L'argent des autres: Les hommes de paille. Emile Gaboriau

L'argent des autres: Les hommes de paille - Emile Gaboriau


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poursuivait-il, que de vous abandonner ainsi. Quelle séparation! Ah! la mort serait plus douce. Quel souvenir garderez-vous de moi? Certes, je suis bien coupable, mais non comme vous le pensez. J'ai été trahi. Je vais payer pour tous. Si du moins vous saviez la vérité! Mais la saurez-vous jamais! Nous ne nous reverrons plus...

      Désespérément, sa femme s'attachait à lui.

      —Ne parle pas ainsi, disait-elle. Où que tu trouves un asile, j'irai te rejoindre. La mort seule doit nous séparer. Eh! que m'importe ce que tu as fait et ce que dira le monde? Je suis ta femme. Nos enfants viendront avec moi. Nous passerons en Amérique, s'il le faut; nous changerons de nom, nous travaillerons...

      On entendait à la porte extérieure des coups de plus en plus rudes, et la voix de M. Desormeaux essayant de gagner encore quelques instants.

      —Il n'y a pas à hésiter, dit Maxence.

      Et triomphant des dernières résistances de son père, il lui attacha autour des reins l'extrémité des draps.

      —Je vais vous laisser glisser, père, lui disait-il, et, dès que vous aurez touché le sol, vous déferez le noeud... Prenez garde aux fenêtres du premier... Défiez-vous du concierge, et, une fois dans la rue, surtout, ne marchez pas trop vite... Gagnez le boulevard, où vous serez plus vite perdu dans la foule.

      Les coups à la porte redoublaient. On allait l'enfoncer évidemment, si M. Desormeaux ne se décidait pas à ouvrir.

      La lumière fut éteinte. Aidé de sa fille, M. Favoral se hissa sur l'appui de la fenêtre, pendant que Maxence retenait les draps à deux mains.

      —Je t'en conjure, Vincent, insista encore Mme Favoral, écris-nous. Mon Dieu! je ne vivrai pas, tant que je ne te saurai pas en sûreté...

      Maxence, doucement, lâchait les draps; en deux secondes, M. Favoral eut atteint le pavé de la cour.

      —J'y suis!... fit-il.

      Le jeune homme se hâta de remonter les draps qu'il jeta sous le lit. Mais Mlle Gilberte était restée à la fenêtre assez pour reconnaître la voix de son père demandant le cordon et pour entendre se refermer la lourde porte de la maison voisine.

      —Sauvé! dit-elle.

      Il était temps. M. Desormeaux venait d'être contraint de céder, le commissaire de police entrait...

       Table des matières

      Ce ne sont pas, d'ordinaire, les premiers venus, les commissaires de police de Paris, et si Polichinelle les rosse, c'est qu'il leur a plu d'être rossés.

      Sous leur titre modeste se dissimulent la plus grave peut-être des magistratures, presque la seule que connaisse le peuple, un pouvoir énorme et une influence si décisive que l'homme d'État le plus sensé du règne du tyran Louis-Philippe, osait dire un jour à la tribune: «Donnez-moi à Paris vingt bons commissaires de police, et je vous supprime tout gouvernement; bénéfice net, cent millions.»

      Parisien par excellence, le commissaire a eu le temps d'étudier le pavé de sa ville, lorsqu'il n'était encore qu'officier de paix. L'envers sombre des plus brillantes existences n'a plus de mystères pour lui. Les confidences les plus étranges, il les a reçues. Il a écouté les aveux les plus inouïs. Il sait jusqu'où l'humanité peut descendre, et ce qu'il y a d'aberrations au fond des cerveaux en apparence les plus sains. L'ouvrière que son mari bat et la grande dame que son mari vole se sont adressées à lui. C'est lui qu'ont été chercher le boutiquier que sa femme trompe et le millionnaire victime d'un chantage. A son bureau, confessionnal laïque, toutes les passions fatalement aboutissent. C'est chez lui que se lave en famille le linge sale de deux millions d'habitants.

