Dictionnaire raisonné de l'architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 9 - (T - U - V - Y - Z). Eugene-Emmanuel Viollet-le-Duc

Dictionnaire raisonné de l'architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 9 - (T - U - V - Y - Z) - Eugene-Emmanuel Viollet-le-Duc


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sont séparées de la salle centrale, qui est voûtée en arête. Au-dessus (fig. 50) est élevée une salle quadrangulaire destinée à l'habitation (plan C).

      Cette salle était la seule qui possédât une cheminée. Elle était éclairée par trois fenêtres et couverte par un plafond de charpente. Le quatrième étage présente également une salle carrée, voûtée en arcs d'ogive, possédant trois petites fenêtres et des meurtrières dont les chambres de tir sont, de même qu'au premier étage, séparées de la salle centrale (plan D). Puis, sur la voûte est disposée la plate-forme, dont la figure 51 donne le plan.

      La partie centrale, immédiatement sur la voûte, est en contre-bas du chemin de ronde, dont le parapet n'est point percé de créneaux, mais seulement de longues meurtrières. Les échauguettes flanquantes possèdent trois étages de meurtrières. Les défenseurs pénètrent dans l'étage inférieur par les portes a, percées un peu au-dessus du niveau de la place d'armes, dans le premier étage par les portes b, et arrivent au troisième étage, à ciel ouvert, par les baies d. De l'escalier à vis on arrive à la place d'armes par la porte c, et au chemin de ronde du crénelage par la porte e. Les chemins de ronde pourtournent en f les échauguettes.

      Une coupe faite sur gh (fig. 52) explique cette intéressante disposition. En A est la salle destinée à l'habitation du seigneur, tous les autres étages étant aménagés pour la défense. Cette tour ne possédait ni hourds ni mâchicoulis; elle se défendait surtout par sa masse, composée d'une excellente maçonnerie de pierre de taille dure de Sainte-Lucie. Les faces étaient à peine flanquées par les échauguettes. Aussi pensons-nous qu'en cas de siége, des mâchicoulis de bois étaient disposés au-dessus du parapet, ou peut-être seulement au-dessus des échauguettes, pour pouvoir découvrir la base de la tour et la défendre. Ce magnifique réduit est un chef-d'oeuvre de structure; les assises, réglées de hauteur, sont choisies dans le coeur de la pierre et reliées par un excellent mortier. Dans cette masse nul craquement, nulle déchirure; c'est un bloc de maçonnerie homogène. Cette place d'armes, pratiquée à un niveau inférieur à celui du chemin de ronde, servait à plusieurs fins. C'était une excellente assiette pour établir des engins à longue portée, mangonneaux ou pierrières, un abri pour les défenseurs et un magasin à projectiles.

      Vers le même temps, c'est-à-dire de 1320 à 1325, était élevée, au château de Curton, en Guyenne (arrondissement de Libourne), une tour-réduit dont le plan présente certaines particularités remarquables. Ce château était plutôt défendu par sa position et son double fossé que par ses ouvrages; seule, la tour principale avait de l'importance 129. Cette tour, dont la figure 53 présente les plans, contenait cinq étages et un cachot, tous voûtés en berceaux chevauchés.

      La seule entrée b, dans la tour, était pratiquée du logis voisin au niveau du second étage A. Par l'escalier à vis on descendait à l'étage au-dessous B, percé de deux meurtrières. Par une trappe c on descendait dans le cachot C, composé de deux étroites galeries se coupant à angle droit et contenant un siége d'aisances. L'escalier à vis montait du second étage A aux trois salles supérieures, bâties sur le même plan, et à la plate-forme D, munie d'un crénelage et de mâchicoulis. Les contre-forts qui épaulent les quatre angles n'avaient d'autre fonction que de donner des flanquements, car les murs de la tour sont assez épais pour n'avoir pas besoin de ces appendices. Si l'on examine le plan général du château 130, on verra en effet que l'angle G forme un saillant que flanquent (incomplétement, il est vrai) les échauguettes voisines. Ce renfort avec saillant avait encore l'avantage de rendre la tâche du mineur beaucoup plus longue et plus difficile. La tour de Curton a d'ailleurs 33 mètres de hauteur, du niveau du sol du cachot à la plate-forme supérieure, et les quatre contre-forts augmentent singulièrement son assiette. Dans la même contrée, il faut citer la tour carrée du château de Lesparre, qui était un réduit couronné par une plate-forme sur voûte 131, un véritable poste, car la surface de ce château en dehors de la tour carrée n'est que de 700 mètres. Beaucoup de ces châteaux de la Guyenne anglaise du XIVe siècle n'ont qu'une très-médiocre étendue, et paraissent plutôt être des forteresses propres à garder le pays que des habitations seigneuriales telles qu'étaient nos châteaux du Nord. Ce n'est pas qu'alors la population de la Gascogne ne fût complétement soumise à la domination anglaise, dont elle n'avait pas à se plaindre et qui fut pour ce pays une ère de prospérité, mais il s'agissait de protéger la Guyenne contre les attaques presque continuelles du roi de France, et ces petits châteaux, nombreux, bien établis au point de vue stratégique, commandant le cours de la Garonne et les débouchements des vallées latérales, étaient plus propres à garder la campagne que ne l'eussent été de vastes forteresses séparées par de grandes distances. Aussi la plupart de ces petits châteaux, bâtis ou restaurés à cette époque, se défendent-ils par leur assiette même, quelques ouvrages peu importants et par des tours-réduits, où des troupes d'hommes d'armes isolées pouvaient se retirer et attendre en sûreté qu'on les vînt dégager; d'où elles pouvaient sortir et surveiller la contrée.

