Chronique de 1831 à 1862. T. 1. Dorothée Dino

Chronique de 1831 à 1862. T. 1 - Dorothée Dino


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cher Duc, vous avez trop bonne opinion de ma santé, mais vous aurez toujours raison d'en avoir une excellente de mon amitié pour vous et de mon dévouement au Roi. Je ne puis vous en donner une meilleure preuve qu'en tirant, au milieu de l'hiver, mes quatre-vingt-deux ans, de mon repos et de ma paresse actuels, pour arriver à Paris le 4 décembre, ce que je vous promets. Quant à aller à Londres, je n'en vois pas trop la nécessité: je suis bien vieux, tout autre y fera maintenant aussi bien, si ce n'est mieux que moi.

      Nous causerons à Paris, et ma vieille expérience, que vous faites l'honneur de consulter, vous dira franchement ce qu'elle pense sur ce que vous lui apprendrez du monde politique; je ne suis plus bon qu'à cela. Mais si, cependant, par impossible, vous parvenez à égarer assez mon amour-propre, jusqu'à lui persuader que je suis, pour quelque temps encore, indispensable, ou à peu près, à vos affaires, alors, sans doute, je croirai de mon devoir de m'y livrer, jusqu'à ce qu'elles soient accomplies, mais aussitôt après je retournerai à ma tanière, pour rentrer dans l'engourdissement qui seul me convient maintenant. Quoi qu'il en soit, d'ici à quelques semaines, rien ne périclite entre les mains de M. de Bacourt, qui, j'en suis convaincu, justifie de plus en plus, par son activité et sa sagesse, tout le bien que je vous ai dit de lui. Adieu!»

      Valençay, 12 novembre 1833.– On commence à être inquiet des affaires d'Espagne: les provinces du Nord sont toutes à don Carlos; Madrid, Barcelone, Cadix et presque tout le Midi sont à la Reine à la condition que la révolution sera complète; c'est ce qui inquiète le plus le gouvernement français.

      L'attente des Chambres trouble un peu; le ministère s'y présentera tel qu'il est, mais non sans crainte, car il y a bien quelques difficultés à se présenter devant une Chambre qui doit vouloir se populariser, dans l'espérance d'être réélue. Les énormes dépenses du maréchal Soult, peu ou point de diminution de dépenses dans les autres ministères, sont des difficultés qui pourront devenir de sérieux embarras.

      Paris, 9 décembre 1833.– Notre retour à Londres est décidé. Je suis arrivée hier ici; j'ai trouvé, en arrivant, M. de Montrond sur le perron, M. Raullin sur l'escalier, et, dans le cabinet, Pozzo chez lequel je dois dîner demain. Celui-ci a l'air soucieux; il est fulminant contre lord Palmerston, qu'on dit n'être à la mode nulle part. M. de Talleyrand n'est pas d'avis que le duc de Broglie se laisse entraîner par lord Granville autant que celui-ci le voudrait et il s'est nettement exprimé à cet égard.

      M. de Talleyrand ne croit pas à d'autres chances de guerre qu'entre l'Angleterre et la Russie, et apportera tous ses efforts à la prévenir. Il me paraît être au mieux avec Pozzo; il est aussi à merveille avec le Roi et Madame Adélaïde qui commencent a être en défiance de lord Palmerston, de lord Granville et à trouver que Broglie n'est pas assez éclairé; d'ailleurs, qu'il les traite lestement et dédaigneusement; il se montre aussi fort cachottier et défiant à l'égard de M. de Talleyrand. Il faut pourtant parler en détail de sa fortune à ceux auxquels on veut confier son argent.

      Lady Jersey a été aux Tuileries; Mgr le duc d'Orléans a été tout à fait à ses ordres ici. Au Château, où, en effet, on est un peu près de ses pièces, en fait de beau monde, on a été charmé de l'arrivée de cette aristocrate d'outre-mer. Cela a fait événement.

      Le faubourg Saint-Germain est plus récalcitrant que jamais. L'Empereur Napoléon avait des places à donner, des biens à rendre, des confiscations dont il pouvait menacer; rien de tout cela maintenant. Aussi boude-t-on avec une aisance et une insolence inimaginables. Le fait est que, quand on n'y est pas obligé, la Cour est trop mêlée pour être tentante. J'en suis fâchée pour la Reine que j'aime et que j'honore.

      Il paraît que le baron de Werther a prodigieusement d'humeur contre lord Palmerston et le duc de Broglie; il y a certainement bien de la mauvaise humeur dans l'air, mais M. de Talleyrand dit encore qu'elle n'éclatera pas en boulets rouges.

