La Faute de l'abbé Mouret. Emile Zola

La Faute de l'abbé Mouret - Emile Zola


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ce qu'on fait, quand on n'a rien à cacher! cria brusquement la Teuse.

      Et le silence recommença. Ce qui exaspérait la vieille servante, c'était le mystère que le prêtre semblait lui avoir fait de sa visite au Paradou. Elle se regardait comme une femme indignement trompée. Sa curiosité saignait. Elle se promena autour de la table, ne regardant pas l'abbé, ne s'adressant à personne, se soulageant toute seule.

      – Pardi, voilà pourquoi on mange si tard!.. On s'en va sans rien dire courir la pretentaine, jusqu'à des deux heures de l'après-midi. On entre dans des maisons si mal famées, qu'on n'ose pas même ensuite raconter ce qu'on a fait. Alors, on ment, on trahit tout le monde…

      – Mais, interrompit doucement l'abbé Mouret, qui s'efforçait de manger, pour ne pas fâcher la Teuse davantage, personne ne m'a demandé si j'étais allé au Paradou, je n'ai pas eu à mentir.

      La Teuse continua, comme si elle n'avait pas entendu:

      – On abîme sa soutane dans la poussière, on revient fait comme un voleur. Et, si une bonne personne s'intéressant à vous, vous questionne pour votre bien, on la bouscule, on la traite en femme de rien qui n'a pas votre confiance. On se cache comme un sournois, on préférait crever que de laisser échapper un mot, on n'a pas même l'attention d'égayer son chez soi en disant ce qu'on a vu.

      Elle se tourna vers le prêtre, le regarda en face.

      – Oui, c'est pour vous, tout çà… Vous êtes un cachottier, vous êtes un méchant homme!

      Et elle se mit à pleurer. Il fallut que l'abbé la consolât.

      – Monsieur Caffin me disait tout, cria-t-elle encore.

      Mais elle se calmait. Frère Archangias achevait un gros morceau de fromage, sans paraître le moins du monde dérangé par cette scène. Selon lui, l'abbé Mouret avait besoin d'être mené droit; la Teuse faisait bien de lui faire sentir la bride. Il vida un dernier verre de piquette, se renversa sur sa chaise, digérant.

      – Enfin, demanda la vieille servante, qu'est-ce que vous avez vu, au Paradou? Racontez-nous, au moins.

      L'abbé Mouret, souriant, dit en peu de mots la singulière façon dont Jeanbernat l'avait reçu. La Teuse, qui l'accablait de questions, poussait des exclamations indignées. Frère Archangias serra les poings, les brandit en avant.

      – Que le ciel l'écrase! dit-il; qu'il les brûle, lui et sa sorcière!

      Alors, l'abbé, à son tour, tâcha d'avoir de nouveaux détails sur les gens du Paradou. Il écoutait avec une attention profonde le Frère qui racontait des faits monstrueux.

      – Oui, cette diablesse est venue un matin s'asseoir à l'école. Il y a longtemps, elle pouvait avoir dix ans. Moi, je la laissai faire; je pensai que son oncle l'envoyait pour sa première communion. Pendant deux mois, elle a révolutionné la classe.

      Elle s'était fait adorer, la coquine! Elle savait des jeux, elle inventait des falbalas avec des feuilles d'arbre et des bouts de chiffon. Et intelligente, avec cela, comme toutes ces filles de l'enfer! Elle était la plus forte sur le catéchisme… Voilà qu'un matin, le vieux tombe au beau milieu des leçons. Il parlait de casser tout, il criait que les prêtres lui avaient pris l'enfant. Le garde champêtre a dû venir pour le flanquer à la porte. La petite s'était sauvée. Je la voyais, par la fenêtre, dans un champ, en face, rire de la fureur de son oncle… Elle venait d'elle-même à l'école, depuis deux mois, sans qu'il s'en doutât. Histoire de faire battre les montagnes.

      – Jamais elle n'a fait sa première communion, dit la Teuse, à demi-voix, avec un léger frisson.

      – Non, jamais, reprit Frère Archangias. Elle doit avoir seize ans. Elle grandit comme une bête. Je l'ai vue courir à quatre pattes, dans un fourré, du côté de la Palud.

      – A quatre pattes, murmura la servante, qui se tourna vers la fenêtre, prise d'inquiétude.

