Ce que disait la flamme. Hector Bernier

Ce que disait la flamme - Hector Bernier


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défauts sur lesquels il ne convient pas d'insister, car ils viennent de l'exubérance, de la jeunesse et se corrigeront avec le temps. «Non offendar parvis maculis».

      Maintenant qu'il a jeté d'une façon brillante son nom au vent de la renommée, qu'il s'arrête un temps pour se livrer à l'étude des classiques, qu'il se défie de la production trop facile. Il y a chez notre jeune ami l'étoffé d'un écrivain, et, s'il suit nos conseils, les qualités que révèlent ses premiers romans s'affirmeront avec éclat.

      A. D. DECELLES.

      CE QUE DISAIT LA FLAMME…

       Table des matières

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      AU BAS DES CIMES.

      Jean Fontaine, il y a peu de jours, a reçu le diplôme étiqueté d'un sceau d'or et paraphé d'autographes solennels, Jean Fontaine est médecin. Éprouve-t-il cet épanouissement de tout lui-même qu'il attendait, cette joie d'un homme nouveau, plus fort, enrichi d'une personnalité plus large et moins dépendante? Sans doute, il a connu l'exultation virile de celui qui triomphe, une vague de fierté chaude a submergé son coeur. Mais l'enthousiasme, comme s'épuisant lui-même à force d'être intense tout d'abord, s'est affaibli jusqu'à ne plus faire jaillir en l'âme du jeune homme que des étincelles rares et fugitives. C'est que l'on est tôt rassasié d'un bonheur qu'on ne s'était pas lassé de convoiter longuement. Il faut sans cesse à l'énergie du mirage à l'horizon: le souvenir n'est qu'un incident, l'espérance est la vie même. Aussi, dès que Jean eut fini de parcourir triomphalement les dédales de l'examen jalonné d'obstacles une impression obscure de vide s'était mêlée à son orgueil. Il avait eu il ne sait quel chagrin profond de ne pouvoir plus espérer ce qu'il venait d'obtenir. Conscient que toutes ces choses, les ardeurs laborieuses dont le cerveau s'illumine et les ivresses de conquérir la science, les remords des heures paresseuses et les inquiétudes à sentir les jours se précipiter vers la date obsédante, avaient été en lui de la vie qui cessait de vivre, il avait souffert de leur agonie mystérieuse…

      En ce moment même où ses yeux vaguent sur les villages au loin, le jeune médecin, plus vivement que jamais, regrette les émotions envolées, s'abandonne au besoin de guider sa volonté vers d'éblouissants espoirs. Un instant, la vision de Paris le distrait. Il ira, d'hôpital en hôpital, de conférence en conférence, élargir son domaine de connaissances, affiner son flair à déjouer les maladies sournoises. La préparation du doctorat lui fut un surmenage tel qu'il doit reculer son départ à six mois. Paris et ses merveilles ne rempliront, en somme, qu'une époque vertigineuse: le problème qui le hante aujourd'hui, c'est l'orientation de toute son existence. Gomment, d'un coup d'aile sûr, planer vers l'avenir? Que ne doit-il, en la mêlée des rivaux, peu à peu conquérir une clientèle? Il envie ses confrères qui auront à mener gaillardement la bataille du pain. L'oreille au guet, le coeur frémissant, ils attendront qu'un passant, hypnotisé par l'enseigne longtemps méconnue peut-être, leur apporte la première responsabilité, le premier sou du courage. Dès lors, en avant, la trouée commence! Oh! la griserie des tâches professionnelles, des joies qu'on sème, de l'aisance qui sourit, de la renommée qui accourt! Mais Gaspard Fontaine, le père, est si riche que son fils, prisonnier des douces habitudes, n'en peut secouer la chaîne autour de son âme. Par des fibres sourdes, Jean est attaché à des choses multiples, à des raffinements que beaucoup d'argent seul prodigue. Ce désir de la lutte pour vivre n'est pas sincère, il n'est que la haine de l'oisiveté!

      Souvent, la pensée d'aller, au foyer des pauvres, répandre le sourire là où il y avait des larmes, s'était introduite en l'esprit du jeune québécois. Ramenée par le mystère qui l'une à l'autre joint les idées, elle est plus lucide, elle commande, elle émeut. Pendant quelques minutes, une générosité ardente, mais dont il n'a pas l'héroïsme, le pousse vers le peuple. Quel verdict prononcerait la société québécoise dont l'opinion le faisait esclave? On raillerait ce chevalier des humbles, ce poète de la misère. Et Jean, à la surface de son être, sinon aux profondeurs de lui-même, préférait qu'on ne se moquât pas de lui, approuvait la foule des heureux: on ouvre la main au passage, on ne fait pas de l'aumône, fût-elle celle de l'intelligence et du coeur, toute une carrière.

