Mémoires touchant la vie et les écrits de Marie de Rabutin-Chantal, Volume 3. Charles Athanase Walckenaer

Mémoires touchant la vie et les écrits de Marie de Rabutin-Chantal, Volume 3 - Charles Athanase Walckenaer


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Walckenaer

      Mémoires touchant la vie et les écrits de Marie de Rabutin-Chantal, vol. 3/6

      CHAPITRE I.

      1664-1666

      Occupation de Bussy dans son exil.—Inconvénients qu'eurent pour lui les diverses éditions de l'Histoire amoureuse des Gaules et du cantique obscène et supposé qu'on y intercala.—Jouissances maternelles de madame de Sévigné—Louis XIV; sa cour.—Ses maximes de gouvernement.—Boileau, Racine, la Rochefoucauld font paraître leurs premiers ouvrages.—Tous ces écrivains sont les censeurs de leur époque.—La satire est personnelle.—Répulsion que madame de Sévigné devait éprouver pour le caractère des nouveaux littérateurs.—Si elle goûtait peu leur personne, il n'en était pas de même de leurs écrits.—Elle assiste chez madame de Guénégaud à une lecture faite par Racine et par Boileau.—Pomponne, revenu de son exil, assiste aussi à cette lecture.—Détails sur les personnages qui s'y trouvaient, sur madame de Feuquières, madame de la Fayette, la Rochefoucauld, Gondrin, Louis de Bassompierre, l'abbé de Montigny, d'Avaux, Châtillon, Barillon, Caumartin.—Détails sur madame de Guénégaud.—Portrait de cette dame par Arnauld d'Andilly.—Ses liaisons avec d'Andilly et avec son fils de Pomponne.—Elle marie sa fille au duc de Caderousse.—Mademoiselle de Sévigné liée avec mademoiselle de Montmort, qui épouse M. de Bertillac.—M. de Guénégaud sort de la Bastille.—Description du château de Fresnes.—Plaisirs qu'on y goûtait.—Mascarade à l'hôtel de Guénégaud.—Vers adressés à madame de Guénégaud.—Pomponne est nommé ambassadeur en Suède.—Mort d'Anne d'Autriche et du prince de Conti.—Le roi passe l'été à Fontainebleau, et madame de Sévigné à Fresnes.—Correspondance entre Pomponne et la société du château de Fresnes.—Lettres de madame de la Fayette et de madame de Sévigné à Pomponne.—Détails sur l'évêque de Munster.—Détails sur madame et M. de Coulanges.—Lettres de Pomponne à la société réunie à Fresnes.—Réflexions.

      Nous avons terminé la seconde partie de ces Mémoires à l'exil du comte de Bussy: ce courtisan disgracié s'occupait à embellir sa demeure, cherchant vainement, dans ses goûts pour les arts et la poésie, une distraction aux tourments de l'ambition déçue et aux angoisses de l'amour trompé. La vanité qui le dominait ne lui permettait pas de croire qu'il fallût renoncer à aucune de ses espérances, et il ne pouvait calmer les agitations d'un cœur en proie aux regrets, à la haine, à l'envie et à tous les sentiments les plus contraires au repos de l'âme. Il avait rangé dans la superbe galerie de son château les portraits des plus illustres personnages de l'histoire de France et, avec ses portraits de famille, ceux des hommes les plus célèbres et des femmes les plus belles et les plus spirituelles de son temps. Pour ces derniers portraits il avait composé des emblèmes et des inscriptions plus propres à faire briller la malice que la finesse de son esprit; et, par ses vaniteuses rancunes, il entretenait imprudemment l'animosité de ses ennemis1.

