Chroniques de J. Froissart, Tome Premier, 1re partie. Froissart Jean
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Chroniques de J. Froissart, Tome Premier, 1re partie
Art. 14. Le conseil désigne les ouvrages à publier, et choisit les personnes les plus capables d'en préparer et d'en suivre la publication.
Il nomme, pour chaque ouvrage à publier, un Commissaire responsable, chargé d'en surveiller l'exécution.
Le nom de l'éditeur sera placé en tête de chaque volume.
Aucun volume ne pourra paraître sous le nom de la Société sans l'autorisation du Conseil, et s'il n'est accompagné d'une déclaration du Commissaire responsable, portant que le travail lui a paru mériter d'être publié.
Le Commissaire responsable soussigné déclare que l'Édition des Chroniques de J. Froissart, préparée par M. Siméon Luce, lui a paru digne d'être publiée par la Société de l'Histoire de France.
Fait à Paris, le 1er mai 1869.
J. FROISSART.
DE L'IMPORTANCE DES CHRONIQUES DE FROISSART,
ET DU PLAN QUI A PRÉSIDÉ EN GÉNÉRAL A CETTE ÉDITION
Froissart est un monde. Au triple point de vue historique, littéraire, philologique, on pourrait même ajouter romanesque et poétique, le chroniqueur de Valenciennes représente à peu près seul pour le commun des lecteurs un siècle presque entier, et ce siècle est le quatorzième, époque de transition et de crise, de décomposition et d'enfantement où finit le moyen âge, où commencent véritablement les temps modernes. Froissart n'a pas borné ses récits au pays qui l'a vu naître et dont la langue est la sienne: il a raconté l'Angleterre aussi bien que la France, la France de la Seine, de la Loire et de la Garonne aussi bien que celle de l'Escaut et de la Meuse, l'Espagne et le Portugal aussi bien que l'Italie; son œuvre intéresse à la fois, quoiqu'à des degrés divers, toutes les nations qui jouaient au temps où il a vécu un rôle plus ou moins marqué dans la civilisation occidentale.
Au quatorzième siècle, les anciennes institutions tombaient en ruines, et les institutions nouvelles n'avaient pas encore eu le temps de s'asseoir: il ne restait debout que des individus isolés par la féodalité, exaltés par l'idéal chevaleresque. Froissart a cédé à l'influence de son temps, sans doute aussi à celle de son propre génie, et il a fait aux individus une part énorme dans ses récits. De là vient l'importance exceptionnelle, incomparable de son [oe]uvre au point de vue de la géographie et de la biographie: dans l'histoire de l'Europe, telle qu'il l'a comprise et tracée, des milliers de familles anciennes retrouvent leur propre histoire. Un pareil trésor est d'autant plus précieux que la plupart de ces familles appartiennent à la France et à l'Angleterre, c'est-à-dire aux deux plus grandes nations dont s'honore l'humanité depuis la race grecque, aux deux nations qui ont fondé la liberté et l'égalité sur le travail. Très-indifférent, il faut bien l'avouer, aux recherches nobiliaires proprement dites, nous pensons que l'amour des ancêtres, l'esprit de famille, le sentiment d'étroite solidarité des générations qui se succèdent est la source vive de toute vertu, la condition indispensable de tout progrès durable. Aussi les Chroniques de Froissart, considérées à ce point de vue, nous semblent-elles avoir un caractère particulièrement vénérable; nous y voyons ce que les Romains auraient appelé un temple international, un panthéon des dieux lares: il sied d'autant plus à la France nouvelle d'honorer ces dieux qu'elle leur rend désormais un culte exempt de toute exclusion de caste non moins que d'idolâtrie.
