Dictionnaire raisonné de l'architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 9 - (T - U - V - Y - Z). Eugene-Emmanuel Viollet-le-Duc

Dictionnaire raisonné de l'architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 9 - (T - U - V - Y - Z) - Eugene-Emmanuel Viollet-le-Duc


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coupe (fig. 8) indique ce mécanisme si simple. Le bourriquet hissé au niveau du plancher du hourd, on fermait la trappe, on lâchait sur le treuil, et les munitions étaient disposées le long des hourds ou dans la salle supérieure; car on remarquera que cette salle est mise en communication avec le chemin de ronde des hourds au moyen des créneaux.

      Cette salle bien garnie de pierres et les hourds de sagettes et de carreaux, il était possible de couvrir les assaillants de projectiles pendant plusieurs heures. Les mâchicoulis de hourds, aussi saillants, étaient habituellement doubles, c'est-à-dire qu'ils permettaient de laisser tomber des pierres en I et en L. Les matériaux tombant en I ricochaient sur le talus K, et prenaient les assaillants en écharpe (voyez MÂCHICOULIS).

      La figure 9 explique d'une façon claire, pensons-nous, le mode de montage des munitions. Le servant attend que le bourriquet soit hissé au niveau du plancher, pour fermer la trappe et répartir les projectiles où besoin est. En A, est tracée la section horizontale des potelets doubles des hourds au droit des angles, laissant entre eux la rainure dans laquelle s'engagent les masques du chemin de ronde. Le plancher de la salle supérieure, étant à 1 mètre 28 centimètres en contre-bas de l'appui des créneaux, permettait d'approvisionner une quantité considérable de projectiles que les servants, postés dans cette salle, passaient, au fur et à mesure du besoin, aux défenseurs des hourds, de manière à ne pas encombrer leur chemin de ronde. Pendant une attaque même, on pouvait hisser, à l'aide du treuil, de la chaux vive, de la poix bouillante, de la cendre qui aveuglait les assaillants 73 (voyez SIÉGE). On observera que cette tour d'angle, comme toutes celles des défenses de la cité de Carcassonne, interrompt la circulation sur les chemins de ronde des courtines, et force ainsi les patrouilles de se faire reconnaître à chaque tour. D'ailleurs, c'était dans les tours que logeaient les postes de défense, et chacun de ces postes avait à défendre une portion de courtine. La tactique des assaillants consistait à s'emparer d'une courtine en dépit des flanquements, et de se répandre ainsi dans la place.

      Alors les postes des tours s'enfermaient, et il fallait les assiéger séparément, ce qui rendait possible un retour offensif de la garnison et mettait les assiégeants dans une position assez périlleuse. Cependant on voulut, dès le milieu du XIIIe siècle, rendre les parties de la défense plus solidaires, et l'on augmenta le relief des courtines en renonçant ainsi aux commandements considérables des tours. Dans le dernier exemple que nous présentons, le niveau des chemins de ronde des courtines est en N; le commandement de la tour est donc très-prononcé.

      Déjà ces commandements sont moins considérables au château de Coucy, bâti vers 1220 74. Les quatre tours d'angle de ce château sont très-remarquables, au double point de vue de la structure et de la défense. Elles sont pleines dans toute la hauteur du talus. Cinq étages s'élèvent au-dessus de ce talus; deux sont voûtés, deux sont fermés par des planchers, le cinquième est couvert par le comble conique 75.

      Les plans (fig. 10) présentent en A la tour d'angle nord-ouest, au niveau du sol du premier étage du château; en C, au niveau du sol du second étage; en D, au niveau du crénelage supérieur.

      L'étage inférieur, voûté, au niveau du sol de la cour, ne possède aucune meurtrière; c'est une cave à provisions dont la voûte est percée d'un oeil. L'escalier ne monte que du niveau de la cour au sol du quatrième étage, et l'on n'arrivait à l'étage crénelé que par un escalier de bois (échelle de meunier) 76. En g, sont des cheminées; en l, des latrines 77. Une ouverture laissée au centre des planchers permettait de hisser les munitions du rez-de-chaussée au sommet de la tour sur les chemins de ronde. Les meurtrières sont alternées, afin de laisser le moins possible de points morts.

      Les tours du château de Coucy présentent une particularité intéressante, c'est la transition entre le hourdage de bois et le mâchicoulis de pierre 78. Des corbeaux de pierre remplacent les trous par lesquels on passait (comme nous l'avons vu dans l'exemple précédent) les pièces de bois en bascule qui recevaient les chemins de ronde établis en temps de guerre. Ces corbeaux à demeure recevaient alors les hourds 79.

