Politik – Kirche – politische Kirche (1919–2019). Группа авторов

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comparaison : ut causam, per excessum et per remotionem8. Au moyen des preuves de l’existence de Dieu nous pouvons comparer Dieu à une cause, car il est, selon ces preuves, la cause première de l’univers (ut causam) ; nous pouvons le comparer aussi à certaines propriétés positives des êtres créés, par exemple la bonté ou la sagesse, en appelant Dieu bon ou sage au plus haut point, ou éminemment bon ou sage (per excessum) ; et nous pouvons finalement comparer Dieu aux corps sensibles créés – c’est le genre de comparaison qui nous intéresse ici – per remotionem, par négation.

      Un mot sur la comparaison ut causam. Elle est le fondement de tout ce que nous pouvons dire sur Dieu. Peu importe comment nous évaluons aujourd’hui la validité des cinq preuves de l’existence de Dieu que nous propose Thomas d’Aquin : c’est la démarche épistémologique qui importe ici et que nous allons retrouver à propos de la conscience. D’abord, un certain raisonnement nous oblige à admettre l’existence d’une cause première de l’univers, ce que, dit Thomas, tout le monde appelle Dieu. Ensuite il s’avère que la nature de cette cause première, dont l’existence est nécessaire selon ces preuves, échappe à nos moyens de connaissance ordinaires et que nous pouvons donc au maximum parvenir à une connaissance indirecte – per excessum ou per remotionem – de cette cause première.

      Thomas introduit la connaissance per remotionem ou voie négative dans la Somme contre les Gentils de la manière suivante :

      La substance divine, en effet, dépasse par son immensité toutes les formes que peut atteindre notre intelligence, et nous ne pouvons ainsi la saisir en connaissant ce qu’elle est. Nous en avons pourtant une certaine connaissance en étudiant ce qu’elle nest pas9.

      Et un peu plus bas dans le même chapitre :

      Mais dans l’étude de la substance divine, ne pouvant saisir le ce-que-c’est et le prendre à titre de genre, ne pouvant non plus saisir sa distinction des autres choses par le moyen des différences positives, force est de la saisir par le moyen des différences négatives10.

      Suit alors une énumération, ou plutôt une véritable déduction de propriétés attribuées à Dieu. Elles expriment toutes l’altérité divine relativement à ce que l’intellect humain peut connaître par des moyens ordinaires, c’est-à-dire en abstrayant des essences qu’il trouve unies à des corps matériels. Je parle d’une déduction, car ces propriétés sont la conséquence logique d’une première détermination, celle obtenue par la comparaison ut causam : les preuves de l’existence de Dieu prouvent que Dieu est cause première, soit une cause qui n’est plus causée par autre chose, donc que Dieu est un moteur non mû, et donc quelque chose d’absolument immobile, car – principe inamovible aussi de l’ontologie aristotélicienne – rien ne peut se mouvoir par soi-même.

      Or, s’il n’y a pas de mouvement en Dieu – je m’en tiens ici au premier livre de la Somme contre les Gentils –, Dieu n’a pas de commencement ni de fin, il est donc éternel11 ; s’il est éternel, il n’y a pas de puissance en Dieu, il est donc acte pur12. S’il n’y a pas de puissance en Dieu, il n’y a pas non plus de matière en Dieu13, et il n’y a pas non plus de composition en Dieu, car en tout composé il doit y avoir de l’acte et de la puissance : Dieu est donc absolument simple14. Et cela continue : Dieu n’est pas un corps, Dieu est son essence, l’être de Dieu et son essence sont la même chose, en Dieu il n’y pas d’accident, Dieu ne rentre dans aucun genre, Dieu est parfait.

      Ces attributions, dont quelques-unes semblent au premier abord positives, (par exemple : éternel, acte pur, simple ou parfait) sont toutes des déterminations négatives, car pour un intellect ne pouvant connaître que ce qui se meut, est composé, imparfait, etc. elles décrivent quelque chose qui n’est pas directement saisissable. Il faut cependant nécessairement attribuer exactement ces propriétés à ce qui est cause première : le fait de ne pas être mû, de ne pas être composé, de ne pas être imparfait, etc.

