Les chasseurs de chevelures. Reid Mayne
commencames a fumer des regalias et a boire du madere a douze dollars la bouteille! Ce vin etait commande par l'un des convives, non par simple bouteille, mais par demi-douzaines. Je me rappelle parfaitement cela, et je me souviens aussi que la carte des vins et le crayon me furent vivement retires des mains chaque fois que je voulus les prendre. J'ai souvenir d'avoir entendu le recit d'aventures terribles avec les Pawnies, les Comanches, les Pieds-Noirs, et d'y avoir pris un gout si vif que je devins enthousiaste de la vie de la prairie. Un des marchands, me demanda alors si je ne voudrais pas me joindre a eux dans une de leurs tournees; sur quoi je fis tout un discours qui avait pour conclusion l'offre d'accompagner mes nouveaux amis dans leur prochaine expedition. Apres cela, Saint-Vrain declara que j'etais fait pour ce genre de vie, ce qui me flatta infiniment. Puis quelqu'un chanta une chanson espagnole avec accompagnement de guitare, je crois; un autre executa une danse de guerre des Indiens. Enfin nous nous levames tous et entonnames en choeur: Banniere semee d'etoiles! A partir de ce moment, je ne me rappelle plus rien, jusqu'au lendemain matin, ou je me souviens parfaitement que je m'eveillai avec un violent mal de tete.
J'avais a peine eu le temps de reflechir sur mes folies de la veille, que ma porte s'ouvrit; Saint-Vrain et une demi-douzaine de mes compagnons de table firent irruption dans ma chambre. Ils etaient suivis d'un garcon portant plusieurs grands verres entoures de glace, et remplis d'un liquide couleur d'ambre pale.
– Un coup de sherry, monsieur Haller! cria l'un; c'est la meilleure chose que vous puissiez prendre; buvez, mon garcon, cela va vous rafraichir en un saut d'ecureuil.
J'avalai le fortifiant breuvage.
– Maintenant, mon cher ami, dit Saint-Vrain, vous valez cent pour cent de plus! Mais, dites-moi: est-ce serieusement que vous avez parle de venir avec nous a travers les plaines? Nous partons dans une semaine. Je serais au regret de me separer de vous sitot.
– Mais je parlais tres-serieusement. Je vais avec vous, si vous voulez bien m'indiquer ce qu'il faut faire pour cela.
– Rien de plus aise. Achetez d'abord un cheval.
– J'en ai un.
– Eh bien, quelques articles de vetement, un rifle, une paire de pistolets, un…
– Bon, bon! j'ai tout cela. Ce n'est pas ca que je vous demande. Voici: vous autres, vous portez des marchandises a Santa-Fe; vous doublez ou triplez votre argent par ce moyen. Or, j'ai 10,000 dollars ici, a la Banque. Pourquoi ne combinerais-je pas le profit avec le plaisir, et n'emploierais-je ce capital comme vous faites pour le votre?
– Rien ne vous en empeche; c'est une bonne idee.
– Eh bien, alors, si quelqu'un de vous veut bien venir avec moi et me guider dans le choix des marchandises qui conviennent le mieux pour le marche de Santa-Fe, je paierai son vin a diner, et ce n'est pas la une petite prime de commission, j'imagine.
Les marchands de la prairie partirent d'un grand eclat de rire, declarant qu'ils voulaient tous aller courir les boutiques avec moi. Apres le dejeuner nous sortimes bras dessus bras dessous. Avant l'heure du diner, j'avais converti mes fonds en calicots, couteaux longs et miroirs, conservant juste assez d'argent pour acheter des mules, des wagons, et engager des voituriers a Independance, notre point de depart pour les prairies. Quelques jours apres nous remontions le Missouri en steam-boat, et nous nous dirigions vers les prairies, sans routes tracees, du Grand-Ouest.
