Le Peuple de la mer. Elder Marc

Le Peuple de la mer - Elder Marc


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seul dans son canot, gagna le Tyrus et emporta la caisse du bord. Une seconde bourrasque avait dispersé le navire.

      Depuis, le vieux Coët était mort bizarrement, la tête rôtie dans le foyer où on l’avait poussé, semblait-il. Son fils savait qu’il cachait de l’or, par là, sous terre, et le voilà qui s’offrait une barque, moins d’un an après avoir enterré le bonhomme! De quoi les imaginations s’échauffaient tandis que les commentaires allaient bon train.

      Le mot de la Gaude évoquait ces racontars méchamment, et Urbain Coët, devinant le sourire venimeux des hommes, derrière lui, se cramponnait à son pinceau pour ne pas leur lancer son poing dans la figure.

      Au bord de la fenêtre, la Gaude s’étirait, la croupe bombée, les seins hauts, cherchant de ses bras basanés les cerises empourprées de soleil. Elle en cueillit un bouquet et les happa d’un coup en arrachant les queues de sa bouche. L’œil inquiet de Mathieu veillait le cerisier et François accourut avec le coaltar pour détourner l’attention de la jeune femme.

      – Voilà tes cinq kilogs, c’est-il pour le compte d’Olichon?

      – Ben sûr! répliqua-t-elle en soufflant des noyaux au nez de Perchais.

      Onze heures sonnèrent à la cloche fêlée du vieux clocher de ville. Les Goustan lâchèrent précipitamment l’outil comme des ouvriers à la journée; François bourra un sac de copeaux pour sa femme; grand-père serra ses lunettes et Théodore déhala sur la vase la yole qui sert à franchir le port.

      Le soleil était haut; l’air brûlait, immobile et sec.

      – On prend l’apéritif? proposa Perchais à la Gaude.

      – Ah! j’ai point l’temps!

      – Que si! on rentrera ensemble et je porterai ta marmite, offrit Double Nerf.

      Cependant Urbain Coët s’entretenait à mi-voix avec le père Goustan:

      – Je pourrai point vous donner vos cent francs ce mois-ci, rapport à l’armement.

      Mais le vieux, bonhomme et amical, le tranquillisait:

      – Ça fait rien, va mon gars, tu connais bien les Goustan, on n’est pas des buveurs de sang! Tu paieras quand tu voudras, quand tu auras de l’argent, faut point te mettre en peine! Apporte une pistole, deux, trois, à ta guise! je te compte les intérêts comme aux autres, honnêtement, à six; t’as tout le temps pour toi!..

      C’est la manière de Mathieu Goustan. Le jour où il met une barque en chantier, il ouvre un compte au nom du client et les intérêts commencent à courir. Il sait qu’un pêcheur traîne sa note des années. Il en tient ainsi une vingtaine qui seront indéfiniment ses débiteurs et paieront deux fois leur barque. Mais parce qu’il ne les inquiète jamais, prend l’argent quand il vient, tous le vénèrent, chantent sa louange et le plus endetté de l’Herbaudière ne manque pas d’ajouter en parlant du vieux charpentier: Mathieu qu’est si bon pour les pauvres gens!

      Urbain le remercia comme il devait, puis s’installa pour casser la croûte – une tranche de fromage sur un quignon de pain – près de l’établi d’où son regard enserrait la barque d’ensemble.

      Les hommes embarquèrent dans la yole; Perchais assit la Gaude sur ses genoux, et en dix coups de godille, Théodore accosta le quai, en face.

      Le port est un étier long de deux kilomètres, ouvert sur la mer à l’est de l’île et fermé, au delà du chantier Goustan, par une écluse qui sert à irriguer les salines.

      Sur la rive gauche est groupé Noirmoutier, petit amas de maisons blanches coiffées de tuiles que dominent le cube granitique du château massif, fendu de meurtrières, sommé de toits pointus, et le clocher roman, lourd, parmi les touffes vibrantes des grands ormeaux.

      De l’autre côté, à droite, c’est le marais plat, quadrillé, fuyant jusqu’aux plages de l’ouest que bat la mer du large. Des silhouettes de moulins, comme de hauts bonshommes qui se font signe les bras au ciel, repèrent la plaine; des meules de sel frais éclatent d’une blancheur de neige dans la lumière.