      Leur haine l'avait cependant aidé à obtenir plus promptement sa liberté. Le désir qu'ils avaient de se venger de lui leur fit outre-passer, dans leurs calomnies, la mesure de la vraisemblance. Nous avons dit, et avec juste raison, dans la seconde partie de ces Mémoires2, que le fameux libelle de Bussy, intitulé Histoire amoureuse des Gaules, ne contenait pas les couplets infâmes qu'on y a insérés depuis; et nous avions pensé, d'après les éditions de cet ouvrage que nous avions réunies, qu'on ne les avait intercalés que longtemps après: en cela nous nous trompions3. Les ennemis de Bussy, aussitôt qu'il eut été mis à la Bastille, s'occupèrent de faire imprimer en Hollande l'ouvrage inculpé, et ils en firent faire une édition avec le nom de l'auteur4. Celui qui prépara la copie de cette édition, au titre un peu déguisé d'Histoire amoureuse des Gaules, substitua celui d'Histoire amoureuse de France; et, au lieu de laisser subsister les noms supposés, il mit en toutes lettres les véritables noms des personnages, d'une manière beaucoup plus complète et plus exacte que dans la clef des deux éditions anonymes et subreptices qui avaient paru. Restait le cantique chanté durant la semaine sainte au château de Roissy, mais qui n'était pas dans les deux premières éditions, parce que la copie livrée à l'imprimeur par la marquise de la Baume ne le contenait pas. On avait fait d'assez nombreuses copies des couplets et vaudevilles composés à l'époque de la Fronde et du ministère du cardinal Mazarin, qui presque tous étaient dirigés contre ce ministre, le roi, la reine mère, ses filles d'honneur: plusieurs de nos bibliothèques conservent encore ces recueils, en écriture du temps, annotés et contenant des détails souvent vrais, souvent faux, sur les personnes chansonnées; ce qui faisait dire à Ménage qu'il était impossible d'écrire sincèrement l'histoire de son temps sans un recueil de vaudevilles5. L'éditeur de l'Histoire amoureuse de France imagina d'aller chercher dans un de ces recueils tout ce qu'il y avait de plus immonde, de plus ordurier, de plus plat, dans les nombreux couplets dits Alleluia, parce qu'ils étaient sur l'air des noëls parodiés, composés contre le roi, MONSIEUR, Mazarin, la reine mère et ses filles d'honneur. Ce fut un libraire du Palais, nommé François Maugé, avec lequel Bussy avait été en relation, qui, de concert avec les puissants ennemis de ce dernier et entraîné par la cupidité, s'entendit avec un autre libraire de Bruxelles (Foppens)6, pour faire paraître cette édition interpolée et scandaleuse de l'Histoire amoureuse des Gaules, la seule peut-être qui du vivant de l'auteur ait été publiée avec son nom; du moins plusieurs de ceux qui réimprimèrent ensuite l'Histoire amoureuse de France d'après cette édition eurent-ils la pudeur de supprimer le nom de Bussy sur le titre7.

      Deux syndics de la corporation des libraires de Paris, avertis par Foppens qu'il allait faire paraître cette édition, en instruisirent Bussy dans sa prison. Bussy se hâta d'écrire à Colbert à ce sujet, et il employa en même temps un habile commissaire de police pour découvrir ceux qui vendaient sous son nom l'Histoire amoureuse de France.

      Deux libraires surpris en flagrant délit furent saisis et mis à la Bastille. Bussy apprit, par l'interrogatoire qu'on fit subir à Maugé, que cet homme l'avait déjà dénoncé en 1663, comme lui ayant troqué deux exemplaires du Testament du cardinal Mazarin. Ce fait fut trouvé faux d'après les propres déclarations de Maugé, qui fut mis au cachot pour sa calomnie. Il en sortit deux jours après, ce qui parut suspect à Bussy; car il sut en même temps alors, d'après cette dénonciation, qu'on avait été sur le point de l'arrêter, lui Bussy, quand la cour allait à Vincennes en 1664, et qu'on en fut empêché par l'entretien qu'il avait eu à Fontainebleau avec le roi. Bussy, dans cet entretien, se justifia non pas de ce qui concernait la dénonciation faite contre lui, puisqu'il l'ignorait alors, mais d'être l'auteur des couplets ou des plaisanteries qu'on lui attribuait faussement. Le roi déclara au duc de Saint-Aignan qu'il était désabusé et satisfait des explications qui lui avaient été données par Bussy8.