      L'abbé Mouret voulut émettre un doute; mais le Frère s'emporta.

      – Oui, à quatre pattes! Et elle sautait comme un chat sauvage, les jupes troussées, montrant ses cuisses. J'aurais eu un fusil que j'aurais pu l'abattre. On tue des bêtes qui sont plus agréables à Dieu… Et, d'ailleurs, on sait bien qu'elle vient miauler toutes les nuits autour des Artaud. Elle a des miaulements de gueuse en chaleur. Si jamais un homme lui tombait dans les griffes, à celle-là, elle ne lui laisserait certainement pas un morceau de peau sur les os.

      Et toute sa haine de la femme parut. Il ébranla la table d'un coup de poing, il cria ses injures accoutumées:

      – Elles ont le diable dans le corps. Elles puent le diable; elles le puent aux jambes, aux bras, au ventre, partout… C'est ce qui ensorcelle les imbéciles.

      Le prêtre approuva de la tête. La violence de Frère Archangias, la tyrannie bavarde de la Teuse, étaient comme des coups de lanières, dont il goûtait souvent le cinglement sur ses épaules. Il avait une joie pieuse à s'enfoncer dans la bassesse, entre ces mains pleines de grossièretés populacières. La paix du ciel lui semblait au bout de ce mépris du monde, de cet encanaillement de tout son être. C'était une injure qu'il se réjouissait de faire à son corps, un ruisseau dans lequel il se plaisait à traîner sa nature tendre.

      – Il n'y a qu'ordure, murmura-t-il, en pliant sa serviette.

      La Teuse desservait la table. Elle voulut enlever l'assiette, où Désirée avait posé le nid de merles.

      – Vous n'allez pas coucher là, mademoiselle, dit-elle. Laissez donc ces vilaines bêtes.

      Mais Désirée défendit l'assiette. Elle couvrait le nid de ses bras nus, ne riant plus, s'irritant d'être dérangée.

      – J'espère qu'on ne va pas garder ces oiseaux, s'écria Frère Archangias. Ça porterait malheur… Il faut leur tordre le cou.

      Et il avançait déjà ses grosses mains. La jeune fille se leva, recula, frémissante, serrant le nid contre sa poitrine. Elle regardait le Frère fixement, les lèvres gonflées, d'un air de louve prête à mordre.

      – Ne touchez pas les petits, bégaya-t-elle. Vous êtes laid!

      Elle accentua ce mot avec un si étrange mépris, que l'abbé Mouret tressaillit, comme si la laideur du Frère l'eût frappé pour la première fois. Celui-ci s'était contenté de grogner. Il avait une haine sourde contre Désirée, dont la belle poussée animale l'offensait.

      Lorsqu'elle fut sortie, à reculons, sans le quitter des yeux, il haussa les épaules, en mâchant entre les dents une obscénité que personne n'entendit.

      –Il vaut mieux qu'elle aille se coucher, dit la Teuse. Elle nous ennuierait, tout à l'heure, à l'église.

      – Est-ce qu'on est venu? demanda l'abbé Mouret.

      – Il y a beau temps que les filles sont là dehors, avec des brassées de feuillages… Je vais allumer les lampes. On pourra commencer quand vous voudrez.

      Quelques secondes après, on l'entendit jurer dans la sacristie, parce que les allumettes étaient mouillées. Frère Archangias, resté seul avec le prêtre, demanda d'une voix maussade:

      – C'est pour le Mois de Marie?

      – Oui, répondit l'abbé Mouret. Ces jours derniers, les filles du pays, qui avaient de gros travaux, n'ont pu venir, selon l'usage, orner la chapelle de la Vierge. La cérémonie a été remise à ce soir.

      – Un joli usage, marmotta le Frère. Quand je les vois déposer chacune leurs rameaux, j'ai envie de les jeter par terre, pour qu'elles confessent au moins leurs vilenies, avant de toucher à l'autel… C'est une honte de souffrir que des femmes promènent leurs robes si près des saintes reliques.

      L'abbé s'excusa du geste. Il n'était aux Artaud que depuis peu, il devait obéir aux coutumes.

      – Quand vous voudrez, monsieur le curé? cria la Teuse.

      Mais Frère Archangias le retint un instant encore.

      – Je m'en vais, reprit-il. La religion n'est pas une fille, pour qu'on la


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