Chronique de 1831 à 1862. T. 1. Dorothée Dino

Chronique de 1831 à 1862. T. 1 - Dorothée Dino


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ignorante de la localité que sa belle-mère, m'a fait remarquer la salle des banquets; la chambre de la Reine Élisabeth; les bâtiments construits par Leicester, et qui sont plus détériorés que ceux des Lancaster, quoique plus modernes; le pavillon d'entrée sous lequel a passé le cortège de la Reine et qui avait été bâti exprès: il est encore en bon état, un fermier de lord Clarendon, auquel appartiennent les ruines, l'habite. Il y a, dans l'intérieur de ce pavillon, un chambranle de cheminée avec les chiffres et devise de Leicester. Le pavillon où Walter Scott fait arriver Amy Robsard, est rendu célèbre par le romancier, mais ne l'est pas dans l'histoire.

      On ne m'a pas permis de monter sur les tours; depuis l'accident arrivé l'année dernière à la nièce de lady Sefton, les ruines sont en mauvais renom comme solidité; d'ailleurs, on m'a assuré que la vue n'en était point remarquable.

      Nous avons pris le chemin le plus long pour revenir et nous avons traversé Leamington dans toute sa longueur. L'établissement des bains m'a semblé joli, ainsi que toute la ville, animée maintenant par beaucoup de gentlemen chasseurs, qui y vivent un peu comme à Melton Mowbray.

      Il ne faisait pas encore sombre quand nous sommes revenues, et lady Warwick m'a menée voir, au bout du parc de Warwick, qui est très bien planté, une jolie vue de la rivière Avon, des serres qui ne sont ni très soignées, ni très fleuries, mais dans lequelles se trouve le Warwick vase: c'est un vase dans des proportions colossales, en marbre blanc, d'une superbe forme, avec de beaux détails; il a été rapporté d'Italie et du jardin de Trajan par le père du lord Warwick actuel.

      Je retourne demain à Londres.

      Londres, 12 février 1834.– M. de Talleyrand m'a raconté qu'hier soir, jouant au whist avec Mme de Lieven qui était partner de lord Sefton, la Princesse, dans ses distractions habituelles, avait renoncé deux fois; sur quoi lord Sefton a fait doucement remarquer qu'il était tout simple que ces diables de Dardanelles fissent souvent renoncer Mme de Lieven: cela a fait rire tous les assistants.

      J'ai reçu de M. Royer-Collard une lettre dans laquelle je trouve la phrase suivante: «Monsieur de Bacourt m'a extrêmement plu; sa conversation nette, simple, judicieuse, m'a charmé; je n'en rencontre guère ici d'aussi bonne. Nous nous entendons de tous points.»

      Londres, 15 février 1834.– La duchesse comtesse de Sutherland est venue me prendre hier, et nous a menées Pauline et moi au Panorama of the North Pole où le capitaine Ross joue un grand rôle. Comme peinture et perspective, c'est au-dessous de tout ce que j'ai vu dans ce genre; mais tout ce qui se rapporte à d'aussi rudes épreuves et à des souffrances aussi prolongées, est d'un véritable intérêt.

      Un des matelots, qui avaient été d'abord avec le capitaine Parry sur la Furia, puis ensuite avec le capitaine Ross, se trouvait, par hasard, à ce Panorama. Il a donné à Pauline un petit morceau de la fourrure dont il s'était couvert chez les Esquimaux, et à moi, un petit morceau de granit, pris au point le plus nord de l'expédition. Nous l'avons beaucoup questionné; il est revenu bien souvent sur le moment où ils ont aperçu l'Isabella, qui les a rendus à leur patrie: c'était le 26 août. Il a ajouté que, tant qu'il vivrait, il boirait chaque année, ce jour-là, au souvenir de cette heureuse apparition.

      Nous avons eu, hier soir, un raout chez nous. Il n'avait rien de remarquable comme toilettes, comme beautés, ni comme ridicules. Le marquis de Douglas était beau à ravir: miss Emily Hardy m'en a paru frappée.

      Le ministère était représenté par lord Grey, lord Lansdowne, lord Melbourne. Ce ministère est fort embarrassé, car il se passe chaque jour, aux Communes, des incidents qui font éclater le schisme trop réel parmi eux; la figure de lord Grey en portait hier une visible empreinte.