Autant l'œuvre de Froissart est importante, autant il est difficile d'en donner une bonne édition. Les Chroniques se divisent, comme on sait, en quatre livres, qui forment autant d'ouvrages distincts, dont chacun dépasse en étendue le plus grand nombre des compositions historiques de l'antiquité et du moyen âge. Ces livres sont tellement distincts que, dans le cas où le même manuscrit en contient plusieurs, un éditeur des Chroniques a parfois besoin, à notre avis du moins, d'étudier chacun d'eux à part, en faisant abstraction de ceux qui le précèdent ou le suivent. Personne n'ignore que le classement préalable des manuscrits par familles est le fondement indispensable de toute édition qui veut revêtir un caractère scientifique, qui aspire à être quelque peu solide et durable. Or, il peut arriver, il arrive que dans le même manuscrit tel livre appartient à une famille, tel autre livre à une autre famille. Il convient alors de suivre la méthode de Jussieu; et, sans tenir compte d'une juxtaposition purement matérielle, il faut tâcher de démêler dans chaque livre, sous des apparences souvent trompeuses, les caractères génériques, essentiels, afin de le classer dans la famille à laquelle ces caractères le rattachent. Tel est le travail que nous avons entrepris pour les manuscrits du premier livre des Chroniques et dont on trouvera le résultat consigné dans cette introduction.
Il ne faut donc pas chercher ici des vues sur l'ensemble de l'[oe]uvre de Froissart; ce n'est pas le lieu d'exposer ces vues, et d'ailleurs un volume y suffirait à peine. Il n'y faut pas chercher davantage, pour les motifs qu'on vient d'indiquer, un classement des manuscrits des quatre livres. A chaque jour suffit sa peine. La prudence autant que la logique conseillait de suivre le précepte de notre Descartes et de diviser les difficultés pour les mieux résoudre.
Ce qui pourra sembler étrange, c'est qu'aucun des éditeurs précédents, fort nombreux pourtant, n'avait frayé la voie où nous avons dû le premier nous engager; et le classement que nous allons soumettre au public se recommandera, à défaut d'autre mérite, par son entière originalité et par sa nouveauté. C'est à l'illustre Dacier que les érudits sont redevables du travail le plus important qui ait été fait jusqu'à ce jour sur Froissart, au point de vue des sources; mais ce travail est une simple description, non un classement de la plupart des manuscrits de notre Bibliothèque impériale et d'un certain nombre de manuscrits étrangers1. Nous espérons compléter un jour le tableau de Dacier et donner la description détaillée, minutieuse et pour ainsi dire technique de tous les manuscrits de Froissart, sans exception, ainsi que la bibliographie des éditions des Chroniques qui ont paru soit en France, soit dans les autres pays; comme nous avons à cœur de rendre ce travail aussi complet que possible, il a semblé sage de le réserver avec le glossaire et les tables pour la fin de notre édition.
La tâche que nous nous proposons est autre et plus restreinte: si l'on excepte quelques observations sur l'accentuation et la ponctuation qui ont un caractère plus général, nous n'entretiendrons pour le moment le lecteur que du premier livre. Distinguer et caractériser les diverses rédactions de ce premier livre, fixer, s'il est possible, sinon leur date précise, du moins l'ordre chronologique dans lequel elles se sont succédé, distribuer et grouper par familles naturelles les manuscrits qui appartiennent à chacune de ces rédactions: tel est le but principal de l'introduction qui va suivre.
Cette introduction se compose de trois parties dont la première est consacrée au classement des différentes rédactions et des divers manuscrits du premier livre, la seconde à l'exposé du plan de l'édition, la troisième enfin à quelques aperçus sur la valeur tant historique que littéraire du premier livre et sur le génie de Froissart.
PREMIÈRE PARTIE
DU CLASSEMENT DES DIFFÉRENTES RÉDACTIONS ET DES DIVERS MANUSCRITS DU PREMIER LIVRE
On compte trois rédactions du premier livre des Chroniques profondément distinctes les unes des autres.
L'une de ces rédactions est celle que donnent tous les manuscrits autres que ceux d'Amiens, de Valenciennes et de Rome; elle est représentée par environ cinquante exemplaires: c'est pourquoi, en attendant que nous ayons essayé de prouver qu'elle est la première en date, nous l'appellerons provisoirement la rédaction ordinaire.
Une autre rédaction que nous considérons comme la seconde, s'est conservée seulement dans les deux manuscrits d'Amiens et de Valenciennes: nous la désignerons jusqu'à nouvel ordre par le principal manuscrit qui la représente et nous la nommerons rédaction d'Amiens.
Enfin, une dernière rédaction, que tout le monde s'accorde à regarder comme la troisième, ne subsiste que dans le célèbre manuscrit de Rome.
Nous allons examiner successivement dans
1
Buchon l'a publié d'après les notes de Dacier,