Le Médecin des Dames de Néans. Rene Boylesve

Le Médecin des Dames de Néans - Rene  Boylesve


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y était, comment le cultiverait-on? Cela n'était pas du tout clair. Mais le découvrir était son dernier espoir. Et depuis qu'il s'occupait d'elle, elle ne manifestait, en vérité, rien.

      L'haleine des fleurs repassait, en sorte de nuées voletantes et lourdes de baumes. Chacun les recevait, en était environné, imprégné. C'était comme la taquinerie de quelque grand séducteur caché dans la nuit. Le léger bruissement des feuilles d'ormes était peut-être son sourire, et l'étincellement régulier des doux éclairs à l'horizon, un regard clignotant vers son œuvre louche. On pouvait imaginer sa grande figure malicieuse et son geste. Il y avait un acharnement en cette séduction par les fleurs et la mollesse du soir; et la conscience du charme peu à peu s'éveillait.

      Il faut un temps aux personnes qui n'ont point le goût cultivé des sensations voluptueuses pour s'apercevoir que, réellement, elles sont ravies. Elles l'ont avoué déjà, du bout des lèvres, comme on l'a fait tout à l'heure sur la terrasse: «Ah! c'est délicieux!» Le délice y est tout juste comme le tourment à qui dit: «Ah! mon Dieu! mon Dieu! que j'ai donc été inquiet de votre santé!» Le délice ne vient point spontanément; il aime être sollicité. Il faut, le sachant possible, le souhaiter, l'évoquer. Pour qui le cherche, il est là; pour qui ne l'a point déjà en son désir, il est de désespérante lenteur. Ah! pensez donc! la nuit, le crépuscule, l'adorable splendeur des choses, la grâce miraculeuse d'une odeur ou d'un son, faire des avances à qui s'est fermé les sens, et paraît ne même pas soupçonner que ces êtres impersonnels ont de véritables caresses! Oui, la plupart des gens ont besoin d'être prévenus. De la musique, on le leur a dit assez; dès qu'un accord est perçu, leur épiderme se tend au frisson. Mais des harmonies innombrables, dont la nature est toute retentissante, il les faut avertir, et insister n'est pas trop. Qu'un homme soit là, à certaines heures incomparables, et dise en termes sobres et forts la beauté qui environne, toutes les femmes seront remuées, et par cette légère secousse, ouvertes elles-mêmes directement à la séduction ambiante. Nous sommes presque tous ainsi faits qu'il nous faut en toutes choses des initiateurs. Je ne sais quelle faiblesse nous retient en nous-mêmes, telles des limaces craintives, et quelle taie nous avons aux yeux et aux sens, qu'une chiquenaude suffit à briser. Un élan, et le monde est révélé.

      Nul n'était là pour le donner. Les choses elles-mêmes semblaient en prendre charge. Grandier devinait seulement la possibilité d'émotions qui n'allaient plus à sa sève un peu vieille. Il jouissait de cette heure par une remembrance des années jeunes et de la jeunesse d'autrui. Celle-ci, hélas! il la cherchait autour de lui. Septime lui semblait trop enfant, il ne pouvait se défaire de le traiter en gamin. Et cette femme si gracieuse, dont la jolie tête pâle, dans la pénombre, paraissait si abandonnée sur le dossier incliné, laissait perdre le plaisir de vivre, qui venait ce soir, presque palpable et provocant, comme une chair, s'offrir.

      Un moment, le notaire s'étant tu, et M. de Prébendes se tenant droit comme un I sur sa chaise avec, sous ses lunettes, sans doute, quelque idée métaphysique, madame Durosay eut un frisson aux épaules et Septime, simplement, sans mot dire, alla dans la salle à manger chercher un petit châle de laine. Le docteur fut secoué de ce menu fait. Septime revint, tenant le châle de laine; il dit à madame Durosay: «Vous allez prendre froid», et le lui tendit. Elle le remercia beaucoup. L'abbé dit: «Septime, voilà qui est bien, nous ferons peut-être de vous un galant homme. – Hé! hé!» fit M. Durosay. Grandier remarquait que Septime était ennuyé qu'on eût fait attention à lui et que madame Durosay, ayant du mal à se passer le châle sur les épaules, Septime l'y aidait d'une main un peu gauche et tremblante, et demeurait longuement au-dessus des cheveux qu'il semblait respirer, tout proche. La jeune femme se tourna un peu du côté de Septime et le regarda se rasseoir.

      Le docteur eût découvert, tout à coup, une panacée, que ses yeux n'eussent pas brillé comme ils le firent à ce moment qui n'avait l'air de rien.

