Ruines et fantômes. Jules Claretie

Ruines et fantômes - Jules Claretie


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que la garde suisse, buvant et chantant, se disait qu'elle tâterait bientôt du Parisien, des hommes s'assemblaient, le soir, chez le brasseur Santerre, en plein coeur du faubourg de gloire, et se demandaient ce qu'il fallait faire contre la cour qui résistait, contre le roi qui trahissait.

      Ils étaient là, dans la grande brasserie du faubourg Saint-Antoine,

       Santerre en uniforme de commandant du bataillon des Quinze-Vingts;

       Rossignol; le formidable et gigantesque Saint-Huruge, l'ami de Camille

       Desmoulins, le lord Seymour de la Révolution française. Ils parlaient, ils débattaient la question pendante. Que faire?

      Ce qu'il fallait faire, Vergniaud l'avait dit et, de la part de Danton,

       Legendre vint, un soir, le répéter en pleine brasserie, tandis que

       Santerre trinquait avec le commandant Alexandre et avec Lazowski,

       capitaine des canonniers de Saint-Marcel.

      Vergniaud avait dit, montrant les Tuileries:

      —La terreur est souvent sortie de ce palais funeste; eh bien, qu'elle y rentre donc, au nom de la loi!

      Et Legendre, envoyé par Danton, ajoutait:

      —C'est aux Tuileries qu'il faut aller demander le rappel des ministres patriotes et la sanction des décrets.

      Le mot avait été dit, il fut acclamé:

      —Aux Tuileries!

      On irait aux Tuileries sommer le roi de tenir ses promesses, d'abandonner la politique hypocrite que ses conseillers lui faisaient suivre, et de reconnaître enfin la toute-puissance de ce peuple qui maintenant était le souverain.

      On irait en foule, on irait en armes, musique en tête, sans menaces, avec le calme superbe et fier que donne la force.

      On irait, à cette date immortelle du 20 juin, date du serment du Jeu-de-Paume, et tandis que des citoyens se rendraient en pèlerinage civique à Versailles, par cette route que les femmes avaient suivie, au 6 octobre, mais, cette fois, pour y fêter l'anniversaire; d'autres citoyens des faubourgs, après avoir défilé devant l'Assemblée et parlé aux représentants du peuple, entreraient au palais des rois et opposeraient enfin leur sic volo sic jubeo au veto stupide de Louis XVI.

      «Le peuple le veut ainsi, allait dire fièrement un orateur populaire dont l'histoire n'a point le nom, et devant ce chêne robuste, le faible roseau doit plier.»

      Le polonais Lazowski fit voter par les sections qu'on planterait, à cette date du 20 juin, un arbre de la liberté sur la terrasse des Feuillants. Le frémissement des feuilles du peuplier rappellerait peut-être au roi l'approche des grands orages populaires.

      —Si vingt personnes se présentent au roi, dit quelqu'un de la cour, sa

       Majesté recevra la pétition.

      La pétition du peuple fut portée par vingt mille citoyens.

      Ils étaient vingt mille, à cette aurore du 20 juin, marchant par les faubourgs, le soleil faisant joyeusement étinceler l'or des canons et l'acier des piques. Dans l'air chaud et sous le ciel bleu, sans nuages, les drapeaux flottaient comme aux jours des fédérations heureuses.

      Des musiques marchaient devant la manifestation populaire, jouant le Ça ira que scandaient les sabots des sans-culottes, tandis que de ce flot humain qui roulait une foule enfiévrée,—hommes, femmes, enfants, vieillards, carmagnole et bonnets rouges,—de grands cris sortaient, cris d'espérance plutôt que de colère:

      —Vivent les patriotes!

      Et, à la tête de la foule, Saint-Huruge, las de porter l'habit du marquis, le géant Saint-Huruge déguisé en fort de la Halle, paradait; des hommes portaient le peuplier enrubanné qu'on devait planter devant les Tuileries, et Santerre, dont le soleil faisait reluire les grosses épaulettes, disait de sa forte voix, comme il allait tout à l'heure le dire en pleine Assemblée, à tout ce cortége:

      —En avant, arche!