      Peut-on parler d’une connaissance de l’essence divine en attribuant à Dieu des propriétés négatives de ce genre ? Thomas l’affirme, par exemple dans le passage suivant de la Somme contre les Gentils :

      Nous connaissons en effet d’autant mieux une chose que nous saisissons plus complètement les différences qui la distinguent des autres : chaque chose possède un être propre qui la distingue en effet de toutes les autres15.

      Et un peu plus bas dans le texte il précise :

      Or de même que, dans le domaine des différences positives, une différence en entraîne une autre et aide à serrer davantage la définition de la chose en marquant ce qui la distingue d’avec un plus grand nombre, de même une différence négative en entraîne-t-elle une autre et marque-t-elle la distinction d’avec un plus grand nombre. Si nous affirmons par exemple que Dieu n’est pas un accident, nous le distinguons par là-même de tous les accidents. Si nous ajoutons ensuite qu’il n’est pas un corps, nous le distinguons encore d’un certain nombre de substances ; et ainsi, progressivement, grâce à cette sorte de négation, nous le distinguons de tout ce qui n’est pas lui. Il y aura alors connaissance propre (propria) de la substance divine quand Dieu sera connu comme distinct de tout. Mais il nʼy aura pas connaissance parfaite (perfecta), car on ignorera ce qu’il est en lui-même16.

      La connaissance négative, j’en conviens, est bien une détermination de la nature divine. C’est préciser ce que nous entendons par Dieu que de le déterminer comme non-causé, non-composé, etc. Pour le transfert sur le plan de la conscience de soi, il importe cependant, je le répète, de retenir toute la démarche que je viens d’esquisser chez Thomas : il est nécessaire d’admettre l’existence d’une cause première. Une cause première est différente de tout ce que nous rencontrons à travers des images. Le fait d’attribuer des déterminations négatives à ce qui échappe aux images est épistémologiquement parlant informatif.

      2. Connaissance (de) soi

      Dans quel sens la conception de la connaissance négative de Thomas d’Aquin peut-elle maintenant servir à l’analyse de la conscience humaine ? Je pars du principe que toute connaissance négative est le complément d’une connaissance positive. Et il y a une multiplicité de formes de connaissance positive dont une connaissance négative peut être le complément. Les connaissances positives en effet varient selon les choix méthodologiques que l’on adopte. Or l’épistémologie par laquelle nous étudions aujourd’hui la conscience humaine n’est certainement pas l’épistémologie aristotélicienne dont se servait Thomas d’Aquin. Je vais donc commencer par esquisser l’idée d’une connaissance positive qui convienne à l’analyse de la conscience humaine. Je montrerai ensuite qu’une telle analyse, pour être complète, non seulement peut mais doit recourir elle aussi à un complément de connaissance négative.

      Il ne me sera bien sûr pas possible, dans ce cadre, de développer toute une méthode à partir de la perspective de la première personne. Selon moi, c’est la phénoménologie au sens plus restreint, la phénoménologie inaugurée par Husserl, qui sur le plan historique constitue la méthode la plus sophistiquée pour une analyse de la conscience humaine. C’est pour cette raison que je vais m’appuyer sur Husserl tout en me contentant, en lieu et place d’une méthode élaborée, de formuler une sorte de principe premier de connaissance positive de la conscience humaine.

      2.1. Connaissance positive de soi

      L’analyse de la conscience humaine qu’opère Husserl repose sur la notion d’intentionnalité. La conscience est essentiellement conscience de quelque chose. Autrement dit : la conscience est constituée d’une multitude d’actes dirigés vers des objets de conscience, et ce mouvement, si l’on peut dire, est ce que Husserl appelle intentionnalité. La conscience humaine est donc essentiellement intentionnalité, peu importe la spécificité que prend ce mouvement dirigé : percevoir quelque chose, connaître quelque chose, sentir quelque chose, désirer quelque chose, vouloir quelque chose…


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