Amours fragiles. Victor Cherbuliez

Amours fragiles - Victor Cherbuliez


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tranquille de la terre, c'est toi qui tout à coup t'avises de jeter l'épouvante dans le sein de ta famille par une décision!...

      —Extravagante et bizarre, interrompit Horace.

      —Puisque je t'ai dit que j'avais retiré ces deux mots! Mais, oui ou non, ce projet de mariage ne ressemble-t-il pas à un coup de tête?

      —Dois-je vous répondre article par article? s'écria-t-il, ou préférez-vous me réciter d'abord votre discours tout entier d'une seule haleine?

      —Non, ce serait trop fatigant. Réponds tout de suite.

      —Eh bien! mon cher oncle, sachez que vous ne vous êtes jamais mépris sur mon compte, et que ce prétendu coup de tête est précisément l'acte le plus sensé, le plus réfléchi que m'ait jamais inspiré mon bon génie, un acte où j'ai mis à la fois tout mon coeur et toute ma raison.

      —Quoi donc! tu me défendras de m'étonner que l'héritier d'un beau nom et d'une belle fortune, qu'un comte de Penneville, qui pouvait choisir dans son monde parmi cinquante jeunes filles vraiment dignes de lui, refuse tous les partis que sa mère lui proposait et qu'il se ravise subitement pour épouser... qui? une madame... je t'en prie, Horace, comment s'appelle-t-elle? Je ne peux jamais retenir ce diable de nom.

      —Elle s'appelle Mme Corneuil, pour vous servir, répliqua Horace d'un ton pincé. Je suis désolé que son nom vous déplaise, mais ne vous donnez pas la peine de l'incruster dans votre mémoire. Dans deux mois d'ici, vous l'appellerez tout simplement la comtesse Hortense de Penneville.

      —Peste! comme tu y vas! Ce n'est pas encore fait.

      —Nous avons échangé nos paroles, mon oncle. Tenez la chose pour faite, car je vous défie bien de la défaire.»

      M. de Miraval remplit et vida de nouveau son verre; puis il reprit:

      «Ne t'échauffe pas, ne t'emporte pas. Je ne voudrais pour rien au monde te désobliger; mais je suis si étonné, si surpris... Dis-moi, qu'est-ce donc que cette statuette en faïence bleue coiffée d'un grand nimbe, à la taille fine, au museau de chatte, qui tient dans sa main droite je ne sais quelle façon de guitare?

      —Ce n'est pas une guitare, mon oncle, c'est un sistre, symbole de l'harmonie du monde. Eh quoi! vous ne reconnaissez pas dans cette statuette la déesse Sekhet, la Bubastis des auteurs grecs, qu'on avait surnommée la grande amante de Ptah, divinité tour à tour bienfaisante et vengeresse, qui, selon toute apparence, représentait la radiation solaire dans sa double fonction?

      —Mille excuses, je crois me la remettre. Et cette rose qu'elle semble flairer d'un air malveillant... Ah! cette rose, je n'ai plus besoin de demander d'où elle vient.

      —Eh! oui! elle m'a été donnée par cette femme dont il est impossible de se rappeler le nom.

      —Mais permets, je le sais très bien, ce nom... Mme Corneuil... N'est-ce pas Corneuil? Eh bien! mon doux ami, ne te semble-t-il pas que la déesse Sekhet ou Bubastis, qui représente la radiation solaire, attache des yeux courroucés, flamboyants d'indignation sur la rose pourpre, et qu'elle maudit la rivale que tu as eu l'insolence de lui préférer? Prends-y garde, les roses se fanent; les roses et celles qui les donnent ne vivent qu'un jour; les déesses sont immortelles et leurs rancunes aussi.

      —Rassurez-vous, mon oncle, répliqua Horace en souriant. La déesse Sekhet regarde cette fleur d'un oeil fort doux. Si vous l'interrogiez, elle vous dirait: Les cinquante héritières que vous avez proposées au comte de Penneville sont toutes ou la plupart de sottes créatures, à l'esprit court et futile, uniquement occupées de chiffons et de misères; aussi je l'approuve fort d'avoir dédaigné ces poupées et de vouloir épouser une femme comme il y en a peu, une femme dont l'intelligence est aussi distinguée que son coeur est aimant, une femme qui adore l'Égypte et à laquelle il tarde d'y retourner, une femme qui ne sera pas seulement pour votre neveu la plus douce des sociétés, mais qui s'intéressera passionnément à ses travaux, qui l'aidera de ses conseils, qui sera la confidente de toutes ses pensées...

