Correspondance de Chateaubriand avec la marquise de V. François-René vicomte de Chateaubriand

Correspondance de Chateaubriand avec la marquise de V - François-René vicomte de Chateaubriand


Скачать книгу
LXX

       LXXI

       LXXII

       LXXIII

       LXXIV

       LXXV

      PRÉFACE

      Dans un château des environs de Viviers, propriété séculaire de sa famille, demeurait, en l'année 1827, une femme d'une sensibilité délicate et de l'esprit le plus distingué, la marquise de V… Née en 1779, elle avait épousé à quinze ans un gentilhomme du Languedoc, d'excellente maison, lui aussi; et elle avait eu de lui un fils, son unique enfant. Mais, en 1827, elle demeurait seule dans son château du Vivarais. Son mari, entré dans l'administration sous l'Empire, habitait Toulouse, où il remplissait les fonctions d'inspecteur des douanes. Son fils, officier de chasseurs, avait sa garnison à l'autre bout du royaume. De telle sorte que, dans sa solitude, Mme de V… pouvait entretenir à loisir le culte qu'elle avait voué depuis sa jeunesse à l'auteur du Génie du Christianisme. Elle avait été de celles que l'apparition de ce livre, jadis, avait affolées d'enthousiasme[1]: toujours, depuis lors, elle continuait à être partagée entre son désir de connaître Chateaubriand et la crainte d'importuner celui-ci ou de lui déplaire. Déjà en 1816, profitant d'un séjour à Paris, elle avait écrit à son grand homme; puis, au dernier moment, elle avait imaginé un prétexte pour se dispenser de le rencontrer. Onze ans plus tard, à propos de quelques mots lus dans le Journal des Débats sur une indisposition de Chateaubriand, elle s'enhardit à lui écrire de nouveau; et, cette fois, sa lettre fut le point de départ d'une correspondance qui devait durer sans interruption près de deux ans, jusqu'au mois de juin 1829.

      [Note 1: «Je serais embarrassé de raconter avec une modestie convenable comment on se disputait un mot de ma main, comment on ramassait une enveloppe écrite par moi, et comment, avec rougeur, on la cachait, en baissant la tête, sous le voile tombant d'une longue chevelure.» (Chateaubriand, Mémoires d'Outre-Tombe.)]

      Au moment où s'ouvrit cette correspondance, Chateaubriand traversait une des périodes les plus tristes et les plus inquiètes de sa vie. Il avait perdu, peu de mois auparavant, sa vieille amie Mme de Custine. Mme de Chateaubriand, très souffrante elle-même, lui faisait sentir plus vivement que jamais l'incompatibilité naturelle de leurs caractères. Ruiné, dépossédé de toute influence politique, réduit à une opposition hargneuse et rebutante, toujours plus ennuyé des autres et de lui-même à mesure qu'il découvrait davantage son inutilité, René se trouvait dans une disposition morale qui, sans doute, lui rendit plus sensible l'hommage imprévu de la marquise de V… Le fait est qu'il y répondit aussitôt avec une passion extraordinaire, se livrant comme il se livrait à peine à ses plus intimes confidents. C'est ainsi que s'engagea, entre lui et son «inconnue», un véritable petit roman, dont aucun de ses biographes ne paraît avoir soupçonné l'existence, et que, grâce à une pieuse précaution de Mme de V…[2], nous pouvons aujourd'hui mettre tout entier sous les yeux du public.

      [Note 2: «Quand mes lettres sont faites, je les copie telles qu'elles sont, et les joins aux vôtres. Tout ce que j'ai écrit à vous et de vous m'est ainsi resté.» (Mme de V… à Chateaubriand, lettre du 16 décembre 1828.) On sait que Chateaubriand avait l'habitude de détruire aussitôt toutes les lettres de femmes qu'il recevait.]

      Disons-le tout de suite: ce qui donne à ce roman un intérêt, un piquant très particulier, c'est que la marquise de V… est restée, presque jusqu'au bout, une «inconnue» pour Chateaubriand. Celui-ci, pendant tout le temps qu'ont duré leurs relations, a ignoré l'âge et la figure de sa correspondante. Il y a eu là un mystère, et, à la suite de ce mystère, un malentendu, qui seuls peuvent faire comprendre la vraie signification des lettres qu'on va lire. Et le mystère était né du hasard; et si, peut-être, Mme de V… n'a pas fait absolument tout ce qui était en son pouvoir pour dissiper le malentendu, nous ne croyons pas que personne, ayant lu ses lettres, trouve jamais le courage de le lui reprocher.