      En Normandie, où la domination anglaise, au commencement du XVe siècle, fut contestée par une grande partie de la population, où il s'agissait non-seulement de protéger le pays contre des ennemis du dehors, mais de se garder contre ceux du dedans, les rares fortifications que les Anglais ont élevées ont un tout autre caractère. Elles tendent à augmenter et à renforcer les places importantes, afin d'avoir des garnisons nombreuses centralisées sur certains points stratégiques. C'est ainsi que le château de Falaise, dont la position était si importante, fut renforcé pendant la domination anglaise, c'est-à-dire de 1418 à 1450, par une grosse tour cylindrique qui formait une annexe au donjon normand du XIIe siècle (fig. 54).

      Le château de Falaise couvre une surface d'un hectare et demi 132; le donjon, composé de bâtiments quadrangulaires juxtaposés, suivant l'habitude normande, était peu élevé et ne commandait pas suffisamment les dehors: les Anglais y ajoutèrent la grosse tour A, dite tour de Talbot, qui renferme six étages, dont un cachot et l'étage de combles. Cette grosse tour-réduit est couronnée par des mâchicoulis avec chemin de ronde. Le crénelage supérieur et le comble n'existent plus depuis les guerres de religion du XVIe siècle. Plusieurs anciens donjons carrés de l'époque romane furent simplement considérés comme des logis à la fin du XIVe siècle et au commencement du XVe siècle, logis que l'on renforçait au moyen de grosses tours annexes. Cette disposition motiva un nouveau programme qui fut suivi, à cette époque, dans des constructions élevées d'un seul jet. On se mit à bâtir des donjons qui consistaient en un logis spacieux habitable pour le seigneur, en tout temps, et l'on flanqua ce logis de fortes et hautes tours commandant les dehors. C'est suivant cette donnée qu'a été conçu le donjon du château de Pierrefonds 133. Sur les dehors, ce donjon est en effet protégé par deux grosses tours cylindriques dont le diamètre est de 15 mètres 50 centimètres hors oeuvre. Ces deux tours, pleines dans la hauteur du talus, pouvant par conséquent défier la sape, renferment trois étages destinés aux provisions et à l'habitation, et un étage supérieur de défenses très-important, couronné par un crénelage double 134.

      Des deux tours, à peu près pareilles dans leurs distributions intérieures, nous donnons celle d'angle, dite tour de Charlemagne 135. Elle contient, au niveau de la cour du château, une cave voûtée, éclairée par deux meurtrières (fig. 55, en A).


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<p>129</p>

Voyez la Guyenne militaire, par M. Léo Drouyun, t. II, p. 158 et suiv.

<p>130</p>

Voyez la Guyenne militaire, t. II, p. 162. M. Léo Drouyn donne, sur cette petite place, de curieux détails auxquels nous engageons nos lecteurs à recourir.

<p>131</p>

Voyez la Guyenne militaire, pl. 132.

<p>132</p>

Voyez CHÂTEAU, fig. 7.

<p>133</p>

Voyez CHÂTEAU, fig. 24, et DONJON, fig. 41, 42, 43 et 44.

<p>134</p>

Ces deux tours avaient été renversées par la mine. Leurs fragments, en quartiers énormes, gisaient sur le sol; c'est à l'aide de ces débris que ces ouvrages ont été restaurés. Les hauteurs d'étages étaient d'ailleurs indiquées par les amorces sur les bâtiments voisins conservés.

<p>135</p>

Chacune des huit tours du château de Pierrefonds portait le nom du preux dont la statue est placée sur le parement extérieur. La statue de Charlemagne remplissait la niche pratiquée au sommet du cylindre de la tour d'angle du donjon. (Voyez la Notice sur le château impérial de Pierrefonds, 4e édition.)