      Et pourtant, le jeune homme idolâtre la science de la médecine. Il a profondément conscience de l'emprise qu'elle a sur lui. Elle lui procure les meilleures jouissances intellectuelles, attire presque toute sa puissance d'activité, lui promet des études passionnantes. Jusqu'ici, au cours des années universitaires à Lavai, il a plutôt songé, quoique d'une façon imprécise, à s'installer au milieu de la haute bourgeoisie, avenue Sainte-Geneviève ou rue d'Auteuil, avenue des Érables ou ailleurs. Parvenu toqué de tout ce qui brille, son père exigera qu'il orne son logement des meubles les plus richement veinés, qu'il se munisse des instruments les plus irréprochables, qu'il s'entoure des livres les plus célèbres. Jean ne se fait pas d'illusions; parmi autant de praticiens en vogue, la clientèle tarderait à lui venir. Et la perspective de pratiquer la médecine en dilettante, de longtemps se caserner dans la théorie pure, ne le fascine guère. Il ne veut pas acquérir de l'expérience uniquement livresque, il a hâte de se mettre aux prises avec la maladie meurtrière et de lui arracher la vie qu'elle assaille. L'inconnu des forces vitales l'appelle: il veut observer leur délicat mécanisme, ignorer toujours moins la résultante de leurs réactions brusques. A mesure que son imagination s'échauffe, il ne doute plus qu'il n'y ait pour lui, dans cette manière d'utiliser ses facultés cérébrales, une vocation merveilleuse. Il se souvient, d'avoir tout récemment, vibré à la lecture d'une biographie: celle-ci redisait comment un médecin s'était enfermé dans son laboratoire comme dans un cloître et comment, son intelligence acharnée tous les jours aux découvertes scientifiques, il avait trouvé le bonheur et la gloire.

      L'impression est demeurée vivace en lui-même. Cessant d'être un caprice de la mémoire, le rêve se précise, lui révèle tout ce qu'il a de réalisable et de séduisant. Il ne s'attribue certes pas le génie du savant qu'il a tant admiré, ni même des dons vraiment supérieurs, mais l'émotion qui l'envahit est si forte qu'il est vaincu par elle et se laisse entraîner jusqu'aux horizons qu'elle atteint. Une vision magnifique lui dilate le cerveau, elle évoque un laboratoire, le sien, où il travaille, où il est libre, où il est quelqu'un: environné d'instruments subtils, l'atmosphère fleurant bon l'odeur dea substances familières, il épie les manifestations les plus intimes de la cellule animale, scrute l'énigme des microbes, fait subir à des êtres vivants le choc des sérums puissants, découvre la trace d'une loi ignorée, se lance à sa recherche, la traque jusqu'en ses origines, puis la maîtrise, et voilà qu'un spécifique nouveau aura désormais le nom de Jean Fontaine dans la science qui demeure.

      Tout l'élan tumultueux de sa jeunesse le transporte. Il se peut que Jean Fontaine soit dupe de son exaltation, mais elle est loyale et virile. A vingt-cinq ans, il est permis de poser une frange d'or au voile de l'avenir. Et c'est ne pas avoir été jeune que de ne pas avoir été ambitieux. Tout de même, il se demande s'il n'est pas berné par un sot orgueil, dominé par le souci de l'étrange et l'horreur de la banalité.

      Voici qu'il discute son enthousiasme, essaye de le détruire en lui-même. Du fait qu'il veut faire produire à son individualité un maximum d'efforts isolés, résulte-t-il de l'égoïsme, de la fatuité mesquine? Sans avoir une culture précisément vaste, il est capable d'élever sa pensée, d'éprouver des aspirations hautes. Les échos de la grande joute moderne entre les devoirs solidaires et l'individualisme effréné se sont prolongés jusqu'à lui. Fier d'appartenir à la race canadienne-française, il est convaincu qu'il ne peut se désintéresser d'elle et qu'elle a besoin de son apport à la richesse intellectuelle et morale qu'elle accumule. Cet idéal nouveau, que toute son âme aime déjà, s'épure et s'ennoblit, et c'est à la race qu'il offre l'honneur de tout ce qu'il accomplira par lui d'oeuvres durables.

      Il


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