La Conquête de Plassans. Emile Zola

La Conquête de Plassans - Emile Zola


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il n'est venu personne?

      – Non, personne, mon ami, dit Marthe d'un air surpris.

      Il allait continuer, mais il parut se raviser; il piétina encore un instant, sans rien dire; puis, s'avançant vers le perron:

      – Eh bien! Rose, et ce dîner qui brûlait?

      – Pardi! cria du fond du corridor la voix furieuse de la cuisinière, il n'y a plus rien de prêt maintenant; tout est froid. Vous attendrez, monsieur. Mouret eut un rire silencieux; il cligna l'oeil gauche, en regardant sa femme et ses enfants. La colère de Rose semblait l'amuser fort. Il s'absorba ensuite dans le spectacle des arbres fruitiers de son voisin.

      – C'est surprenant, murmura-t-il, monsieur Rastoil a des poires magnifiques, cette année.

      Marthe, inquiète depuis un instant, semblait avoir une question sur les lèvres. Elle se décida, elle dit timidement:

      – Est-ce que tu attendais quelqu'un aujourd'hui, mon ami?

      – Oui et non, répondit-il, en se mettant à marcher de long en large.

      – Tu as loué le second étage, peut-être?

      – J'ai loué, en effet.

      Et, comme un silence embarrassé se faisait, il continua de sa voix paisible:

      – Ce matin, avant départir pour les Tulettes, je suis monté chez l'abbé Bourrette; il a été très-pressant, et, ma foi! j'ai conclu… Je sais bien que cela te contrarie. Seulement, songe un peu, tu n'es pas raisonnable, ma bonne. Ce second étage ne nous servait à rien; il se délabrait. Les fruits que nous conservions dans les chambres, entretenaient là une humidité qui décollait les papiers… Pendant que j'y songe, n'oublie pas de faire enlever les fruits dès demain: notre locataire peut arriver d'un moment à l'autre.

      – Nous étions pourtant si à l'aise, seuls dans notre maison! laissa échapper Marthe à demi-voix.

      – Bah! reprit Mouret, un prêtre, ce n'est pas bien gênant. Il vivra chez lui, et nous chez nous. Ces robes noires, ça se cache pour avaler un verre d'eau… Tu sais si je les aime, moi! Des fainéants, la plupart… Eh bien! ce qui m'a décidé à louer, c'est que justement j'ai trouvé un prêtre. Il n'y a rien à craindre pour l'argent avec eux, et on ne les entend pas même mettre leur clef dans la serrure.

      Marthe restait désolée. Elle regardait, autour d'elle, la maison heureuse, baignant dans l'adieu du soleil le jardin, où l'ombre devenait plus grise; elle regardait ses enfants, son bonheur endormi qui tenait là, dans ce coin étroit.

      – Et sais-tu quel est ce prêtre? reprit-elle.

      – Non, mais l'abbé Bourrette a loué en son nom, cela suffit. L'abbé Bourrette est un brave homme… Je sais que notre locataire s'appelle Faujas, l'abbé Faujas, et qu'il vient du diocèse de Besançon. Il n'aura pas pu s'entendre avec son curé; on l'aura nommé vicaire ici, à Saint-Saturnin. Peut-être qu'il connaît notre évêque, monseigneur Rousselot. Enfin, ce ne sont pas nos affaires, tu comprends… Moi, dans tout ceci, je me fie à l'abbé Bourrette.

      Cependant, Marthe ne se rassurait pas. Elle tenait tête à son mari, ce qui lui arrivait rarement.

      – Tu as raison, dit-elle, après un court silence, l'abbé est un digne homme. Seulement, je me souviens que lorsqu'il est venu pour visiter l'appartement, il m'a dit ne pas connaître la personne au nom de laquelle il était chargé de louer. C'est une de ces commissions comme on s'en donne entre prêtres, d'une ville à une autre… Il me semble que tu aurais pu écrire à Besançon, te renseigner, savoir enfin qui tu vas introduire chez toi.

      Mouret ne voulait point s'emporter; il eut un rire de complaisance.

      – Ce n'est pas le diable, peut-être… Te voilà toute tremblante. Je ne te savais pas si superstitieuse que ça. Tu ne crois pas au moins que les prêtres portent malheur, comme on dit. Ils ne portent pas bonheur non plus, c'est vrai. Ils sont comme les autres hommes… Ah bien! tu verras, lorsque cet abbé sera là, si sa soutane me fait peur!