      Et ce flot, ce torrent, cette mer mugissante, allait, poussait, entrait dans l'Assemblée, se heurtait aux grilles, s'engouffrait dans les corridors ou les cours, grossissait, montait, emplissait les escaliers, traînant, portant des canons, voyant, de loin, briller les mêches allumées des canonniers de la garde nationale. Point irritée, plutôt gaie, résolue, mais point haineuse, et pourtant décidée à la lutte si on avait fait feu sur elle.

      Un coup de feu, à cette heure, c'était heureusement chose plus difficile qu'aujourd'hui. Les armes à pierres, grossières, ne partaient pas facilement. A cette heure, le revolver rendrait atrocement tragiques de telles journées tumultueuses[3]. Il semble, en effet, que les armes de précision éclatent toutes seules.

      [Note 3: Ces mots étaient écrits avant ces dernières guerres civiles où le revolver a tristement joué son rôle.]

      Au 20 juin, pas un coup de feu, pas un mort. Et pourtant les Tuileries étaient prises, le flot coulait dans les appartements, les femmes, hâves, décharnées, sabre en main, entouraient la reine. La disette et la misère se dressaient, hurlantes, devant le roi.

      Louis eut le flegme écrasant de l'homme gras qui reste impassible. Il ne broncha point. Il gagna du temps.

      Une fois pourtant il tressaillit.

      Legendre, en lui parlant, disait:

      —Monsieur…

      —Je suis votre roi, fit-il.

      Legendre reprit:

      —Oui, monsieur. Écoutez-nous, vous êtes fait pour nous écouter.

      Tout à l'heure Louis XVI allait se coiffer d'un bonnet rouge, y mettre une cocarde tricolore et crier: «Vive la nation!» Il temporisait.

      Il disait—d'ailleurs résolu lui aussi:

      —Je n'ai pas peur, j'ai reçu les sacrements.

      La foule grossissait dans les appartements. Dans la buée torride d'une chaleur étouffante, ce peuple s'agitait comme dans un brouillard d'étuve. Le roi, apoplectique, semblait indifférent. Les faubouriens, eux, riaient, criaient, tâtaient le lit de plume du roi et le trouvaient bon (Michelet).

      Assise devant une table, à côté de madame de Lamballe, la reine, pâle, regardait. Le petit dauphin, grimpé à côté d'elle, suait sous un bonnet de laine rouge.

      Pétion qui le trouva ainsi, dit:

      —Il étouffe, cet enfant-là!

      Et il ôta le bonnet du front du prince.

      Depuis trois heures de l'après-midi, les Tuileries étaient prises, envahies, et les troupes n'osaient bouger, de peur de faire feu sur le roi. Louis XVI était déjà prisonnier. Prisonnier dans son palais comme un mois plus tard au Temple.

      Isnard et Vergniaud vinrent, puis Merlin de Thionville, puis Pétion, pour le délivrer.

      Merlin de Thionville, le futur commandant des Mayençais, celui qui, toujours debout à la batterie, fut par les Prussiens assiégeant Mayence appelé le démon de feu, Merlin voyant la reine affaissée, écrasée, injuriée, versa une larme.

      —Ah! vous pleurez, monsieur, lui dit la reine. Vous le voyez, vous pleurez!

      Et Merlin, fièrement:

      —Oui, madame, je pleure. Je pleure parce que je vois une femme et une mère malheureuse. Mais je ne pleure point sur la reine. Je hais les reines autant que je hais les rois!

      Le peuple à la fin s'écoula.

      —C'est assez, avait dit Pétion, retirez-vous!

      Et plus d'un, hochant la tête, plus d'un sectionnaire qui avait entendu le roi beaucoup crier: «Vive la nation!» et ne l'avait pas vu signer un décret pour la nation, plus d'un


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