Chronique de 1831 à 1862. T. 1. Dorothée Dino

Chronique de 1831 à 1862. T. 1 - Dorothée Dino


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avez appris il y a dix-huit mois à M. de Talleyrand, tout le mal qu'elle disait ici du Cabinet français, au moment de son origine. – C'est vrai, je m'en souviens; mais il faut néanmoins que ce Cabinet dure. Lord Granville écrit à lord Holland que nous ne devons pas croire tout ce que lady Keith nous mandera de la mauvaise position de M. de Broglie, puisqu'elle est très hostile pour celui-ci et désireuse de sa chute.» Je n'ai rien répliqué et cela en est resté là. Et puis, parlez-moi des amitiés du monde!

      Au reste, voici un assez drôle de mot qu'on écrit, de Paris, sur M. et Mme de Flahaut: on prétend que leur faveur n'est plus aussi grande aux Tuileries, où on dit que «lui, est une vieille coquette et, elle, un vieux intrigant.»

      Warwick Castle 15 , 10 février 1834.– J'ai quitté Londres avant-hier, et suis venue ce jour-là jusqu'à Stony-Stratfort, où je n'engage personne à jamais coucher: les lits y sont mauvais, même pour l'Angleterre; j'ai réellement cru m'étendre sur une couchette de trappiste. J'en suis repartie hier matin, par un brouillard bien froid, bien épais. Il n'y avait pas moyen de juger le pays, qui à travers quelques éclaircies, cependant, m'a semblé plutôt agréable; surtout à Iston Hall, beau lieu qui appartient à lord Porchester. On passe devant une superbe grille d'où on plonge dans un parc immense, par delà lequel on découvre un vallon qui m'a semblé joli. Leamington16, à deux lieues d'ici, est bien bâti et gai.

      Quant à Warwick même, où je suis arrivée hier dans la matinée, on y pénètre par une entrée de château-fort: il offre l'aspect le plus austère, la cour la plus sombre, le Hall le plus vaste, les meubles les plus gothiques, la tenue la plus soignée qu'on puisse imaginer, tout cela dans le genre féodal. Une rivière impétueuse et considérable baigne le pied de vieilles tours crénelées, noires, hautes et imposantes; elle fait un bruit monotone auquel répond celui d'arbres entiers, qui éclatent en brûlant dans des cheminées de géants. Des souches énormes sont empilées sur des tréteaux dans le Hall; il faut deux hommes pour les prendre et les jeter dans l'âtre; ces tréteaux sont établis sur des dalles de marbre poli.

      Je n'ai encore jeté qu'un rapide coup d'œil sur les vitraux de couleur des grandes et larges croisées qui répondent aux cheminées, sur les armures, les bois de cerf et les autres curiosités du Hall, sur les beaux portraits de famille des trois grands salons. Je ne connais bien encore que ma chambre, toute meublée de Boule, de noyer ciselé et pleine de conforts modernes à travers toutes ces vieilles grandeurs!

      Le boudoir de lady Warwick est aussi rempli de curiosités. Elle est venue me prendre, hier, dans ma chambre, et après m'avoir montré ce boudoir, elle m'a menée dans le petit salon où j'ai trouvé le fils de son premier mariage, lord Monson, petite figure d'homme ou plutôt d'enfant, timide et silencieux, par embarras de sa petite taille et de sa faiblesse de corps; puis lady Monson, contraste frappant de son mari, grande et blonde Anglaise, raide, osseuse, avec de longs traits, de larges mains, une large poitrine plate, un air de vieille fille, des mouvements anguleux, tout d'une pièce, mais polie et attentive; ensuite lady Eastnor, sœur de lady Stuart de Rothesay, laide comme on l'est dans sa famille, et bien élevée, comme le sont aussi toutes les filles de lady Hardwick; lord Eastnor, grand chasseur, grand mangeur, grand buveur; son frère, un révérend, qui, je crois, ne s'était pas rasé depuis Noël et qui n'a ouvert la bouche que pour manger; lord Brooke, fils de la maison, du second mariage, âgé de quinze ans, d'une très jolie figure; son précepteur, silencieux et humble comme de raison; et, enfin the striking figure de lady Caroline Neeld, sœur des Ashley et fille de lord Shaftesbury. Elle est célèbre par un procès contre son mari, dont les journaux retentissaient l'année dernière; elle est l'amie de lady Warwick, protégée, recueillie, défendue par elle. C'est une personne bruyante, hardie, mal disante, avec des façons familières et un ton risqué; elle a une jolie taille, de la blancheur, de beaux cheveux blonds, ni cils ni sourcils, une figure longue et étroite, rien dans les yeux, un nez et une bouche qui font penser à ce que Mme de Sévigné disait de Mme de Sforze, qui était un perroquet mangeant une cerise.

