Les Mystères du Louvre. Féré Octave

Les Mystères du Louvre - Féré Octave


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pour certaines, principalement quand l'adversité est venue m'atteindre. Quelques-unes de ses leçons restent gravées dans ma mémoire:

      «Enfant, me disait-il, il faut convenir que nos docteurs sont de bien grands orgueilleux, avec leur prétention de tout expliquer et leur dédain pour la sagesse des autres âges. L'homme impartial qui étudie et approfondit est moins tranchant et plus humble: il ne croit pas surtout que le monde ait vécu un nombre inconnu de siècles plongé dans les ténèbres de l'esprit, et que la vérité soit toute moderne. En quoi valons-nous donc mieux que les habitants de ces empires immenses, dont il ne reste que de rares débris, qui écrasent pourtant nos œuvres de pygmées?

      «Il ne faut pas rire de la théologie de ces peuples antiques, car ils étaient plus près de Dieu que nous. Leurs mystérieuses doctrines sur la migration, sur la transmission des âmes n'étaient-elles que mensonge? La même âme ne saurait-elle, en dépit de nos docteurs, servir successivement à animer plusieurs corps? D'où viennent les similitudes merveilleuses que l'histoire elle-même consacre dans les caractères des hommes et les événements qui en résultent, en quelque sorte dans un cercle fatal, s'il n'existe aucune relation entre le souffle qui nous anime et celui qui fut l'âme de nos devanciers?

      «Je ne te dirai jamais, avec les pyrrhoniens: Doute de tout; mais, si tu es sage, tu ne dédaigneras rien des religions ni des croyances antiques. Crois-tu donc, quand il plaît à Dieu d'animer la matière, qu'il crée une âme nouvelle pour chaque homme qui naît? Cette essence qui échappe à notre tact, à notre analyse, se perd-elle dans l'espace, retourne-t-elle se confondre dans le grand tout de l'immensité au sortir de notre misérable corps?.. Avant de conclure avec nos prétendus savants, enfant, médite et réfléchis…»

      Voilà ce que me répétait mon père, voilà pourquoi, chère Marguerite, convaincu de l'immortalité de la partie la plus noble de mon être, j'ai aspiré souvent après une seconde existence, qui sera, – puisque Dieu est la justice même, – la compensation de celle-ci.

      La princesse l'avait écouté avec recueillement; occupée elle-même d'études théologiques, lancée à la poursuite de la vérité ou de la nouveauté, parce que les enseignements de la Sorbonne ne satisfaisaient ni son impatience ni sa raison, elle suivait avec intérêt ces doctrines, qui semblaient la séduire.

      Son œil rêveur erra longtemps sous la voûte du cachot, indiquant les efforts de son imagination pour saisir la substance de ces enseignements.

      – Oui, dit-elle enfin, de cet air inspiré qui lui valut, la première en France, le titre de dixième muse, quelque chose se prononce en moi pour m'assurer que ce ne sont pas là de pures fantasmagories… Notre âme ne meurt point, et cette immortalité, en la perpétuant sous divers aspects, réalise ce dogme de la récompense ou du châtiment divin. Il est impossible, quand on s'est tant aimé dans la douleur, qu'une juste providence ne nous rapproche pas un jour dans la joie…

      Les paroles de ton père, Jacobus, étaient une révolution, une prophétie. Si la fatalité, liguée contre nous, déjouait nos desseins, j'ai la foi que, renaissant un jour, fût-ce dans un siècle, en des conditions meilleures, notre étoile nous remettrait en présence l'un de l'autre, et nous réunirait.

      – C'est ma confiance et ma consolation aussi!..

      – Oh! oui, poursuivit Marguerite avec une sorte d'illumination, les âmes se transmettent! Sans cela, d'où viendraient ces attractions singulières qui sont la manifestation de l'amour… L'amour! mais il est plein de réminiscences mystérieuses!.. Quand on s'aime bien, ne semble-t-il pas que cette béatitude ne soit que la continuation d'une vie antérieure?.. On se connaît du premier instant qu'on se rencontre; la sympathie s'établit sans qu'on y songe, et tandis que vous restez en constant éloignement avec certains êtres, vous êtes porté par une voix intérieure, vers d'autres, comme s'ils s'étaient déjà identifiés à vous-même!..

