L'éclaireur. Aimard Gustave

L'éclaireur - Aimard Gustave


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adieu.

      – Adieu.

      Les deux cavaliers se serrèrent la main, l'un tourna à droite, l'autre à gauche, et ils s'éloignèrent à toute bride, chacun dans une direction opposée.

      XI.

      Le gué del Rubio

      La nuit était sombre, pas une étoile ne brillait au ciel; le vent soufflait avec force à travers les épaisses ramures de la forêt vierge avec ce sifflement triste et monotone qui ressemble au bruit des grandes eaux lorsque menace la tempête; les nuées étaient basses, noires, chargées d'électricité; elles couraient rapidement dans l'espace, cachant incessamment le disque blafard de la lune, dont les rayons sans chaleur rendaient encore les ténèbres plus épaisses; l'atmosphère était lourde, et des bruits sans nom, répercutés par les échos comme les roulements d'un tonnerre lointain, s'élevaient du fond des quebradas et des barancas ignorées de la Prairie; les bêtes fauves hurlaient tristement sur toutes les notes du clavier humain, et les oiseaux de nuit, troublés dans leur sommeil par cet étrange malaise de la nature, poussaient des cris rauques et discordants.

      Au camp des gambucinos, tout était calme; les sentinelles veillaient, appuyées sur leurs rifles et accroupies devant un feu mourant qui achevait de s'éteindre. Au centre du camp, deux hommes fumaient leurs pipes indiennes en causant entre eux à voix basse.

      Ces deux hommes étaient Balle-Franche et Bon-Affût.

      Enfin Balle-Franche éteignit sa pipe, la repassa à sa ceinture, étouffa un bâillement et se leva en allongeant les bras et les jambes pour rétablir la circulation du sang.

      – Qu'allez-vous faire? lui demanda Bon-Affût en se tournant à demi de son côté d'un air nonchalant.

      – Dormir, répondit le chasseur.

      – Dormir?

      – Pourquoi non? La nuit est avancée; seuls, j'en suis convaincu, nous veillons encore: il est plus que probable que nous ne verrons pas don Miguel avant le lever du soleil; donc, le plus convenable, pour le moment du moins, est de dormir, si toutefois vous n'en avez pas décidé autrement.

      Bon-Affût posa un doigt sur sa bouche comme pour recommander la prudence à son ami.

      – La nuit est avancée, dit-il à voix basse, un orage terrible se prépare! Où peut-être allé don Miguel? Cette absence prolongée m'inquiète plus que je ne saurais dire; il n'est pas homme à abandonner ainsi ses compagnons sans une raison bien puissante, ou peut-être…

      Le chasseur s'arrêta en hochant tristement la tête.

      – Continuez, fit Balle-Franche, dites votre pensée tout entière.

      – Eh bien, je crains qu'il ne lui soit arrivé malheur.

      – Oh! Oh! Croyez-vous? Ce don Miguel est cependant, d'après ce que j'ai entendu dire, un hombre de a caballo d'un courage à toute épreuve et d'une force peu commune.

      – Tout cela est vrai, répondit Bon-Affût d'un air préoccupé.

      – Eh bien, pensez-vous donc qu'un tel homme bien armé et connaissant la vie de la Prairie ne soit pas de taille à se tirer d'un mauvais pas, quelque danger qui le menace?

      – Oui, s'il a affaire à un adversaire loyal, qui se place résolument devant lui et entame une lutte à armes égales.

      – Quel autre péril peut-il craindre?

      – Balle-Franche, Balle-Franche! reprit le chasseur avec tristesse, vous avez trop longtemps habité les comptoirs des marchands de pelleteries du Missouri.

      – Ce qui veut dire…? demanda le Canadien d'un ton piqué.

      – Eh! Mon ami, ne vous fâchez pas de mon observation; mais il est évident pour moi que vous avez en grande partie oublié les mœurs du désert.

      – Hum! Ceci est grave pour un chasseur, Bon-Affût, et en quoi, s'il vous plaît, ai-je oublié les mœurs du désert?

      – Pardieu! En ce que vous ne semblez plus vous souvenir que, dans la contrée où nous sommes, toute arme est bonne pour se défaire d'un ennemi.

      – Eh! Je sais cela aussi bien que vous, mon ami; je sais aussi que l'arme la plus redoutable est celle qui se cache.

      – C'est-à-dire la trahison.

      Le Canadien tressaillit.

      – Redoutez-vous donc une trahison? demanda-t-il.

      – Que puis-je craindre autre?

      – C'est vrai, fit le chasseur en baissant la tête; mais, ajouta-t-il au bout d'un instant, que faire?

      – Voilà justement ce qui m'embarrasse; je ne puis pourtant demeurer plus longtemps ainsi: l'inquiétude me tue; quoi qu'il arrive, je veux savoir ce qui s'est passé.

      – Mais de quelle façon?

      – Je ne sais, Dieu m'inspirera.

      – Cependant vous avez une idée?

      – Certes, j'en ai une.

      – Laquelle?

      – La voici, je compte même sur vous pour m'aider à la mettre à exécution.

      Balle-Franche serra affectueusement la main de son ami.

      – Vous avez raison, dit-il; voyons votre idée.

      – Elle est bien simple: nous allons quitter le camp à l'instant même, et battre dans tous les sens les abords de la rivière.

      – Oui; seulement je vous ferai observer que l'orage en tardera pas à éclater, déjà la pluie tombe en larges gouttes.

      – Raison de plus pour nous hâter.

      – C'est juste.

      – Ainsi vous m'accompagnez?

      – Pardieu! En doutiez-vous, par hasard?

      – Je suis un niais; pardonnez-moi, frère, et merci.

      – Pourquoi donc? C'est moi, au contraire, qui vous remercie.

      – Comment cela?

      – Eh mais! Grâce à vous, je vais faire une promenade charmante.

      Bon-Affût ne répliqua pas; les deux chasseurs sellèrent et bridèrent leurs chevaux, et après avoir visité leurs armes avec tout le soin d'hommes qui sont convaincus qu'ils ne tarderont pas à s'en servir, ils se mirent en selle et s'avancèrent vers la barrière du camp.

      Deux sentinelles se tenaient l'œil au guet, immobiles et droites à cette barrière; elles se placèrent devant les coureurs des bois.

      Ceux-ci n'avaient aucunement l'intention de s'éloigner inaperçus, n'ayant aucune raison de cacher leur départ.

      – Vous partez? demanda une des sentinelles.

      – Non, nous allons seulement pousser une reconnaissance aux environs.

      – A cette heure?

      – Pourquoi pas?

      – Dame! Il me semble que par un temps pareil mieux vaut dormir que courir la Prairie.

      – Il vous semble mal, compagnon, répondit Bon-Affût d'un ton péremptoire, et d'abord, retenez ceci: je ne dois compte de mes actions à personne; si je sors à cette heure, par l'orage qui menace, c'est que j'ai probablement pour agir ainsi des raisons puissantes; ces raisons, je ne puis et ne dois vous les dire; maintenant, voulez-vous, oui ou non, me livrer passage? Sachez seulement que je vous rendrai responsable plus tard du retard que vous apporterez à l'exécution de mes projets.

      Le ton employé par le chasseur en leur parlant frappa les deux sentinelles; elles se consultèrent quelques minutes à voix basse, puis celle qui, jusque-là, avait porté la parole, se tourna vers les deux hommes, qui attendaient impassibles le résultat de cette délibération.

      – Passez, dit-elle; vous êtes en effet libre d'aller


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