      Les cultures sont rases, cachées aux plis du terrain, car la brise étrille rudement les plus hautes; et des arbres apparaissent, couchés sous le vent ainsi que des fumées. Ici et là, on découvre un âne confondu avec les champs roussis.

      Le long du quai deux dundees ventrus chargeaient des pommes de terre. A bord les chiens dormaient et les femmes épluchaient des légumes sous une voile. Partout des matelots arrosaient les ponts brûlants qui buvaient et ternissaient. On entendait les seaux tomber à la mer et l’eau ruisseler le long des coques.

      Pendant que Théodore amarrait la yole, les hommes filèrent droit chez Cônard qui tient un débit sur la place d’Armes, à côté de Malchaussé, le charpentier, dont la chèvre demeure à longueur d’année sur la rue, en compagnie du bois en bille.

      Dans la salle basse aux solives criblées de chiures de mouches sous lesquelles jaunissaient les almanach Cointreau et «La loi tendant à réprimer l’ivresse publique», un gars à Piron, en vareuse de l’Etat, avec le béret au nom glorieux de Marseillaise, fêtait son congé aux frais de Beaulieu, patron des Douanes. Ils s’alignèrent à leur suite, au bord de la table massive, et Double Nerf commanda le Picon qu’ils regardèrent servir avec recueillement.

      Et seulement après la trinquée d’usage et la première lampée, les rites étant accomplis, ils parlèrent.

      – C’est égal! avoua Perchais, c’est une belle barque!

      – Hein! vous avez vu ça! appuya Beaulieu.

      Du coup Double Nerf lâcha la Gaude dont s’empara le gars Piron.

      – Oui, dit-il, et que je l’voudrais sur les roches, la quille en l’air, le sloop à Coët.

      – Allons, allons, concilia Beaulieu, faut point souhaiter le mal.

      – Crois-tu que nous sommes pas assez de pêcheurs à l’Herbaudière, qu’il y a seulement pus d’sardines! Et Coët est pilote comme mon frère, crois-tu qui va pas lui manger son pain maintenant qu’il a une barque!

      Le Nain grogna d’approbation en bouchonnant son collier de poils rêches. Mais Perchais, pour remettre les choses au point, affirma d’assurance:

      – On lui flanquera toujours ben une frottée aux régates!

      – A savoir!.. fit le Nain.

      – A savoir tu dis! Ah! nom de Dieu!

      Echauffés, ils ordonnèrent une seconde tournée. Mais brusquement retentit l’éclat de deux gifles. Le béret au nom de Marseillaise vola et des brins rouges du pompon s’éparpillèrent. La Gaude se défendait contre Piron.

      – En v’là un salaud! ça lui suffit pas d’rigoler comme ça!

      La chaleur s’amassait dans la salle avec la fumée des cigarettes. Des flaques luisantes tachaient la table où circulait le paquet de tabac. Les buveurs s’approchaient coude à coude et se criaient mutuellement dans le visage, tandis que les antiques besoins de suprématie et les haines animales débouquées par l’alcool, montaient du fond de leur sang d’homme.

      Dans le chantier, Urbain avait déjà repris le travail. Par le large panneau ouvert sur le port, il pouvait voir l’eau immobile avec le ciel miré à perte de vue. Sur le quai en face, le jusant avait laissé une ligne de marée au-dessus de la yole des Goustan amarrée à l’escalier. Et le cri d’une poulie, parfois, tombait des airs comme un appel de mouette.

      A midi les hommes quittèrent le cabaret avec des mines de conspirateurs et la face ardente. Le soleil écrasait la terre poussiéreuse et leurs yeux clignèrent. Par bravade, ils décidèrent de retourner au chantier. Mais sur la cale, ils trouvèrent Urbain qui parlait à son frère Léon, un gars de dix-sept ans, joli et frêle, sans l’apparence nerveuse de l’aîné.

      Ils passèrent de biais, cauteleux et raclant le pavage, Perchais en tête avec le Nain, puis Double Nerf chargé du coaltar de la


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