      Quand parut l'édition de l'Histoire amoureuse de France avec l'ignoble cantique et le nom de Bussy, Louis XIV n'eut pas besoin d'une nouvelle explication pour ajouter foi aux protestations de Bussy. Il ne douta pas un instant qu'il ne pouvait avoir part à cette édition ni au cantique. Par le manuscrit que lui avait remis Bussy, Louis XIV connaissait le cantique chanté à Roissy, et il savait que ni Bussy ni aucun de ceux qui, dans leur débauche, avaient pendant la semaine sainte fait parade d'impiété n'avaient pu proférer les paroles qu'on leur prêtait. Les disciples des Petit9, des Théophile, des auteurs du Parnasse satirique, d'où partaient de telles attaques, se cachaient dans de honteux galetas, et ne hantaient pas les palais. L'homme de cour ne se croyait pas moins un honnête homme en affichant l'incrédulité en religion et le libertinage des mœurs; mais il aurait cru renoncer à jamais à ce titre s'il avait employé, en vers ou en prose, l'argot crapuleux de la débauche et le langage de la canaille. Bussy, qui passait pour un des plus beaux esprits de la cour et un des plus délicats, quoiqu'un des plus mordants, pouvait, moins qu'un autre, être soupçonné d'un si honteux travers. S'il inséra dans son roman historique le malin cantique chanté à Roissy, il ne le laissa certainement pas tel qu'il avait été improvisé, et il le supprima dans la copie qui fut communiquée à madame de la Baume. Les plaintes qu'il forma sur le tort


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<p>1</p>

BUSSY Lettres, t. III, p. 65; t. V, p. 41.—MILLIN, Voyage dans les départements du midi de la France, t. I, p. 208-219, chap. XIV, pl. XII de l'atlas.—CORRARD DE BREBAN, Souvenirs d'un voyage aux ruines d'Alise et au château de Bussy-Rabutin; Troyes, 1833, in-8o, p. 16-29.

<p>2</p>

Mémoires sur madame de Sévigné, 2e partie, p. 138-142, 150, 350 et 351.

<p>3</p>

Conférez p. 351, ligne 16, et la note p. 510 de la 1re édition.

<p>4</p>

Histoire amoureuse de France, par BUSSY-RABUTIN, avec ses Maximes d'amour, 1666, petit in-12 de 237 pages, sans les Maximes, qui commencent le volume et ne sont pas paginées.

<p>5</p>

Ménagiana, t. III, p. 355.

<p>6</p>

BUSSY-RABUTIN, Mémoires; Amsterdam, 1721, in-12, t. II, p. 373 et 377.

<p>7</p>

Histoire amoureuse de France, par BUSSY-RABUTIN, avec ses Maximes d'amour, MDCLXVI, petit in-12 (sans nom de lieu ni d'imprimeur). Le récit de la débauche pendant la semaine sainte est à la page 190; le Cantique, p. 195 et 197; l'Histoire de madame de Sévigné, à la page 200. Autre édition, sans nom d'auteur, intitulée Histoire amoureuse des Gaules, édition nouvelle; à Liége, 1666 (avec la sphère), 260 pages. L'Histoire de madame de Chanville (Sévigné) est à la page 216. Autre édition, et sans nom d'auteur, intitulée Histoire amoureuse de France; Amsterdam, chez Isaac Van-Dyck, 1 vol. in-12, MDCLXXVII. Le Cantique est aux pages 198 à 200; l'Histoire de madame de Sévigné, à la page 202. Il y a de plus, dans cette édition, la Lettre au duc de Saint-Aignan, en date du 12 novembre 1665, qui est dans le Discours de Bussy à ses enfants, page 382.

<p>8</p>

Sur cette entrevue du roi, conférez BUSSY, Mémoires, Amsterdam, 1721, t. II, p. 283, et Discours du comte DE BUSSY-RABUTIN à ses enfants; Paris, chez Anisson, directeur de l'Imprimerie royale, 1694, p. 365-367.

<p>9</p>

Conférez les Œuvres diverses du sieur D***; Amsterdam, 1714, t. II, p. 229.