      Londres, 20 février 1834.– Il y a une nouvelle histoire, fort vilaine, qui circule sur M. le comte Alfred d'Orsay. La voici: sir Willoughby Cotton écrit, le même jour, de Brighton, à M. le comte d'Orsay et à lady Fitzroy-Somerset; il se trompe d'adresse et voilà M. d'Orsay qui, en ouvrant celle qui lui arrive, au lieu de reconnaître sa méprise à la première ligne, qui commence par «Dear Lady Fitzroy», lit jusqu'au bout, y trouve tous les commérages de Brighton, entre autres des plaisanteries sur lady Tullemore et un de ses amoureux, et, je ne sais encore à quel propos, un mot piquant sur M. d'Orsay lui-même. Que fait celui-ci? Il va au club, et, devant tout le monde, lit cette lettre, la met ensuite sous l'adresse de lord Tullemore auquel il l'envoie. Il a failli en résulter plusieurs duels. Lady Tullemore est très malade, le coupable parti subitement pour Paris. On est intervenu, on a assoupi beaucoup de choses, pour l'honneur des dames, mais tout l'odieux est resté sur M. d'Orsay.

      Londres, 27 février 1834.– On s'amuse à répandre le bruit du mariage de lord Palmerston avec miss Jermingham: elle était hier à l'ambassade de Russie, chamarrée et bigarrée, à son ordinaire: elle y a été l'objet des moqueries de Mme de Lieven, qui, cependant, n'a pas cru pouvoir se dispenser de l'inviter. Pour se venger, peut-être, de cette nécessité, elle disait, assez haut, que miss Jermingham lui rappelait l'avertissement du journal le Times que voici: A house-maid wants a situation in a family where a footman is kept18. C'est assez joli, assez vrai, mais peu charitable… Elle ajoutait avec complaisance, à cette occasion, que les journaux satiriques avaient donné à lord Palmerston le surnom de venerable cupid

      Londres, 1er mai 1834.– M. Salomon Dedel est arrivé ce matin de la Haye, il m'a apporté une lettre du général Fagel. J'y trouve ce qui suit: «Quelqu'un a su que lord Grey avait manifesté l'espoir que Dedel reparaîtrait à Londres, muni d'instructions pour en finir. Dedel en parle au Roi et celui-ci lui répond: «Votre absence a eu pour motif de venir voir vos parents et vos amis, et vous pourrez en donner des nouvelles si on vous en demande.»

      Plus loin je trouve dans la même lettre: «Nous voulons être forcés par les cinq puissances; nous ne tiendrons aucun compte d'une contrainte partielle comme celle de 1832; sans cette unanimité, nous nous refuserons toujours à un arrangement définitif. On prendrait, de guerre lasse, plutôt la route de Silésie, que de reconnaître Léopold.»

      Mme de Jaucourt, en parlant de l'esprit de parti furibond qui règne en France en ce moment, mande à M. de Talleyrand que M. de Thiard, son frère, a dit, l'autre jour, chez elle: «Je donnerais mon bras droit pour que Charles X fût encore à la place d'où nous l'avons chassé.»

      N'est-il pas singulier que le jeune Baillot, qui vient de périr assassiné dans les derniers troubles de Paris, se soit souvent vanté d'avoir, lors des journées de juillet 1830, tué plusieurs individus, exactement de la même manière que celle dont lui-même a péri?

      On m'a raconté un mot amusant de la vieille marquise de Salisbury. Elle a été, dimanche dernier, à l'église, ce qui lui arrive rarement; le prédicateur, parlant du péché originel, a dit qu'Adam, en s'excusant, s'était écrié: «Seigneur, c'est la femme qui m'a tenté.» A cette citation, lady Salisbury, qui paraissait entendre tout cela pour la première fois, a sauté sur son banc, en disant: «Shabby fellow, indeed!»

      Je viens d'une visite du matin chez la Reine, je l'ai trouvée agitée, inquiète et cependant heureuse de son prochain voyage en Allemagne. Le Roi l'a arrangé, à son insu; il est entré dans les plus petits détails; c'est lui qui a nommé la suite d'honneur, les domestiques, choisi les voitures. Tout cela est arrivé si subitement que la Reine n'en est point encore remise; elle ne sait si elle doit se réjouir de revoir sa mère qui est âgée et infirme ou se tourmenter de laisser le Roi seul, pendant six semaines. Elle m'a dit que le Roi avait voulu inviter M. de Talleyrand et moi à Windsor, pendant notre séjour à Salthill, mais qu'elle-même l'en avait détourné, comme tirant à conséquence, et obligeant à d'autres invitations, entre autres celle de la princesse de Lieven, dont le Roi ne se souciait pas.

      La Reine tousse et se croit assez malade; elle compte sur l'air natal pour se rétablir.

      Il est impossible, chaque fois qu'on a l'honneur de voir cette Princesse, de ne pas être frappé de la parfaite simplicité, vérité et droiture de son âme. J'ai rarement vu une personne sur laquelle le sentiment du devoir eût plus de puissance, qui, dans tout ce qu'elle dit et fait, parût


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Une fille de service demande une place dans une famille où il y a un valet de pied.