Han d'Islande. Victor Hugo

Han d'Islande - Victor  Hugo


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      Victor Hugo

      Han d'Islande

      Préface de 1833

      Han d'Islande est un livre de jeune homme, et de très jeune homme.

      On sent en le lisant que l'enfant de dix-huit ans qui écrivait Han d'Islande dans un accès de fièvre en 1821 n'avait encore aucune expérience des choses, aucune expérience des hommes, aucune expérience des idées, et qu'il cherchait à deviner tout cela.

      Dans toute oeuvre de la pensée, drame, poëme ou roman, il entre trois ingrédients: ce que l'auteur a senti, ce que l'auteur a observé, ce que l'auteur a deviné.

      Dans le roman en particulier, pour qu'il soit bon, il faut qu'il y ait beaucoup de choses senties, beaucoup de choses observées, et que les choses devinées dérivent logiquement et simplement et sans solution de continuité des choses observées et des choses senties.

      En appliquant cette loi à Han d'Islande, on fera saillir aisément ce qui constitue avant tout le défaut de ce livre.

      Il n'y a dans Han d'Islande qu'une chose sentie, l'amour du jeune homme; qu'une chose observée, l'amour de la jeune fille. Tout le reste est deviné, c'est-à-dire inventé. Car l'adolescence, qui n'a ni faits, ni expérience, ni échantillons derrière elle, ne devine qu'avec l'imagination. Aussi Han d'Islande, en admettant qu'il vaille la peine d'être classé, n'est-il guère autre chose qu'un roman fantastique.

      Quand la première saison est passée, quand le front se penche, quand on sent le besoin de faire autre chose que des histoires curieuses pour effrayer les vieilles femmes et les petits enfants, quand on a usé au frottement de la vie les aspérités de sa jeunesse, on reconnaît que toute invention, toute création, toute divination de l'art doit avoir pour base l'étude, l'observation, le recueillement, la science, la mesure, la comparaison, la méditation sérieuse, le dessin attentif et continuel de chaque chose d'après nature, la critique consciencieuse de soi-même; et l'inspiration qui se dégage selon ces nouvelles conditions, loin d'y rien perdre, y gagne un plus large souffle et de plus fortes ailes. Le poète alors sait complètement où il va. Toute la rêverie flottante de ses premières années se cristallise en quelque sorte et se fait pensée. Cette seconde époque de la vie est ordinairement pour l'artiste celle des grandes oeuvres. Encore jeune et déjà mûr. C'est la phase précieuse, le point intermédiaire et culminant, l'heure chaude et rayonnante de midi, le moment où il y a le moins d'ombre et le plus de lumière possible.

      Il y a des artistes souverains qui se maintiennent à ce sommet toute leur vie, malgré le déclin des années. Ce sont là les suprêmes génies. Shakespeare et Michel-Ange ont laissé sur quelques-uns de leurs ouvrages l'empreinte de leur jeunesse, la trace de leur vieillesse sur aucun.

      Pour revenir au roman dont on publie ici une nouvelle édition, tel qu'il est, avec son action saccadée et haletante, avec ses personnages tout d'une pièce, avec ses gaucheries sauvages, avec son allure hautaine et maladroite, avec ses candides accès de rêverie, avec ses couleurs de toute sorte juxtaposées sans précaution pour l'oeil, avec son style cru, choquant et âpre, sans nuances et sans habiletés, avec les mille excès de tout genre qu'il commet presque à son insu chemin faisant, ce livre représente assez bien l'époque de la vie à laquelle il a été écrit, et l'état particulier de l'âme, de l'imagination et du coeur dans l'adolescence, quand on est amoureux de son premier amour, quand on convertit en obstacles grandioses et poétiques les empêchements bourgeois de la vie, quand on a la tête pleine de fantaisies héroïques qui vous grandissent à vos propres yeux, quand on est déjà un homme par deux ou trois côtés et encore un enfant par vingt autres, quand on a lu Ducray-Duminil à onze ans, Auguste Lafontaine à treize, Shakespeare à seize, échelle étrange et rapide qui vous a fait passer brusquement, dans vos affections littéraires, du niais au sentimental, et du sentimental au sublime.

      C'est parce que, selon nous, ce livre, oeuvre naïve avant tout, représente avec quelque fidélité l'âge qui l'a produit que nous le redonnons au public en 1833 tel qu'il a été fait en 1821.

