Mon Coeur Mis A Nu (Journaux Intimes). Charles Baudelaire
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MON CŒUR MIS À NU
(Deuxième partie des journaux intimes)
Présentation
« Un grand livre auquel je rêve depuis deux ans : Mon cœur mis à nu, et où j’entasserai toutes mes colères. Ah ! si jamais celui-là voit le jour, Les confessions de Jean-Jacques paraîtront pâles. Tu vois que je rêve encore. »
Lettre de Charles Baudelaire à sa mère (1er avril 1861)
Mon cœur mis à nu fait partie des journaux intimes de Baudelaire, comme les trois autres recueils de notes : Fusées, Hygiène, et Carnet (seul ce dernier répondant à la définition classique du journal intime, en particulier par sa composition chronologique).
La publication fut posthume, en 1887.
Apparemment, la composition de Mon cœur mis à nu
daterait des années 1852 – 1866.
C’est initialement pour lui seul, et pour quelques intimes, que Baudelaire a jeté sur le papier les bases de ce « livre de rancunes ». Sachez, le moment venu, jeter sur certaines crudités, le manteau de Noé.
Ces journaux intimes sont restés à l’état de feuilles volantes jusqu’à la mort du poète en 1867.
Poulet-Malassis, ami et éditeur de Baudelaire, numérote plus tard les fragments (chiffres arabes), les fixe sur des feuilles foliotées (chiffres romains), et fait relier le tout dans des cartonnages.
La présente édition comporte cette double numérotation, en chiffres romains et en chiffres arabes
I.
MON CŒUR MIS À NU
1.
De la vaporisation et de la centralisation du Moi. Tout est là.
D'une certaine jouissance sensuelle dans la société des extravagants.
(Je peux commencer Mon coeur mis à nu n'importe où, n'importe comment, et le continuer au jour le jour, suivant l'inspiration du jour et de la circonstance, pourvu que l'inspiration soit vive).
2.
Le premier venu, pourvu qu'il sache amuser, a le droit de parler de lui-même.
MON CŒUR MIS À NU
3.
Je comprends qu'on déserte une cause pour savoir ce qu'on
éprouvera à en servir une autre.
Il serait peut-être doux d'être alternativement victime et bourreau.
II.
MON CŒUR MIS À NU
4.
Sottises de Girardin
Notre habitude est de prendre le taureau par les cornes.
Prenons donc le discours par la fin. (7 nov. 1863).
Donc, Girardin croit que les cornes des taureaux sont plantées sur leur derrière. Il confond les cornes avec la queue.
Qu'avant d'imiter les Ptolémées du journalisme français, les journalistes belges se donnent la peine de réfléchir sur la question que j'étudie depuis trente ans sous toutes ses faces, ainsi que le prouvera le volume qui paraîtra prochainement sous ce titre : Questions de presse ; qu'ils ne se hâtent pas de traiter de souverainement ridicule une opinion qui est aussi vraie qu'il est vrai que la terre tourne et que le soleil ne tourne pas.
Émile de Girardin.
« Il y a des gens qui prétendent que rien n’empêche de croire que, le ciel étant immobile, c’est la terre qui tourne autour de son axe. Mais ces gens-là ne sentent pas, à raison de ce qui se passe autour de nous, combien leur opinion est souverainement ridicule
» .PTOLEMEE, Almageste,
livre Ier, chap. VI.
Et habet mea mentrita [sic] meatum.
GIRARDIN.
« souverainement ridicule »
III.
Pour
MON CŒUR MIS À NU
5.
La femme est le contraire du Dandy. Donc elle doit faire horreur.
La femme a faim et elle veut manger. Soif, et elle veut boire. Elle est en rut et elle veut être foutue.
Le beau mérite !
La femme est naturelle, c'est-à-dire abominable.
Aussi est-elle toujours vulgaire, c'est-à-dire le contraire du Dandy.
–
Relativement à la Légion d’Honneur.
Celui qui demande la croix a l’air de dire : si l’on ne me décore pas pour avoir fait mon devoir, je ne recommencerai plus.
– si un homme a du mérite, à quoi bon le décorer ? s’il n’en a pas, on peut le décorer, parce que [cela] lui donnera un lustre.
Consentir à être décoré, c’est reconnaître à l’Etat ou au prince le droit de vous juger, de vous illustrer, etc.
–
D’ailleurs, si ce n’est l’orgueil, l’humilité chrétienne défend la croix.
Calcul en faveur de Dieu.
Rien n’existe sans but.
Donc mon existence a un but. Quel but ? Je l’ignore. Ce n’est donc pas moi qui l’ait marqué.
C’est donc quelqu’un, plus savant que moi.
Il faut donc prier ce quelqu’un de m’éclairer. C’est le parti le plus sage.
Le Dandy doit aspirer à être sublime sans interruption ; il doit vivre et dormir devant un miroir.
IV.
MON CŒUR MIS À NU
6.
Analyse des contre-religions, exemple : la prostitution sacrée.
Qu’est-ce que la prostitution sacrée ? Excitation nerveuse.
Mysticité du paganisme.
Le mysticisme, trait d’union entre le paganisme et le christianisme.
Le paganisme et le christianisme se prouvent réciproquement.
La révolution et le culte de la Raison prouvent l’idée du sacrifice.
La superstition est le réservoir de toutes les vérités.
MON CŒUR MIS À NU
7.
Il y a dans tout changement quelque chose d'infâme et d'agréable à la fois, quelque chose qui tient de l'infidélité et du déménagement. Cela suffit à expliquer la révolution française.
V.
MON CŒUR MIS À NU
8.
Mon ivresse en 1848.
De quelle nature était cette ivresse ?
Goût de la vengeance. Plaisir naturel de la démolition.
Ivresse littéraire ; souvenir des lectures.
Le 15 mai. – Toujours le goût de la destruction. Goût légitime si tout ce qui est naturel est légitime.
–
Les horreurs de Juin. Folie du peuple et folie de la bourgeoisie. Amour naturel du crime.
–
Ma fureur au coup d'État. Combien j'ai essuyé de coups de fusil. Encore un Bonaparte ! Quelle honte !
Et cependant tout s'est pacifié. Le Président n'a-t-il pas un droit