      Sa poitrine se dilata, il respira large, et les bouffées qui venaient à cet instant des roses et des giroflées, il les absorba, les goûta avec tous ses sens une minute rajeunis. Enfin! enfin! quelqu'un ici participait à l'heure amoureuse de cette nuit d'été; quelqu'un était saisi de l'aphrodisiaque des parfums, de la tiédeur et de l'ombre. Il regardait béatement l'enfant et la jeune femme. C'était comme s'il fût sorti tout d'un coup du néant pour assister aux girations élégantes d'une belle nébuleuse, à la naissance d'un monde. Il remerciait le Dieu vague en qui il avait foi, le glorifiait par sa joie, par toute l'aise qu'il ressentait en sa personne. Il eût voulu pouvoir dire à quelqu'un son contentement, secouer le coude de l'abbé, taper sur le genou de M. Durosay, leur crier: «Ah! que c'est bon! que c'est bon!» La subite évidence du grotesque de cette pensée vis-à-vis de l'ecclésiastique et du mari, qui, en toute autre circonstance, l'eût fait sourire, n'entama pas son enthousiasme. Toutes les grâces de l'amour, toutes les fraîcheurs des idylles environnaient le cerveau de cet homme qui avait complètement aimé la vie; enguirlandaient sa mémoire ornée de la vie des siècles passés. Sa tristesse s'écoulait, se perdait dans l'oubli, déjà; sa belle tristesse de vivre parmi des morts. Ah! vivre dans les villes mortes où tout un passé dort sous les mausolées et les dalles, oui! mais être mêlé à des apparences de vie qui ne sont rien, ne réalisent rien, sont mille fois plus silencieuses que les trépassés qui ont vingt siècles par-dessus leurs tombes, pauvre misère! Il l'oubliait en face de ces quelques gestes gauches d'un tout jeune homme par quoi se manifestait le premier, l'essentiel trouble d'une âme. Il se fixait dans le souvenir cette main un peu maigre et si hésitante, passant le châle de laine entre les épaules chaudes et le dossier de la chaise, et les narines qu'il avait vues frémir au-dessus des cheveux. Et il revoyait la jeune femme se tourner instinctivement, sans grande idée, sans doute, vers Septime. Il est probable qu'elle avait pensé tout simplement: «Il est aimable et prévenant». Cela avait suffi pour qu'elle éprouvât le désir de le voir, de le regarder reprendre sa place. Grandier repassait, repassait les deux ou trois phases du petit drame. La nuit se faisait plus complète et le parfum des giroflées environnait les ombres.

      VIII

      «Je vais ressusciter madame Durosay!»

      Grandier se voyait soufflant ces mots brûlants dans la petite figure racornie de M. de Prébendes. Il ne savait pourquoi ni comment il s'était retenu à ce moment d'exaltation, de prendre l'abbé sous les épaules et de le soulever, avec son parapluie de silésienne brune, en l'air et très haut, comme on fait aux enfants. Et il l'eût tenu, comme cela, à bras tendus, tout le temps qu'il eût fallu pour lui dire des choses qui eussent fait d'abord le digne homme se débattre là-haut, et puis qui l'eussent anéanti, c'est-à-dire tout ce qui avait germé dans sa cervelle e vieux païen et de guérisseur, durant cette soirée de torpeur et de sensualité, sous l'orme et le marronnier séculaires.

      «L'horrible péché de chair, l'abbé! entendez-vous! le péché de cette chair que vous veillez comme un avare son trésor stérile; la chair! la chair! nous l'allons découvrir et livrer aux baisers du beau soleil et des belles lèvres fraîches! La chair vierge, qui n'a jamais tressailli, l'une à cause de caresses gauches, et l'autre, par ignorance des caresses; l'une qui se meurt de n'avoir pas vécu, et l'autre quasi naissante, où la vie surabonde, la chair que le bon Dieu a ornée pour l'Amour; la chair de vos agneaux, cher abbé du bon Dieu! nous l'allons mettre en fête et en pâmoison; nous l'allons couvrir de parfums et de fleurs et nous ferons retentir les cymbales et le tambourin, et danserons autour du clocher de Néans parmi l'emmêlement des guirlandes tressées pour Aphrodite! Monsieur l'abbé, au bout de mes bras, entendez-vous les chants d'allégresse qui approchent, et le murmure des bouches jointes? saviez-vous qu'il y avait à Néans des bouches qui ne s'étaient jointes jamais à aucune bouche? Vraiment, vous ne vous préoccupiez point de cela, monsieur l'abbé, et vous nous chantez du Paradis. Qu'en savez-vous donc? Il y a de fortes lacunes à votre paroisse. Moi, je vous dis qu'elle allait être engloutie bientôt par le reste du monde à cause du vide qui s'y produisait!.. Et les cœurs qui s'étiolaient isolés! Ah! pouah! monsieur l'abbé, les cœurs solitaires!.. Eh bien! les voilà tout brûlants, dans le moment que je vous regarde à travers vos besicles!.. Le feu est à la mèche; je vous dis que je l'ai vu, de mes yeux vu… et nous n'y pouvons rien; non, non. On ne marche pas sur le feu qui court sur la mèche! Ha! ha! ha! ha!.. Que je vous repose sur le sol de la paroisse, monsieur l'abbé!


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