      La figure 11 donne la coupe (sur la ligne ad du plan A) de ce bel ouvrage. Outre les jours des meurtrières, les salles des troisième et quatrième étages possèdent une fenêtre chacune, qui les éclaire. Les munitions étaient montées à l'aide d'un treuil placé dans la salle du quatrième étage, ainsi que le fait voir notre figure, et étaient déposées sur le plancher supérieur mis en communication avec les hourds au moyen des créneaux couverts. Les hourds tracés en G expliquent le système des défenses de bois posées en temps de guerre sur les corbeaux à demeure de pierre, C. Le niveau du chemin de ronde des courtines se trouvant en R, on voit que le commandement de la tour sur ce chemin de ronde était moins considérable déjà que dans l'exemple précédent 80. En E, commence l'escalier de bois qui, passant à travers un des arcs de l'hexagone, montait du quatrième étage au niveau du plancher supé rieur, très-solidement construit pour recevoir la charge d'une provision de projectiles.

      Cette construction est merveilleusement exécutée en assises de 40 à 50 centimètres, et n'a subi aucune altération, malgré le chevauchement des piles. Le talus extérieur descend à 8 mètres en contre-bas du niveau K, sol de la cour. Une élévation extérieure prise en B (voy. le plan), fig. 12, complète notre description. Les hourds sont supposés placés sur une moitié des corbeaux.

      Ces défenses du château de Coucy sont construites au sommet d'un escarpement; leur effet ne devait s'exercer, par conséquent, que suivant un rayon peu étendu, lorsque l'assaillant cherchait à se loger au pied même des murs. Les meurtrières, percées à chaque étage, sont plutôt faites pour se rendre compte des mouvements de l'ennemi que pour tirer. Il s'agissait ici d'opposer aux attaques un obstacle formidable par son élévation et par la défense du couronnement. Sur trois côtés, en effet, le château de Coucy ne laisse entre ses murs et la crête du coteau qu'une largeur de quelques mètres, un chemin de ronde extérieur qui lui-même pouvait être défendu. Un très-large fossé et le gros donjon protégent le quatrième côté 81. Il n'était besoin que d'une défense rapprochée et presque verticale. Mais la situation des lieux obligeait souvent, alors comme aujourd'hui, de suppléer à l'obstacle naturel d'un escarpement par un champ de tir aussi étendu que possible, horizontalement, afin de gêner les approches. Cette condition est remplie habituellement au moyen d'ouvrages bas, d'enceintes extérieures flanquées, dominées par le commandement des ouvrages intérieurs. L'enceinte si complète de Carcassonne nous fournit, à cet égard, des dispositions d'un grand intérêt. On sait que la cité de Carcassonne est protégée par une double enceinte: celle extérieure n'ayant qu'un commandement peu considérable; celle intérieure, au contraire, dominant et cette enceinte extérieure et la campagne 82. Or, l'enceinte extérieure, bâtie vers le milieu du XIIIe siècle par ordre de saint Louis, est flanquée de tours, la plupart fermées à la gorge et espacées les unes des autres de 50 à 60 mètres. Ces tours, qui n'ont qu'un faible commandement sur les courtines, et parfois même qui s'unissent avec elles, sont disposées pour la défense éloignée. Bien munies de meurtrières, elles se projettent en dehors des murs et recevaient des hourdages saillants.

      L'une de ces tours 83, entièrement conservée, présente une disposition conforme en tous points au programme que nous venons d'indiquer.


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<p>73</p>

Quant au plomb fondu, à l'huile bouillante, ce sont là des moyens de défense un peu trop dispendieux pour qu'on les puisse prendre au sérieux. D'ailleurs le plomb fondu, tombant de cette hauteur, serait arrivé en bas en gouttes froides, ce qui n'était pas très-redoutable. Ce n'était que par exception qu'on avait recours à ces moyens de défense. De simples cailloux du poids de 8 à 10 kilogrammes, tombant d'une hauteur de 20 mètres, étaient les projectiles les plus dangereux pour des hommes armés et pavaisés.

<p>74</p>

Il n'est question, bien entendu, que des constructions du commencement du XIIIe siècle, dues à Enguerrand. Les courtines du château de Coucy furent encore exhaussées vers 1400 par Louis d'Orléans.

<p>75</p>

Voyez, pour le système de structure de ces tours, à l'article CONSTRUCTION, la figure 144.

<p>76</p>

Ces escaliers ont été surélevés, sous Louis d'Orléans, jusqu'au niveau des combles.

<p>77</p>

Voyez LATRINES, fig. 1.

<p>78</p>

Voyez DONJON, HOURD, MÂCHICOULIS.

<p>79</p>

Voyez HOURD, PORTE (la porte de Laon à Coucy-le-Château).

<p>80</p>

La partie supérieure du crénelage, détruite aujourd'hui, est restaurée à l'aide des gravures de du Cerceau et de Châtillon.

<p>81</p>

Voyez CHÂTEAU.

<p>82</p>

Voyez ARCHITECTURE MILITAIRE, fig. 11, et SIÉGE, fig. 2.

<p>83</p>

Tour dite de la Peyre, à la gauche de la barbacane de la porte Narbonnaise.