La Comédie humaine - Volume 01. Honore de Balzac
Honoré de Balzac
La Comédie humaine - Volume 01
HONORÉ DE BALZAC
Balzac naquit à Tours le 16 mai 1799, le jour de la fête de saint Honoré, dont on lui donna le nom, qui parut bien sonnant et de bon augure. Le petit Honoré ne fut pas un enfant prodige; il n'annonça pas prématurément qu'il ferait la Comédie humaine. C'était un garçon frais, vermeil, bien portant, joueur, aux yeux brillants et doux, mais que rien ne distinguait des autres, du moins à des regards peu attentifs. A sept ans, au sortir d'un externat de Tours, on le mit au collége de Vendôme, tenu par des oratoriens, où il passa pour un élève très-médiocre.
La première partie de Louis Lambert contient sur ce temps de la vie de Balzac de curieux renseignements. Dédoublant sa personnalité, il s'y peint comme un ancien condisciple de Louis Lambert, tantôt en parlant en son nom, et tantôt prêtant ses propres sentiments à ce personnage imaginaire, mais pourtant très-réel, puisqu'il est une sorte d'objectif de l'âme même de l'écrivain.
Balzac souffrit prodigieusement dans ce collége de Vendôme, où sa nature rêveuse était meurtrie à chaque instant par une règle inflexible. Il négligeait de faire ses devoirs; mais, favorisé par la complicité tacite d'un répétiteur de mathématiques, en même temps bibliothécaire et occupé de quelque ouvrage transcendental, il ne prenait pas sa leçon et emportait les livres qu'il voulait. Tout son temps se passait à lire en cachette. Aussi fut-il bientôt l'élève le plus puni de sa classe. Les pensums, les retenues absorbèrent bientôt le temps des récréations; à certaines natures d'écoliers, les châtiments inspirent une sorte de rébellion stoïque, et ils opposent aux professeurs exaspérés la même impassibilité dédaigneuse que les guerriers sauvages captifs aux ennemis qui les torturent. Ni le cachot, ni la privation d'aliments, ni la férule ne parviennent à leur arracher la moindre plainte; ce sont alors, entre le maître et l'élève, des luttes horribles, inconnues des parents, où la constance des martyrs et l'habileté des bourreaux se trouvent égalées. Quelques professeurs nerveux ne peuvent supporter le regard de haine, de mépris et de menace par lequel un bambin de huit ou dix ans les brave.
Le résultat de ces travaux cachés, de ces méditations qui prenaient le temps des études, fut ce fameux Traité de la volonté, dont il est parlé plusieurs fois dans la Comédie humaine. Balzac regretta toujours la perte de cette première œuvre, qu'il esquisse sommairement dans Louis Lambert, il dut être moins sensible à la perte de son poëme épique sur les Incas, inspiration malencontreuse qui lui valut, tout le temps qu'il resta au collége, le sobriquet dérisoire de Poëte. Balzac, il faut l'avouer, n'eut jamais le don de poésie, de versification, du moins; sa pensée si complexe resta toujours rebelle au rhythme.
A propos de vers, consignons ici un petit renseignement qui pourra amuser les curieux littéraires. Les quelques sonnets que Lucien de Rubempré fait voir comme échantillon de son volume de vers au libraire Dauriat ne sont pas de Balzac, qui ne faisait pas de vers, et demandait à ses amis ceux dont il avait besoin. Le sonnet de la Marguerite est de Mme de Girardin; le sonnet sur le Camellia, de Lassailly; celui sur la Tulipe, de votre serviteur.
Modeste Mignon renferme aussi une pièce de vers, mais nous en ignorons l'auteur.
Pas plus dans la famille qu'au collége l'intelligence de Balzac ne fut devinée ou comprise. Même, s'il lui échappait quelque chose d'ingénieux, sa mère, femme supérieure cependant, lui disait: «Sans doute, Honoré, tu ne comprends pas ce que tu dis là!» Et Balzac de rire, sans s'expliquer davantage, de ce bon rire qu'il avait.
La famille de Balzac étant revenue à Paris, il fut mis en pension. Là, comme au collége de Vendôme, son génie ne se décela point, et il resta confondu parmi le troupeau des écoliers ordinaires.
Ses classes finies, Balzac se donna cette seconde éducation qui est la vraie; il étudia, se perfectionna, suivit les cours de la Sorbonne et fit son droit, tout en travaillant chez l'avoué et le notaire. Ce temps, perdu en apparence, puisque Balzac ne fut ni avoué, ni notaire, ni avocat, ni juge, lui fit connaître le personnel de la basoche et le mit à même d'écrire plus tard, de façon à émerveiller les hommes du métier, ce que nous pourrions appeler le contentieux de la Comédie humaine.