II
LA FIEVRE DE LA PRAIRIE
Nous employames une semaine a nous pourvoir de mules et de wagons a Independance, puis nous nous mimes en route a travers les plaines. Le caravane se composait de cent wagons conduits par environ deux cents hommes. Deux de ces enormes vehicules contenaient toute ma pacotille. Pour en avoir soin, j'avais engage deux grands et maigres Missouriens a longues chevelures. J'avais aussi pris avec moi un Canadien nomade, appele Gode, qui tenait a la fois du serviteur et du compagnon. Que sont devenus les brillants gentlemen de l'hotel des Planteurs? ont-ils ete laisses en arriere? On ne voit la que des hommes en blouse de chasse, coiffes de chapeaux rabattus. Oui, mais ces chapeaux recouvrent les memes figures, et sous ces blouses grossieres on retrouve les joyeux compagnons que nous avons connus. La soie noire et les diamants ont disparu; les marchands sont pares de leur costume des prairies. La description de ma propre toilette donnera une idee de la leur, car j'avais pris soin de me vetir comme eux. Figurez-vous une blouse de chasse de daim faconnee. Je ne puis mieux caracteriser la forme de ce vetement qu'en le comparant a la tunique des anciens. Il est d'une couleur jaune clair, coquettement orne de piqures et de broderies; le collet, car il y a un petit collet, est frange d'aiguillettes taillees dans le cuir meme. La jupe, ample et longue, est brochee d'une frange semblable. Une paire de jambards en drap rouge montant jusqu'a la cuisse, emprisonne un fort pantalon et de lourdes bottes armees de grands eperons de cuivre. Une chemise de cotonnade de couleur, une cravate bleue et un chapeau de Guayaquil a larges bords completent le liste des pieces de mon vetement. Derriere, moi sur l'arriere de ma selle, on peut voir un objet d'un rouge vif roule en cylindre. C'est mon mackinaw, piece essentielle entre toutes, car elle me sert de lit la nuit et de manteau dans toutes les autres occasions. Au milieu se trouve une petite fente par laquelle je passe ma tete quand il fait froid ou quand il pleut, et je me trouve ainsi couvert jusqu'a la cheville.
Ainsi que je l'ai dit, mes compagnons de voyage sont habilles comme moi. A quelque difference pres dans la couleur de la couverture et des guetres, dans le tissu de la chemise, la description que j'ai donnee peut etre consideree comme un type du costume de la prairie. Nous sommes tous egalement armes et equipes a peu de chose pres de la meme maniere. Pour ma part, je puis dire que je suis arme jusqu'aux dents. Mes fontes sont garnies d'une paire de revolvers de Colt, a gros calibre, de six coups chacun. Dans ma ceinture, j'en ai une autre paire de plus petits, de cinq coups chacun. De plus, j'ai mon rifle leger, ce qui me fait en tout vingt-trois coups a tirer en autant de secondes. En outre, je porte dans ma ceinture une longue lame brillante connue sous le nom de bowie-knife (couteau recourbe). Cet instrument est tout a la fois mon couteau de chasse et mon couteau de table, en un mot, mon couteau pour tout faire. Mon equipement se compose d'une gibeciere, d'une poire a poudre en bandouliere, d'une forte gourde et d'un havre-sac pour mes rations. Mais si nous sommes equipes de meme, nous sommes diversement montes. Les uns chevauchent sur des mules, les autres sur des mustangs1; peu d'entre nous ont emmene leur cheval americain favori. Je suis du nombre de ces derniers.
Je monte un etalon a robe brun fonce, a jambes noires, et dont le museau a la couleur de la fougere fletrie. C'est un demi-sang arabe, admirablement proportionne. Il repond au nom de Moro, nom espagnol qu'il a recu, j'ignore pourquoi, du planteur louisianais de qui je l'ai achete. J'ai retenu ce nom auquel il repond parfaitement. Il est beau, vigoureux et rapide. Plusieurs de mes compagnons se prennent de passion pour lui pendant la route, et m'en offrent des prix considerables. Mais je ne suis pas tente de m'en defaire, mon noble Moro me sert trop bien. De jour en jour je m'attache davantage a lui. Mon chien Alp, un Saint-Bernard que j'ai achete d'un emigrant suisse a Saint-Louis, possede aussi une grande part de mes affections. En me reportant a mon livre de notes, je trouve que nous voyageames pendant plusieurs semaines a travers les prairies, sans aucun incident digne d'interet. Pour moi, l'aspect des choses constituait un interet assez grand; je ne me rappelle pas avoir vu un tableau plus emouvant que celui de notre longue caravane de wagons; ces navires de la prairie, se deroulaient sur la plaine, ou grimpant lentement quelque pente douce, leurs baches blanches se detachant en contraste sur le vert sombre de l'herbe. La nuit, le camp retranche par la ceinture des wagons et les chevaux attaches a des piquets autour formaient un tableau non moins pittoresque. Le paysage, tout nouveau pour moi, m'impressionnait d'une facon toute particuliere. Les cours d'eau etaient marques par de hautes bordures de cotonniers dont les troncs, semblables a des colonnes, supportaient un epais feuillage argente. Ces bordures, par leur rencontre en differents points, semblaient former comme des clotures et divisaient la prairie de telle sorte, que nous paraissions voyager a travers des champs bordes de haies gigantesques. Nous traversames plusieurs rivieres, les unes a gue, les autres, plus larges et plus profondes, en faisant flotter nos wagons. De temps en temps nous apercevions des daims et des antilopes, et nos chasseurs en tuaient quelques-uns; mais nous n'avions pas encore atteint le territoire des buffalos.
Parfois
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