisis par elle-même.

      À deux heures de l'après-midi le trousseau était complet; mais, chose étrange, ce qui avait fait le plus de plaisir à Éva, c'était l'argent, l'argent étant un signe de dépendance. Et Éva, à quelque titre que ce fût, voulait appartenir à Jacques.

      À deux heures, Jacques revint avec une procuration notariée au nom de mademoiselle Hélène de Chazelay, pour vendre et disposer de tous ses biens meubles et immeubles, à commencer par la maison et les meubles de la rue…

      Il y avait un blanc.

      Éva n'avait qu'à remplir ce blanc et à signer.

      Elle ne voulut pas même lire, rougit en mettant l'adresse, sourit en signant, et rendit la procuration à Jacques.

      – Comment comptez-vous agir avec votre femme de chambre? demanda Jacques.

      – Lui payer son mois, lui donner une gratification et la renvoyer.

      – De quel prix est son mois?

      – Son mois est de 500 francs en assignats, mais je lui donne d'habitude un louis d'or.

      – Elle s'appelle?

      – Artémise.

      – C'est bien.

      Jacques sortit.

      La maison


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