      Paris, 11 décembre 1833.– J'ai été hier dîner, avec M. de Talleyrand, chez Thiers; il n'y avait que lui, sa femme, son beau-père, sa belle-mère, Mignet, qui disait des pauvretés sur l'Espagne, et Bertin de Veaux, qui ne parlait que des combats de taureaux qu'il avait vus à Saint-Sébastien.

      Mme Thiers, qui n'a que seize ans, paraît en avoir dix-neuf: elle a de belles couleurs, de beaux cheveux, de jolis membres bien attachés, de grands yeux qui ne disent rien encore, la bouche désagréable, le sourire sans grâce et le front trop saillant; elle ne parle pas, répond à peine, et semblait nous porter tous sur ses épaules. Elle n'a aucun maintien, aucun usage du monde, mais tout cela peut venir; elle ne fera peut-être que trop de frais pour d'autres que pour son petit mari, qui est très amoureux, très jaloux, mais jaloux honteux, à ce qu'il m'a avoué. Les regards de la jeune femme pour lui sont bien froids; elle n'est pas timide, mais elle a l'air boudeur, et n'a aucune prévenance.

      Je croyais à Mme Dosne des restes de beauté, mais il m'a paru qu'elle n'avait jamais pu être jolie; elle a un rire déplaisant, qui a de l'ironie sans gaieté; sa conversation est spirituelle et animée. Sa toilette était d'un rose, d'un jeune, d'une simplicité affectée qui m'a étonnée.

      Paris, 15 décembre 1833.– J'ai dîné hier chez le Roi. M. de Talleyrand dînait chez le Prince royal. Pendant le dîner, le Roi ne m'a parlé que de traditions, de souvenirs, de vieux châteaux; j'étais sur mon terrain. Nous avons d'abord parlé à fond de la Touraine; il a promis des vitraux de couleur et des portraits de Louis XI et de Louis XII pour Amboise, il rachètera les restes de Montrichard et empêchera la ruine du château de Langeais. S'il fait tout cela, mon dîner n'aura pas été perdu. Puis, il m'a conté les restaurations qu'il faisait faire à Fontainebleau, et il a fini par me développer son grand plan pour Versailles, qui est vraiment grand, beau et digne d'un arrière-petit-fils de Louis XIV. Mais cela se réalisera-t-il? Cette conversation nous a conduits aux nouveaux travaux qu'il a fait exécuter aux Tuileries mêmes. Il a ordonné qu'on illuminât tout, et, en sortant de table, il a parcouru tout le Château avec moi.

      Tout est vraiment beau, très beau; et si l'escalier, qui est riche et élégant, avait un peu plus de largeur, ce serait parfait. Cette promenade nous a conduits du pavillon de Flore au pavillon de Marsan. Le Roi m'a demandé, alors, si je voulais faire une visite à son fils; j'ai dit, comme de raison, que je suivrais le Roi partout. Nous avons trouvé Mgr le duc d'Orléans jouant au whist avec M. de Talleyrand; les amis de celui-ci avaient été réunis au dîner par le Prince.

      L'appartement du Prince royal est trop bien arrangé pour être celui d'un homme. C'est le seul reproche qu'on puisse lui faire, car, du reste, il est plein de belles choses trouvées dans le garde-meuble de la Couronne, où la Révolution avait relégué les beaux meubles de Louis XIV. La Restauration n'avait pas songé à les en tirer; M. le duc d'Orléans en a placé une grande partie dans son appartement. C'est fort curieux; j'ai été bien souvent aux Tuileries sans me douter des choses intéressantes qui s'y trouvaient réunies; ainsi, j'ai vu, cette fois-ci, dans le cabinet du Roi, parmi des choses que je ne connaissais pas, un portrait de Louis XIV enfant, sous les traits de l'Amour endormi, et celui de la reine Anne d'Autriche peinte en Minerve, et aussi des boiseries emblématiques du temps de Catherine de Médicis, qui a fait construire les Tuileries.

      Le Roi est un admirable cicerone de ses châteaux: je me suis émerveillée tout le temps qu'on pût si bien connaître les traditions de sa famille, en être aussi fier, et… enfin!

      Je pars après-demain pour Londres.

      1834

      Londres, 27 janvier 1834.– Sir Henry Halford vient de me raconter que le feu roi George IV, dont il était le premier médecin, lui ayant demandé, sur l'honneur, deux jours avant sa mort, si son état était désespéré, et sir Henry, avec une figure très significative, lui ayant répondu qu'il était dans un état très grave, le Roi le remercia par un signe de tête, demanda à communier, et le fit très religieusement; il engagea même sir Henry à prendre part au sacrement. Lady Coningham était dans la chambre à côté. Ainsi, aucun des intérêts humains ne fut banni de la chambre de ce Roi moribond, charlatan, et communiant.

      Londres, 7 février 1834.– J'étais hier soir chez lady Holland, qui, en finissant je ne sais quelle histoire qu'elle me contait,


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