Les Mystères du Louvre. Féré Octave
vous créer tant de peine?
– Ah! c'est que la foi en ma mère me manque! c'est que mon amour pour mon cher chevalier n'aura de contentement que quand je le saurai hors de la portée de ce chancelier maudit, qui ne le hait tant…
– Que parce qu'il vous aime lui-même.
C'était l'aveu que mademoiselle de Tournon avait retenu au début, mais qu'elle n'hésitait plus à lancer maintenant.
Il atteignit la princesse comme un dard en pleine blessure, mais il lui rappela qu'elle l'avait déjà entendu dans la bouche de sa mère.
– Hein!.. s'écria-t-elle, tu sais cela, toi aussi! C'est donc vrai, bien vrai?..
– Il m'a suffi de voir le chancelier vous baiser la main et vous regarder deux fois pour en être sûre. Si j'eusse gardé un doute, sa haine pour le chevalier de Pavanes l'aurait écarté.
– Tu as raison; tout serait sauvé si je découvrais le secret… Mais par quel moyen humain?..
– A côté des moyens humains, insinua Hélène, Votre Altesse n'a-t-elle jamais ouï dire qu'il en existât d'autres?..
– Desquels veux-tu parler?..
– Votre Altesse ne m'a-t-elle pas raconté comment madame la duchesse avait congédié maître Corneille Agrippa qui ne confectionnait pas un horoscope à son gré?
– Prétendrais-tu lui demander le mien?
– Non certes: maître Corneille Agrippa a quitté le Louvre et probablement la France; mais il n'était pas le seul savant que possédât Paris.
– Extravagance!
– Mon Dieu, sans doute, à première vue tout le monde s'écrie comme Votre Altesse: Extravagance! Puis, de curiosité ou de désespoir les plus fiers s'y résignent.
– Je gage que tu t'es laissé prendre aux jongleries de quelqu'un de ces devins?
– Écartons ma personnalité, Altesse, je vous en prie, elle n'est d'aucun poids. Mais si je vous affirmais que, pas plus tard qu'hier, madame la duchesse régente a fait mander et a consulté en grand mystère un nécroman du nom de Cinchi?..
– Je connais ce nom, je l'ai entendu en effet prononcer plusieurs fois, et moi-même en ai parlé chez ma mère…
– Un personnage étrange, dont les prédictions et les révélations confondent les plus incrédules. Que vous en coûte-t-il d'essayer? Cette démarche ne saurait nuire au plan entrevu par madame la duchesse; au contraire, car si elle-même a consulté l'astrologue pour combiner ses projets, est-ce leur nuire que de le consulter sur leur réussite? Ah! si Votre Altesse allait requérir des philtres et des charmes!.. Mais un simple horoscope?..
– Il me semble que c'est tenter Dieu… murmura Marguerite visiblement ébranlée.
– Si Dieu vous fait défaut…
– Ne blasphème pas, ma mie! J'ai toujours évité de telles pratiques, elles répugnent à ma foi. Hélas! j'aurais bien besoin pourtant que quelque chose me vînt en aide.
Et, couvrant son beau visage de ses mains, elle laissa filtrer des larmes qui roulèrent comme des perles sur la soie noire de sa robe.
– Comme vous souffrez!.. soupira Hélène. Que faudrait-il donc pour alléger vos chagrins?
– Ce qu'il faudrait? D'abord me rendre, ne fût-ce qu'un instant, les baisers de Jacobus; dès que je cesse de le voir, il me semble que c'est pour toujours.
– Ne pouvez-vous descendre auprès de lui?..
– Sous le regard des espions du chancelier!..
– C'est vrai, ce serait hâter, provoquer sa perte… Mais, fit-elle, frappée d'une inspiration, il doit exister d'autres moyens… Ne désespérez de rien; je mettrai, s'il le faut, le feu au palais, mais vous reverrez le chevalier sans témoins, sans espions!..
– Que médites-tu? que vas-tu faire?
– Ne m'interrogez pas, espérez!
Et elle sortit afin de ne pas perdre un instant.