Les examens passés, la grande question de la carrière à prendre se présenta. On voulait faire de Balzac un notaire; mais le futur grand écrivain, qui, bien que personne ne crût à son génie, en avait la conscience, refusa le plus respectueusement du monde, quoiqu'on lui eût ménagé une charge à des conditions très-favorables. Son père lui accorda deux ans pour faire ses preuves, et comme la famille retournait en province, madame Balzac installa Honoré dans une mansarde, en lui allouant une pension suffisante à peine aux plus stricts besoins, espérant qu'un peu de vache enragée le rendrait plus sage.
Cette mansarde était perchée rue de Lesdiguières, no 9, près de l'Arsenal, dont la bibliothèque offrait ses ressources au jeune travailleur. Sans doute passer d'une maison abondante et luxueuse à un misérable réduit serait une chose dure à un tout autre âge qu'à vingt et un ans, âge qui était celui de Balzac; mais si le rêve de tout enfant est d'avoir des bottes, celui de tout jeune homme est d'avoir une chambre, une chambre bien à lui, dont il ait la clef dans sa poche, ne pût-il tenir debout qu'au milieu: une chambre, c'est la robe virile, c'est l'indépendance, la personnalité, l'amour!
Voilà donc maître Honoré juché près du ciel, assis devant sa table, et s'essayant au chef-d'œuvre qui devait donner raison à l'indulgence de son père et démentir les horoscopes défavorables de ses amis. — Chose singulière, Balzac débuta par une tragédie, par un Cromwell! Vers ce temps-là, à peu près, Victor Hugo mettait la dernière main à son Cromwell, dont la préface fut le manifeste de la jeune école dramatique.
A cette époque Balzac n'avait pas encore conçu le plan de l'œuvre qui devait l'immortaliser; il se cherchait encore avec inquiétude, anhélation et labeur, essayant tout et ne réussissant à rien; pourtant il possédait déjà cette opiniâtreté de travail à laquelle Minerve, quelque revêche qu'elle soit, doit un jour ou l'autre céder; il ébauchait des opéras-comiques, faisait des plans de comédies, de drames et de romans. Une volonté moins robuste se fût découragée mille fois, mais par bonheur Balzac avait une confiance inébranlable dans son génie méconnu de tout le monde. Il voulait être un grand homme et il le fut par d'incessantes projections de ce fluide plus puissant que l'électricité, et dont il fait de si subtiles analyses dans Louis Lambert.
Contrairement aux écrivains de l'école romantique, qui tous se distinguèrent par une hardiesse et une facilité d'exécution étonnantes, et produisirent leurs fruits presque en même temps que leurs fleurs, dans une éclosion pour ainsi dire involontaire, Balzac, l'égal de tous comme génie, ne trouvait pas son moyen d'expression, ou ne le trouvait qu'après des peines infinies.
Fondeur obstiné, il rejetait dix ou douze fois au creuset le métal qui n'avait pas rempli exactement le moule; comme Bernard Palissy, il eût brûlé les meubles, le plancher et jusqu'aux poutres de sa maison pour entretenir le feu de son fourneau et ne pas manquer l'expérience; les nécessités les plus dures ne lui firent jamais livrer une œuvre sur laquelle il n'eût pas mis le dernier effort, et il donna d'admirables exemples de conscience littéraire.
Sa manière de procéder était celle-ci: quand il avait longtemps porté et vécu un sujet, d'une écriture rapide, heurtée, pochée, presque hiéroglyphique, il traçait une espèce de scenario en quelques pages, qu'il envoyait à l'imprimerie, d'où elles revenaient en placards, c'est-à-dire en colonnes isolées au milieu de larges feuilles. Il lisait attentivement ces placards, qui donnaient déjà à son embryon d'œuvre ce caractère impersonnel que n'a pas le manuscrit, et il appliquait à cette ébauche la haute faculté critique qu'il possédait, comme s'il se fût agi d'un autre. Il opérait sur quelque chose; s'approuvant ou se désapprouvant, il maintenait ou corrigeait, mais surtout ajoutait. Des lignes partant du commencement du milieu ou de la fin des phrases, se dirigeaient vers les marges, à droite, à gauche, en haut, en bas, conduisant à des développements, à des intercalations, à des incises, à des épithètes, à des adverbes. Au bout de quelques heures de travail, on eût dit le bouquet d'un feu d'artifice dessiné par un enfant.
Six,