      – Non, je ne suis pas superstitieuse, tu le sais, murmura Marthe. J'ai comme un gros chagrin, voilà tout.

      Il se planta devant elle, il l'interrompit d'un geste brusque.

      – C'est assez, n'est-ce pas? dit-il. J'ai loué, n'en parlons plus.

      Et il ajouta, du ton railleur d'un bourgeois qui croit avoir conclu une bonne affaire:

      – Le plus clair, c'est que j'ai loué cent cinquante francs: ce sont cent cinquante francs de plus qui entreront chaque année dans la maison.

      Marthe avait baissé la tète, ne protestant plus que par un balancement vague des mains, fermant doucement les yeux, comme pour ne pas laisser tomber les larmes dont ses paupières étaient toutes gonflées. Elle jeta un regard furtif sur ses enfants, qui, pendant l'explication qu'elle venait d'avoir avec leur père, n'avaient pas paru entendre, habitués sans doute à ces sortes de scènes où se complaisait la verve moqueuse de Mouret.

      – Si vous voulez manger maintenant, vous pouvez venir, dit Rose de sa voix maussade, en s'avançant sur le perron.

      – C'est cela. Les enfants, à la soupe! cria gaiement Mouret, sans paraître garder la moindre méchante humeur. La famille se leva. Alors Désirée, qui avait gardé sa gravité de pauvre innocente, eut comme un réveil de douleur, en voyant tout le monde se remuer. Elle se jeta au cou de son père, elle balbutia:

      – Papa, j'ai un oiseau qui s'est envolé.

      – Un oiseau, ma chérie? Nous le rattraperons.

      Et il la caressait, il se faisait très-calin. Mais il fallut qu'il allât, lui aussi, voir la cage. Quand il ramena l'enfant, Marthe et ses deux fils se trouvaient déjà dans la salle à manger. Le soleil couchant, qui entrait par la fenêtre, rendait toutes gaies les assiettes de porcelaine, les timbales des enfants, la nappe blanche. La pièce était tiède, recueillie, avec l'enfoncement verdâtre du jardin.

      Comme Marthe, calmée par cette paix, ôtait en souriant le couvercle de la soupière, un bruit se fit dans le corridor. Rose, effarée, accourut, en bulbutiant:

      – Monsieur l'abbé Faujas est là. II Mouret fit un geste de contrariété. Il n'attendait réellement son locataire que le surlendemain, au plus tôt. Il se levait vivement, lorsque l'abbé Faujas parut à la porte, dans le corridor. C'était un homme grand et fort, une face carrée, aux traits larges, au teint terreux. Derrière lui, dans son ombre, se tenait une femme âgée qui lui ressemblait étonnamment, plus petite, l'air plus rude. En voyant la table mise, ils eurent tous les deux un mouvement d'hésitation; ils reculèrent discrètement, sans se retirer. La haute figure noire du prêtre faisait une tache de deuil sur la gaieté du mur blanchi à la chaux.

      – Nous vous demandons pardon de vous déranger, dit-il à Mouret. Nous venons de chez monsieur l'abbé Bourrette; il a dû vous prévenir…

      – Mais pas du tout! s'écria Mouret. L'abbé n'en fait jamais d'autres; il a toujours l'air de descendre du paradis… Ce matin encore, monsieur, il m'affirmait que vous ne seriez pas ici avant deux jours… Enfin, il va falloir vous installer tout de même. L'abbé Faujas s'excusa. Il avait une voix grave, d'une grande douceur dans la chute des phrases. Vraiment, il était désolé d'arriver à un pareil moment. Quand il eut exprimé ses regrets, sans bavardage, en dix paroles nettement choisies, il se tourna pour payer le commissionnaire qui avait apporté sa malle. Ses grosses mains bien faites tirèrent d'un pli de sa soutane une bourse, dont on n'aperçut que les anneaux d'acier; il fouilla un instant, palpant du bout des doigts, avec précaution, la tête baissée. Puis, sans qu'on eût vu la pièce de monnaie, le commissionnaire s'en alla. Lui, reprit de sa voix polie:

      – Je vous en prie, monsieur, remettez-vous à table… Votre domestique nous indiquera l'appartement. Elle m'aidera à monter ceci.

      Il se baissait déjà pour prendre une poignée de la malle. C'était une petite malle de bois, garantie par des coins et des bandes de tôle; elle paraissait avoir été réparée, sur un des flancs, à l'aide d'une traverse de sapin. Mouret resta surpris,


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