Qui eût considéré Marguerite lorsque l'éloignement de son amie la livra de nouveau à l'empire de son désespoir, n'eût guère reconnu, comme elle l'avait dit elle-même, dans cette jeune femme courbée par l'adversité, dans ce beau visage décoloré, dans ces yeux obscurcis et cernés d'une empreinte bleuâtre, la brillante princesse, l'astre de son siècle, le génie badin qui devait livrer à la postérité ces fabliaux que ses successeurs en poésie ont traduits et imités dans toutes les langues.
On n'eût pas deviné davantage, il est vrai, dans cette jeune fille grave et attristée, qui se dévouait pour abréger ses tortures, l'amie enjouée, rieuse, coquette et folle, qui partageait ses ébats poétiques, et dont les saillies donnaient l'élan à sa muse.
Cependant, lorsqu'elle reparut, après plusieurs heures, son œil limpide était ranimé, l'incarnat avait refleuri sur ses joues veloutées, la confiance était au bord de ses lèvres fraîches et purpurines.
Elle s'approcha de la princesse, que rien n'avait pu arracher à sa méditation, et lui prenant la main par un geste caressant:
– Le voir, l'embrasser encore, avez-vous dit, chère Altesse, ou mourir! Eh bien, vous vivrez; venez, vous le verrez et l'embrasserez!..
IX
LE SOUCI D'OR
Le chancelier ne doutait pas que son séide, Triboulet, ne l'attendît dans son appartement, car il lui tardait d'obtenir des renseignements sur le prisonnier de la Grosse-Tour.
Cependant il s'assura bientôt qu'aucun des huissiers ne l'avait vu, et qu'il n'était pas davantage entré par la porte secrète de sa chambre. Sa contrariété retomba en sévérités sur ses gens et sur ses secrétaires. Il allait aussi leur donner l'ordre de se mettre à la recherche du bouffon et de le lui amener, lorsqu'il s'avisa que cette absence n'était peut-être bien causée que par les nécessités de son service, auquel cas il serait dangereux de déranger son confident, et surtout de s'exposer à faire tomber leurs manœuvres communes en des mains indiscrètes.
Il se résigna donc à attendre, tout en ajoutant aux décrets en élaboration sur sa table de travail quelques nouvelles clauses où s'épanchait, en violences contre les novateurs et les écrivains, l'acrimonie dont tout son être débordait.
Son rival heureux était un lettré et un érudit; il traça ainsi de sa plume fiévreuse le plan de cet édit qui abolissait l'imprimerie, défendait l'impression d'aucun livre dans le royaume, stipulant pour quiconque enfreindrait cette défense la peine de la hart. Cette mesure fut, en effet, plus tard, promulguée avec l'approbation du roi, c'est-à-dire de ce François Ier que ses courtisans appelaient le restaurateur des lettres, et que bien des gens considèrent comme ayant mérité ce titre.
Puis, toujours de cette encre qui coulait sous ses doigts comme un venin inépuisable, il entassait par-dessus ce décret celui qui défendait, au nom du pape, aux professeurs de l'Université l'interprétation française des livres saints: «Est fait à eux défense et inhibition de lire et interpréter aucun livre de la sainte Écriture en langue hébraïque ou grecque.» (Registres manuscrits du Parlement, au 14 janvier 1533.)
Cette ordonnance ne laissa pas de subir quelques difficultés, car les professeurs dont il était question, et qu'on appelait les liseurs du roi en l'Université, avaient précisément été institués par François Ier, avec l'obligation d'interpréter les livres hébraïques, – et l'on sait que les seuls livres existant dans cette langue sont les livres religieux. Les professeurs résistèrent, mais à la longue le roi lui-même céda, et les pauvres savants, dénoncés au procureur du roi comme suspects d'hérésie, n'eurent que la ressource de s'abstenir, pour ne pas être brûlés vifs.
Duprat se mirait dans son œuvre, et commençait à reprendre un à un les articles de l'établissement d'une inquisition, quand son confident interrompit cette louable besogne. C'était grand dommage, il se sentait