      —Et qui méritera d'être un jour de l'Institut comme lui, interrompit M. de Miraval. Ce sera charmant de vous y voir entrer bras dessus bras dessous. Horace, je renonce à te réciter la fin de mon discours. Permets-moi seulement de t'adresser une ou deux questions. Voyons, où cet inconcevable accident s'est-il produit? Où donc ce fier Hippolyte?... Oh! mais, je le sais; ta mère m'a raconté que c'était à Memphis, au fond d'une cave.

      —Ma mère n'a pas été discrète, répondit Horace; mais soit! c'était au fond d'une cave. Nous appelons cela un hypogée.

      —Va pour l'hypogée. Mes idées se débrouillent; je me rappelle à présent que c'était dans le tombeau du roi Ti.

      —Ti n'était pas un roi, mon oncle, répliqua-t-il sur un ton d'indulgente mansuétude. Ti était un des grands feudataires, un des barons de quelque souverain de la quatrième dynastie, laquelle régna deux cent quatre vingt-quatre ans, ou peut-être de la cinquième, qui, vraisemblablement, fut aussi memphite.

      —Dieu me préserve de soutenir le contraire! Vous voilà donc dans ce tombeau. Illuminée par l'amour, Mme Corneuil déchiffra couramment une inscription hiéroglyphique, et, touché de ce beau miracle, tu tombas à ses pieds.

      —Ces miracles ne se font pas, mon oncle. Mme Corneuil ne lit pas encore les hiéroglyphes, mais un jour elle les lira.

      —Et c'est pour cela que tu l'aimes, malheureux?

      —Je l'aime, s'écria Horace avec feu, parce qu'elle est admirablement belle, parce qu'elle est charmante, parce qu'elle est adorable, parce qu'elle a toutes les grâces, et qu'auprès d'elle toute femme me paraît laide. Oui, je l'aime, je lui ai donné pour jamais mon coeur et ma vie; tant pis pour qui ne me comprend pas.

      —Peste! voilà parler, repartit M. de Miraval, et voilà de l'amour. Mais, mon cher enfant, je ne te reproche pas d'aimer cette femme; libre à toi. Ce qui me fâche, c'est que tu veux l'épouser. Eh! grand Dieu! où en serions-nous si l'on était tenu d'épouser toutes les femmes qu'on aime?... Voyons, entre quatre yeux, est-ce donc une vertu si farouche?»

      Horace fronça le sourcil et répondit sèchement:

      «Assez, mon oncle! Ah! je vous prie, pas un mot de plus.

      —A vrai dire, je ne sais rien, poursuivit le marquis; je n'y étais pas. Mais ta mère, paraît-il, a pria des informations, et les mauvaises langues prétendent...

      —Assez, vous dis-je, répéta Horace en haussant la voix. Si tout autre que vous me parlait sur ce ton d'une femme pour qui mon estime égale ma tendresse, d'une femme qui est digne de tous les respects, il aurait ma vie ou j'aurais la sienne.

      —Tu comprends bien que je n'ai aucune envie de me battre avec toi, ô mon unique héritier! Dame! que deviendrait l'héritage? Puisque tu me le dis, je demeure convaincu que Mme Corneuil est une personne absolument irréprochable; mais où diable ta mère a-t-elle pris ses renseignements? Elle assure que c'est tout simplement une ambitieuse, voire une intrigante, et que son rêve... Là, es-tu bien sûr que cette femme ne soit pas de la race des habiles? Es-tu bien sûr qu'elle s'intéresse sincèrement, passionnément aux exploits des Pharaons et au dieu Anubis, conducteur des âmes? Es-tu bien sûr que les petits moyens ne produisent pas quelquefois de grands effets et qu'elle n'ait pas joué là-bas, dans le caveau de Ti, qui n'était pas roi, mais baron, une petite comédie dont un égyptologue de ma connaissance a été la dupe? J'imagine, quant à moi, que le beau garçon que voici, eût-il le nez de travers, les yeux ternes et le regard louche, Mme Corneuil l'aimerait encore, par l'excellente raison que Mme Corneuil a mis dans son bonnet de s'appeler un jour comtesse de Penneville.

      —Vraiment, vous me faites pitié, mon oncle, et je suis bien bon de vous répondre. Prêter de misérables calculs d'intérêt et de vanité à une pareille femme, à l'âme la plus fière, la plus noble, la plus pure! Tenez, vous devriez rougir de vous abuser à ce point. Elle m'a raconté toute sa vie, jour par jour, heure par heure. Dieu sait qu'elle n'a rien à cacher! Pauvre sainte créature, mariée toute


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