      Lord Warwick, retenu dans sa chambre par un rhumatisme goutteux, ne semblait faire faute à personne.

      La maîtresse de la maison est la moins convenable possible pour le lieu qu'elle habite. Elle a été jolie, sans être belle; elle est naturellement spirituelle, sans rien d'acquis. Elle ne sait pas même un mot de la tradition de son château; elle a un tour d'esprit drôle et nullement posé, ses habitudes de corps sont nonchalantes, et cette petite femme, grasse, paresseuse, oisive, ne paraît nullement appelée à gouverner et à remplir cette vaste, sérieuse et presque formidable demeure. D'ailleurs, tout le monde me semble pygmée dans ce lieu-ci et il faudrait des gens plus grands que nature, tels qu'étaient les faiseurs de Rois17 pour la remplir: notre génération est trop mesquine dans ses proportions pour de tels lieux.

      La salle à manger est belle, mais moins grandiose que le reste. En sortant de table, très longtemps avant les hommes, on nous a conduites dans le grand salon, qui est placé entre un petit et un moyen. Dans ce grand salon sont des Van Dyck superbes; une boiserie tout entière en bois de cèdre dans sa couleur naturelle, l'odeur en est assez forte et agréable; le meuble est en damas velouté où le gros rouge domine; force meubles de Boule vraiment magnifiques, quelques marbres rapportés d'Italie; deux énormes croisées faisant renfoncement et cabinets, sans rideaux et seulement entourées de grands cadres cerclés en cèdre. Pour tout cela, il y avait une vingtaine de bougies, qui me faisaient l'effet de feux-follets, trompant l'œil plutôt qu'elles n'éclairaient la chambre. Je n'ai, de ma vie, rien vu de si triste et de si chilling que ce salon; une conversation de femmes, très languissante… il me semblait toujours que le portrait de Charles Ier et le buste du Prince Noir allaient venir se mêler à nous, et prendre leur café devant la cheminée. Les hommes sont enfin arrivés, le thé ensuite; à dix heures une espèce de souper; à onze heures retraite générale, qui m'a semblé être un soulagement pour tous.

      J'ai, dans cette longue soirée, vingt fois pensé à la description que Corinne fait du château de sa belle-mère.

      A dîner, on n'a parlé que des county-balls, des Leamington-spas et des commérages du Comté: c'était, trait pour trait, la description de Mme de Staël.

      Ce matin, j'ai parcouru avec lady Warwick le château, que je connaîtrais mieux si j'avais été livrée à moi-même, ou seulement aux prises avec une des deux housekeepers dont la plus ancienne a quatre-vingt-treize ans. A la voir, on croirait qu'elle va vous parler de tous les York et Lancastre. La maîtresse de la maison ne se soucie pas le moins du monde de toutes les curieuses antiquités dont ce lieu-ci abonde et qu'il m'a fallu voir en courant.

      Je me suis cependant arrêtée devant la selle et le caparaçon du cheval de la Reine Élisabeth, par lequel elle est venue de Kenilworth ici, puis je me suis emparée du luth offert par lord Leicester à la Reine Élisabeth, merveilleusement sculpté, en bois, avec l'écusson de la Reine en cuivre doré, par-dessus et tout à côté de celui du favori, ce qui m'a paru assez familier. J'ai remarqué un curieux portrait de la Reine Élisabeth dans ses habits de couronnement et dans lequel elle ressemblait terriblement à son terrible père. Lord Monson, à l'occasion de ce portrait, m'a conté un détail que j'ignorais: c'est que la Reine Élisabeth, qui voulait toujours paraître jeune, n'a jamais permis qu'on fît son portrait autrement qu'en face, et éclairé de façon à empêcher que les ombres ne portassent sur ses traits, craignant que les ombres, en marquant les traits, ne marquassent aussi les années. On dit que cette idée lui était si constamment présente, qu'elle se mettait aussi toujours en face du jour, quand elle donnait ses audiences.

      La bibliothèque ici n'est pas très remarquable et ne me paraît pas très fréquentée. La chambre à coucher de la Reine Anne avec le lit de l'époque est une belle pièce.

      A dix heures, nous sommes montées en calèche, lady Warwick et moi, escortées par lady Monson et lord Brooke à cheval, et nous avons été, par un pays assez médiocre, aux fameuses ruines de Kenilworth. Là, j'ai éprouvé un mécompte réel; non pas que ces ruines ne donnent l'idée d'une noble et vaste demeure, mais


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Antique manoir, jadis une forteresse imprenable.

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Leamington est un petit endroit de bains, situé sur le Leam, dans le comté de Warwick. Il doit toute sa renommée à des sources minérales et ferrugineuses, découvertes en 1797.

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Voir à l'index biographique: WARWICK (Guy, comte DE)