Les Mystères du Louvre. Féré Octave

Les Mystères du Louvre - Féré Octave


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prétextes d'ajourner une conférence avec lui, s'en tenant à ses propositions exorbitantes, et ne voulant absolument pas en entendre de plus modérées que lui apportaient des envoyés de la régente. Inflexible et inexorable, il se flattait que l'ennui de la prison et la perspective d'y demeurer longtemps forceraient François Ier à réfléchir et à céder.

      Telles étaient les circonstances dont le chancelier espérait tirer parti au profit de sa diplomatie diabolique.

      D'accord avec un dominicain, que le prisonnier avait consenti à admettre près de lui, il lui avait fait entrevoir un secours puissant et inespéré, au cas où, rompant formellement avec les idées réformistes, il rentrerait dans le giron de l'Église romaine, dont l'inquisition espagnole était un des fermes boulevards.

      Le royal prisonnier avait entrevu là une porte par laquelle s'aplaniraient les exigences de son vainqueur. Quoique l'empereur ne fût pas au mieux avec la puissance temporelle du pape, il était cependant un fervent catholique, si fervent, que ses tendances religieuses devaient le mener à se faire moine.

      L'inquisition espagnole était le plus redoutable pouvoir de l'État, à côté du pouvoir impérial, obligé de procéder avec elle par des concessions continuelles. François Ier comprit tout cela, et abjura ostensiblement la réforme.

      Ce premier pas obtenu, les autres étaient moins difficiles; Duprat recevait par chaque courrier de nouveaux pouvoirs, qui l'acheminaient peu à peu à organiser un tribunal d'inquisition, capable de rivaliser par ses fureurs et ses raffinements avec ceux de la Péninsule. (Voyez Mézerai, Legendre, Anquetil, Dulaure.)

      Tel était le plan auquel ce ministre travaillait, et pour lequel il oubliait l'audience de la régente, lorsqu'un page de la princesse vint la lui rappeler.

      Il jeta sur l'édit inachevé un coup d'œil de regret et d'espoir, et se disposa à suivre le jeune messager.

      Son embarras ne laissait pas d'être assez grand, car Triboulet n'avait pas reparu depuis la veille; en sorte que le nom de son ennemi, le protégé de la princesse Marguerite restait impénétrable, et cependant il fallait tenir l'engagement pris vis-à-vis d'elle et de sa mère d'une façon si précise.

      A tout hasard, comptant sur sa bonne étoile, espérant toujours voir le bouffon apparaître avec la révélation promise, il pénétra dans le cabinet où les deux princesses l'attendaient.

      La plus agitée des deux était la régente; soit qu'elle s'intéressât aussi vivement aux angoisses de sa fille, soit qu'elle sentît une révolte intérieure contre la prédominance qu'elle laissait usurper à ce ministre, auquel, femme et souveraine, elle avait déjà fait trop de concessions.

      Marguerite contenait mieux ses tourments intérieurs. Elle sentait que la vie de Jacobus dépendait de son attitude, et trouvait dans cette perspective la force de paraître impassible et presque indifférente.

      Le regard faux du chancelier ne surprit aucun signe de colère, d'impatience ni de haine dans le salut par lequel elle répondit à son compliment.

      – Nous vous attendions, messire; lui dit avec plus de sécheresse la régente.

      – Les affaires, les nouvelles d'Espagne, répondit-il, ont causé un retard que Vos Altesses excuseront.

      – Et quelles nouvelles de Madrid, messire? reprirent-elles vivement.

      – Peu satisfaisantes; notre cher sire le roi s'ennuie; il tomberait dans le découragement sans le réconfort que lui prête la religion; aussi se montre-t-il disposé à arrêter par tous les moyens, si sévères qu'ils soient, l'extension de l'hérésie dans ce beau et catholique royaume de France.

      – Est-ce à dire, monsieur, interrompit la princesse, que vous songez à retirer la promesse que vous renouvelâtes hier encore, au sujet de l'élargissement de quelques-uns des prisonniers de religion?