      D'ailleurs, puisque l'auteur, si peu de place qu'il tienne en littérature, a subi la loi commune à tout écrivain grand ou petit, de voir rehausser ses premiers ouvrages aux dépens des derniers et d'entendre déclarer qu'il était fort loin d'avoir tenu le peu que ses commencements promettaient, sans opposer à une critique peut-être judicieuse et fondée des objections qui seraient suspectes dans sa bouche, il croit devoir réimprimer purement et simplement ses premiers ouvrages tels qu'il les a écrits, afin de mettre les lecteurs à même de décider, en ce qui le concerne, si ce sont des pas en avant ou des pas en arrière qui séparent Han d'Islande de Notre-Dame de Paris.

      Paris, mai 1833.

      Préface de la première édition

      L'auteur de cet ouvrage, depuis le jour où il en a écrit la première page, jusqu'au jour où il a pu tracer le bienheureux mot FIN au bas de la dernière, a été le jouet de la plus ridicule illusion. S'étant imaginé qu'une composition en quatre volumes valait la peine d'être méditée, il a perdu son temps à chercher une idée fondamentale, à la développer bien ou mal dans un plan bon ou mauvais, à disposer des scènes, à combiner des effets, à étudier des moeurs de son mieux; en un mot, il a pris son ouvrage au sérieux.

      Ce n'est que tout à l'heure, au moment où, selon l'usage des auteurs de terminer par où le lecteur commence, il allait élaborer une longue préface, qui fût comme le bouclier de son oeuvre, et contînt, avec l'exposé des principes moraux et littéraires sur lesquels repose sa conception, un précis plus ou moins rapide des divers événements historiques qu'elle embrasse, et un tableau plus ou moins complet du pays qu'elle parcourt; ce n'est que tout à l'heure, disons-nous, qu'il s'est aperçu de sa méprise, qu'il a reconnu toute l'insignifiance et toute la frivolité du genre à propos duquel il avait si gravement noirci tant de papier, et qu'il a senti combien il s'était, pour ainsi dire, mystifié lui-même, en se persuadant que ce roman pourrait bien, jusqu'à un certain point, être une production littéraire, et que ces quatre volumes formaient un livre.

      Il se résout donc sagement, après avoir fait amende honorable, à ne rien dire dans cette espèce de préface, que monsieur l'éditeur aura soin en conséquence d'imprimer en gros caractères. Il n'informera pas même le lecteur de son nom ou de ses prénoms, ni s'il est jeune ou vieux, marié ou célibataire, ni s'il a fait des élégies ou des fables, des odes ou des satires, ni s'il veut faire des tragédies, des drames ou des comédies, ni s'il jouit du patriciat littéraire dans quelque académie, ni s'il a une tribune dans un journal quelconque; toutes choses, cependant, fort intéressantes à savoir. Il se bornera seulement à faire remarquer que la partie pittoresque de son roman a été l'objet d'un soin particulier; qu'on y rencontre fréquemment des K, des Y, des H et des W, quoiqu'il n'ait jamais employé ces caractères romantiques qu'avec une extrême sobriété, témoin le nom historique de Guldenlew, que plusieurs chroniqueurs écrivent Guldenloëwe, ce qu'il n'a pas osé se permettre; qu'on y trouve également de nombreuses diphtongues variées avec beaucoup de goût et d'élégance; et qu'enfin tous les chapitres sont précédés d'épigraphes étranges et mystérieuses, qui ajoutent singulièrement à l'intérêt et donnent plus de physionomie à chaque partie de la composition.

      Janvier 1823.

      Préface de la deuxième édition

      On a affirmé à l'auteur de cet ouvrage qu'il était absolument nécessaire de consacrer spécialement quelques lignes d'avertissement, de préface ou d'introduction à cette seconde édition. Il a eu beau représenter que les quatre ou cinq malencontreuses pages vides qui escortaient la première édition, et dont le libraire s'est obstiné à déparer celle-ci, lui avaient déjà attiré les anathèmes de l'un de nos écrivains les plus honorables et les plus distingués[1], lequel l'avait accusé de prendre le ton aigre-doux de l'illustre Jedediah Cleishbotham, maître d'école et sacristain de la paroisse de Gandercleugh; il a eu beau alléguer que ce brillant et judicieux critique, de sévère pour la faute, deviendrait sans doute impitoyable pour la récidive; et présenter, en un mot, une foule d'autres raisons non moins bonnes pour se dispenser d'y tomber, il paraît qu'on lui en a opposé de meilleures, puisque le voici maintenant écrivant une seconde préface, après s'être tant repenti d'avoir écrit la première. Au moment d'exécuter cette détermination hardie, il conçut d'abord


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