      Un commissaire de police de Paris qui, après dix ans d'exercice, garderait une illusion, croirait à quelque chose au monde ou s'étonnerait de quoi que ce soit, ne serait qu'un imbécile.

      S'il peut encore être ému, c'est un brave homme.

      Celui qui se présentait chez M. Favoral était d'un certain âge déjà, plus froid que glace, et néanmoins bienveillant, de cette bienveillance banale qui effraie, comme la politesse des bourreaux au moment de la toilette.

      Il ne lui fallut qu'un regard de ses petits yeux clairs pour déchiffrer la physionomie de tous ces bourgeois, debout autour de la table bouleversée.

      Et clouant d'un geste, sur le seuil, les agents qui l'accompagnaient:

      —Monsieur Vincent Favoral? demanda-t-il.

      Les hôtes du caissier, M. Desormeaux excepté, étaient frappés d'hébétement. A chacun d'eux il semblait qu'il rejaillissait quelque chose sur lui de la honte de cette invasion policière. Les dupes qu'on surprend dans les tripots clandestins ont de ces attitudes humiliées.

      Enfin, non sans effort:

      —M. Favoral n'est plus ici, répondit M. Chapelain, l'ancien avoué.

      Le commissaire de police tressaillit.

      Tandis qu'on parlementait avec lui à travers la porte, il avait bien compris qu'on ne cherchait qu'à gagner du temps, et s'il n'avait pas fait sauter la serrure d'un coup d'épaule, c'est qu'il était retenu par le nom de M. Desormeaux qu'il connaissait, et encore plus par le titre de M. Desormeaux, chef de bureau au ministère de la justice.

      Mais ses soupçons n'allaient pas au delà de la destruction de quelques papiers compromettants. Et en réalité:

      —Vous avez fait évader M. Favoral, messieurs? dit-il.

      Personne ne répondit.

      —C'est un aveu, fit-il. Très-bien. Par où s'est-il enfui?

      Toujours pas de réponse. M. Desclavettes eut ajouté quelque chose de plus aux quarante-cinq mille francs dont il venait d'apprendre la perte, pour être, avec Mme Desclavettes, à cent lieues de là.

      —Où est Mme Favoral? reprit le commissaire de police, visiblement bien renseigné. Où sont Mlle Gilberte et M. Maxence Favoral?

      Le silence persista. Nul dans la salle à manger ne savait ce qui avait pu se passer de l'autre côté, et le moindre mot pouvait être une trahison.

      Alors, le commissaire s'impatienta.

      —Prenez une lampe, dit-il aux agents restés sur la porte, et éclairez-moi, nous allons bien voir...

      Et sans l'ombre d'une hésitation, car, de même que les filles et les voleurs, les hommes de la police semblent avoir ce privilège d'être partout chez eux, il traversa le salon et arriva à la chambre de Mlle Gilberte juste comme la jeune fille se retirait de la fenêtre.

      —Ah! c'est par là qu'il s'est échappé! s'écria-t-il.

      Et il s'y précipita à son tour, et y resta accoudé assez de temps pour bien examiner le terrain et se rendre compte de la situation de l'appartement.

      —C'est évident, dit-il enfin, cette fenêtre donne sur une cour voisine...

      Il disait cela à un de ses agents, lequel ressemblait furieusement au domestique questionneur de l'après-midi.

      —Au lieu de recueillir tant de renseignements oiseux, ajouta-t-il, que ne vous informiez-vous exactement des issues de la maison...

      Il était joué, et cependant il n'en témoignait ni dépit, ni colère. Il ne semblait nullement songer à faire courir après le fugitif. Sur le visage de Maxence et de Mlle Gilberte, et encore plus dans les yeux de Mme Favoral, il avait lu que pour le moment ce serait inutile.

      —Examinons toujours les papiers, reprit-il.

      —Les papiers de mon mari, reprit Mme Favoral, sont tous dans son cabinet.

      —Veuillez


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