      – Adorée Marguerite! que n'est-il donné à mon père de vous voir et de vous entendre! Combien il serait fier de rencontrer un disciple qui interprète et devance si éloquemment les visées de sa philosophie!..

      – Moi aussi, ami, j'eusse voulu connaître ce sage patriarche. Hélas! mon vieux serviteur, Michel Gerbier, mon père de nourrice, est de retour depuis hier, ayant tout mis en œuvre sans retrouver sa trace.

      Le prisonnier serra sa main avec émotion.

      – Merci, noble femme…

      Et il s'arrêta; un mot de plus, ses larmes débordaient.

      – Brave cœur, dit-elle à demi-voix; au fond de ce cachot, c'est sur le malheur de son père qu'il s'afflige!..

      Alors, cédant à ce sentiment d'admiration, elle posa silencieusement ses lèvres sur ses deux yeux profonds et tristes, pour écarter leurs soucis par ses baisers.

      Deux petits coups frappés derrière la pierre tournante mirent fin à cet épanchement.

      – Déjà!.. soupira Jacobus.

      – Les minutes sont brèves, qui sont heureuses… Mais cette issue, fermée à nos ennemis, peut se rouvrir pour nous…

      Deux nouveaux coups indiquèrent la nécessité de la séparation, en même temps que du coin de la porte secrète s'avança la tête du vieux geôlier disgracié.

      – Pas un instant à perdre, Altesse, dit-il; voici l'heure de la ronde des gardiens; l'écho m'annonce qu'ils sont entrés dans la galerie…

      Il fallait son oreille exercée à ces bruits souterrains pour discerner cet incident dans le silence apparent qui remplissait cette lourde atmosphère.

      – Adieu! adieu donc! murmura Jacobus de Pavanes.

      – Au revoir! répondit Marguerite.

      La pierre roula sur son pivot, la lumière apportée par le vieux guide disparut.

      Lorsque les gardiens jetèrent leur coup d'œil méfiant dans la cellule, à quelques secondes de là, ils aperçurent le prisonnier étendu sur sa couche, le visage tourné vers le mur, et la clarté imperceptible de la lampe, dont le lumignon, à bout d'huile, crépitait, prêt à s'éteindre.

      – Tout va bien, prononça le chef de la ronde; il dort, et l'ange des tombeaux sera habile s'il arrive jusqu'à lui.

      XI

      TEL MAITRE, TEL VALET

      La journée qui succéda à cette nuit de mélancoliques aspirations s'écoula pour la princesse Marguerite avec une lenteur mortelle.

      Elle refusa de quitter sa chambre, alléguant une indisposition, ce qui n'était que trop justifié par son abattement, par le marasme qui, de son moral, influait sur ses forces physiques.

      Hélène de Tournon, seule initiée à ses chagrins et à ses angoisses, resta auprès d'elle et ne la quitta qu'un instant vers la fin du jour.

      Les croisées de la princesse donnaient sur la Seine. Son appartement se trouvait au premier étage, dans la partie du palais qui va aujourd'hui se réunir par un angle au pavillon de Charles IX, et devant laquelle s'étend le parterre de l'Infante.

      Dans ces constructions gothiques, l'épaisseur des murailles, l'élévation de l'appui des fenêtres, étroites et longues d'ailleurs, ne permettaient guère de jouir de l'aspect du dehors. On avait pour cela, dans les habitations princières, ces grands sièges, hauts sur leurs pieds, à la forme solennelle, comme les retraits auxquels ils étaient destinés.

      C'était d'un de ces fauteuils que Marguerite de Valois contemplait les lueurs ardentes du soleil couchant, qui se reflétaient en cascades diamantées sur les flots de la Seine.

      C'était à cette place, de ce fauteuil, dans ces splendeurs du firmament, dans ces magnificences de la nature, que son imagination puisait parfois ses plus poétiques inspirations.

      Ce soir-là, pensive et grave, qu'allait-elle leur demander? Quelles révélations son esprit attendait-il de ces sphères perdues dans l'immensité?

      Peut-être, gagnée à des velléités superstitieuses, se rappelait-elle les croyances de sa mère


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