      Personne n'aura jamais le courage de lui reprocher que, lorsque l'homme qu'elle adorait a enfin daigné s'enquérir d'elle, elle ne lui ait pas nettement déclaré qu'elle n'était pas la jeune femme qu'il semblait supposer. Elle avait alors près de cinquante ans; elle aurait pu le dire à Chateaubriand, et ne le lui a pas dit; on sent qu'elle n'a pas eu la force de s'y résigner. Mais, on le sent aussi, elle a cruellement souffert de ce malentendu qu'elle n'osait dissiper. Sans cesse, et de mille façons les plus touchantes du monde, elle s'efforce de suggérer à Chateaubriand qu'elle ne saurait attendre de lui qu'une amitié toute fraternelle. Tantôt elle le gronde de sa familiarité, tantôt elle projette de ne plus lui écrire; elle va même jusqu'à le prier de se renseigner sur elle auprès d'amis communs. Et le poète s'obstine dans ses illusions, avec une insistance dont on devine que la pauvre femme est à la fois effrayée et ravie. «Votre écriture est toute jeune, lui dit-il, la mienne est vieille comme moi.» Il est certain de retrouver en elle, quand il la verra, «une image de femme qu'il s'est faite depuis sa jeunesse», et qu'il «n'a encore rencontrée nulle part». Quand elle lui demande de «ne penser à elle que comme à une personne simple et bonne qui l'aime de tout son cœur», il l'accuse de vouloir «commencer une correspondance orageuse». Et il achète une carte de France, pour y regarder l'endroit où demeure «Marie»; et il l'invite à venir avec lui à Rome; et il lui parle des longues années «qui seront pour elle, et non pour lui qui s'en va». Mais surtout il veut la voir; c'est comme le refrain de toutes ses lettres: «Venez à moi!… Il faut que je vous voie!»

      Et d'autant plus Mme de V… a peur de se laisser voir. L'affection de Chateaubriand lui est désormais devenue si nécessaire qu'elle s'épouvante à l'idée de la perdre. «Ma vie, lui écrit-elle un jour, s'est passée tout entière à désirer votre affection et à fuir votre présence.» Ou plutôt elle désire de toute son âme la présence de son ami: elle rêve de le rencontrer aux eaux où il doit aller, de l'avoir près d'elle dans son château, de se promener avec lui sous le mail de l'Infirmerie Marie-Thérèse; mais, dès que l'occasion s'offre à elle de réaliser un de ces rêves, elle hésite, elle ajourne, elle invente un prétexte pour rester «inconnue» quelque temps encore. Que d'angoisses il y a en elle, dont chacune de ses lettres nous apporte l'écho! Et comme ses lettres nous sont aujourd'hui expressives et touchantes, avec leurs contradictions, leurs alternatives de confiance et de désespoir, avec ce gracieux déploiement d'images et de style par où elle s'efforce de se gagner, dans le cœur de son «maître», une estime assez forte pour pouvoir survivre aux désillusions de l'amour! «Pourquoi donc, lui demande-t-elle naïvement, pourquoi ne pouvez-vous m'aimer par mes lettres, comme je vous aime par vos livres?»

      Mais Chateaubriand s'obstine à ne pas la comprendre. Il ne voit, dans toute cette conduite, qu'un caprice, peut-être une ruse pour piquer davantage sa curiosité. Et, en effet, sa curiosité se pique sans cesse davantage, pendant les premiers mois de la correspondance. Il écrit lettre sur lettre, du ton à la fois le plus tendre et le plus sincère. Lui dont Mme de Duras disait «qu'il ne répondait jamais rien qui eût rapport à ce qu'on lui écrivait», il n'y a pas dans les lettres de Mme de V… un seul passage où il ne prenne à cœur de répondre. Puis, peu à peu, on sent que sa curiosité commence à se fatiguer. La chute du cabinet Villèle vient de lui rendre l'espoir d'un grand rôle politique: il refuse des offres de ministères, il se fait nommer ambassadeur à Rome: une vie nouvelle s'ouvre devant lui, qui ne lui laisse plus guère de loisirs pour échanger des rêves et des confidences avec une «sœur» qu'il n'a jamais vue.

      Il continue cependant à solliciter les lettres de son inconnue; il continue à lui dire: «Il faut que je vous voie!» Mais il le lui dit avec moins d'impatience; et sa pauvre «Marie», qui naguère le priait de ne penser à elle que comme à une bonne et simple


Скачать книгу