Amours fragiles. Victor Cherbuliez

Amours fragiles - Victor Cherbuliez


Скачать книгу
>

       Victor Cherbuliez

      Amours fragiles

      Le roi Apépi—Le bel Edwards—Les inconséquences de M. Drommel

      Publié par Good Press, 2020

       [email protected]

      EAN 4064066086503

       LE ROI APÉPI

       I

       II

       III

       IV

       V

       VI

       LE BEL EDWARDS

       I

       II

       III

       IV

       LES INCONSÉQUENCES DE M. DROMMEL

       I

       II

       III

       IV

       V

       VI

       Table des matières

       Table des matières

      Un soir, en sortant de son cercle, où il avait dîné, le marquis de Miraval trouva chez lui une lettre de sa nièce, Mme de Penneville, qui lui écrivait de Vichy:

      «Mon cher oncle, les eaux m'ont fait du bien; j'avais tout lieu jusqu'aujourd'hui d'être satisfaite de ma cure; mais le bon effet que j'en attendais sera compromis, je le crains, par une fâcheuse nouvelle que je reçois à l'instant et qui me cause plus de trouble, plus de tracas que je ne puis vous le dire. Les médecins déclarent que le premier devoir des personnes qui souffrent d'une hépatite chronique est de ne point se faire de soucis; je ne m'en fais pas, mais on m'en donne. Je me ronge l'esprit en pensant à une certaine Mme Corneuil, c'est bien ainsi qu'on la nomme. Je n'avais jamais entendu parler de cette femme, et je la déteste sans la connaître. Vous avez toujours été fort curieux et fort répandu. Mon cher oncle, je suis sûre que vous êtes au fait; apprenez-moi bien vite qui est Mme Corneuil. Cela m'importe beaucoup; je vous expliquerai pourquoi.»

      Le marquis de Miraval était un ancien diplomate, qui avait commencé sa carrière sous le règne de Louis-Philippe et qui sous l'Empire avait rempli avec honneur plusieurs postes secondaires, dont s'était contentée son ambition. Quand la révolution du 4 septembre l'eut mis à la retraite, il prit son parti en philosophe. Il ne souffrait pas comme sa nièce d'une hépatite chronique; son foie et sa bile ne l'incommodaient point. Il avait de la santé, un estomac de fer, bon pied, bon oeil, et deux cent mille livres de rente, ce qui n'a jamais rien gâté. Comme il voyait le bon côté de toute chose, il se félicitait d'être parvenu à l'âge de soixante-cinq ans en conservant tous ses cheveux, qui à la vérité étaient blancs comme neige; mais il ne s'avisait point de les teindre. Ayant l'esprit et le caractère bien faits, il estimait que la nature a le génie de l'à-propos, qu'elle sait mieux que nous ce qui nous convient, qu'elle est après tout un bon maître et en tout cas un maître tout-puissant, qu'il est inutile de vouloir la contrarier et ridicule de disputer contre elle, qu'au surplus tous les âges ont leurs plaisirs, qu'après avoir vécu tant bien que mal il n'est pas désagréable d'employer quelque dix années à regarder vivre les autres, en riant sous cape de leurs sottises et en se disant: «Je n'en fais plus, mais je les comprends toutes.»

      S'il n'en voulait pas à la vieillesse d'avoir blanchi ses abondants cheveux couleur noisette, dont jadis il avait tiré quelque vanité, le marquis pardonnait facilement aux révolutions d'avoir interrompu avant le temps sa carrière. On a toujours vingt-quatre heures pour maudire ses juges; après avoir soulagé son dépit par quelques épigrammes bien décochées, M. de Miraval s'était bientôt consolé d'un événement qui le condamnait à n'être plus rien dans l'État, mais qui en revanche lui avait rendu son indépendance. La liberté avait toujours été pour lui le plus précieux des biens; il jugeait que l'homme heureux est celui qui s'appartient et gouverne sa vie à sa façon. C'est pour cela qu'après avoir été marié pendant deux ans il avait résolu de rester veuf. En vain le pressait-on de convoler, il avait répondu comme un peintre célèbre: «Est-il donc si agréable, en rentrant chez soi, d'y trouver une étrangère?» Il aimait mieux aller chercher les étrangères chez elles, et souvent il en avait été bien accueilli; mais il n'avait jamais pris les femmes au grand sérieux; il était un peu sceptique à leur endroit, et il les avait quittées avant qu'elles le quittassent. A cinquante ans, il avait enrayé; à soixante, il avait dételé. Le marquis de Miraval était un sage, d'autres diront que c'était un égoïste; c'est une distinction qui n'est pas toujours facile à faire.

      Qu'il fût un égoïste ou un sage, le marquis de Miraval avait pour sa nièce, la comtesse de Penneville, une sincère affection, et il se fit un devoir de répondre à sa lettre presque courrier par courrier; il ne faut pas faire attendre les hépatiques. Sa réponse était ainsi conçue:

      «Ma chère Mathilde, je regrette infiniment qu'on te dérange dans ta cure en te donnant des désagréments et des soucis; c'est la pire des maladies, quoiqu'on n'en meure pas. Mais de quoi donc s'agit-il et de quoi se mêle Mme Corneuil? que peut-il y avoir entre cette femme que tu ne connais pas et la comtesse de Penneville? Je demande un prompt éclaircissement. En attendant, puisque tu le désires, je vais t'expliquer de mon mieux qui est Mme Corneuil, qu'au demeurant je n'ai jamais vue; mais je connais à la rigueur des gens qui la connaissent.

      «Se peut-il bien, ma chère Mathilde, que jusqu'à ce jour tu n'aies pas entendu parler de Mme Corneuil? J'en suis fâché; cela prouve que tu es une femme sans littérature, une femme qui ne lit rien, pas même la Gazette des tribunaux. Ne va pas t'imaginer là-dessus que Mme Corneuil soit une recéleuse ou une empoisonneuse, ni qu'elle ait jamais comparu en cour d'assises; mais, il y a de cela sept ou huit ans, elle s'est séparée de M. Corneuil. Cette affaire fit quelque


Скачать книгу