      – Je n'ai pas eu ce dessein, madame, pas plus que je ne suis tenté de mettre en oubli que je ne suis rien, quand madame la régente commande. Je communique à Vos Altesses les désirs de Sa Majesté le roi, voilà tout.

      – C'est bien, messire, dit la régente; et puisque vous apportez cette liste des captifs, veuillez nous la communiquer, nous aviserons. Notre bien-aimé fils et roi est loin, il ignore au juste la situation du pays qui souffre, on ne saurait se le dissimuler. Un acte de clémence produirait de bons effets sur l'esprit public, sans nuire aux intérêts de la foi. Il suffit que l'amnistie porte sur des hommes de bonne notoriété, jouissant de l'estime générale et connus pour leur modération.

      – Votre Altesse s'exprime avec une haute et magnanime sagesse; je rappelle seulement à elle et à madame la princesse Marguerite, qu'il serait dangereux et impolitique de ne pas faire la part de la Sorbonne. Quant au surplus, voici les noms des prisonniers: si vous le jugez bon, je vais les appeler à haute voix et Vos Altesses choisiront à mesure ceux qu'elles souhaitent délivrer.

      La régente se plaça près de sa fille, qui prit une feuille de papier et une plume.

      Duprat, qui cherchait à gagner du temps, espérant tout des minutes pour le retour de son complice, entama d'abord les registres du Châtelet et de la Conciergerie.

      Marguerite recueillait çà et là quelques noms, dont elle formait son tableau de grâce. Son écriture ferme, sa main hardie à tracer les caractères ne révélaient aucun trouble.

      – Nous voici arrivés aux détenus de la Grosse-Tour du Louvre, prononça lentement le chancelier, en épiant l'effet de ses paroles.

      Le visage de la princesse ne subit aucune altération.

      – Nous écoutons, messire, répondit-elle froidement.

      Alors, le tigre en arrêt sur sa proie commença à épeler avec une lenteur calculée chaque syllabe, en couvant de sa prunelle la physionomie de la princesse.

      Pas un de ses muscles ne bougea, elle demeura aussi calme, aussi pâle, aussi grave que quand il avait prononcé les noms les plus indifférents.

      Lorsqu'il eut fini ce long martyrologe, elle lui tendit sans trembler la feuille où figuraient les noms des élus.

      Il y jeta un coup d'œil avide, mais auquel succéda soudain une contraction de ses épais sourcils, indice de son espoir trompé. Tous ces noms étaient tracés avec la même netteté calligraphique.

      – Eh bien! messire, demanda Marguerite, au bout d'un moment, avez-vous quelque objection à élever sur aucun de ces choix?..

      Une voix connue de toute la cour retentit tout à coup dans un couloir voisin, répétant ce refrain, qui résumait les jurons favoris des quatre derniers rois, y compris le monarque actuel:

      Quant la Pasque-Dieu décéda

      Par-le-jour-Dieu lui succéda,

      Le Diable m'emporte s'en tient près;

      Foi de gentilhomme vint après.

      Un frétillement argentin accompagna le chant et soulagea d'une façon sensible le ministre, en venant au devant de la réponse embarrassée qu'il cherchait.

      Son auxiliaire lui était rendu; c'était Triboulet!

      – Holà! holà! glapissait-il en se rapprochant, place à mademoiselle du Carillon et à son carillonneur!.. C'est l'audience de madame la duchesse, et Son Altesse ne saurait se passer de sa première demoiselle d'honneur et de bonne humeur!.. place à mademoiselle du Carillon!..

      Et l'impudent bouffon tomba, comme une balle lancée par une raquette élastique, au beau milieu du cabinet.

      Les huissiers n'avaient pas pu le retenir, et les princesses, prises à l'improviste et habituées à ces incartades, ne songeaient pas à le chasser.

      Eh quoi! s'écria-t-il, je comptais entrer en audience gracieuse, et je me trouve en plein conseil! Remerciez-en votre bonne étoile, Altesse, et vous, messire chancelier. Puisque vous délibérez, sur ma foi! un fou de plus ne saurait être de trop.

      – Renvoyez ce bouffon, messire, dit Marguerite à Duprat, avec un mépris qui montrait


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