Politik – Kirche – politische Kirche (1919–2019). Группа авторов

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(Bekanntschaft) et d’autre part la connaissance d’un objet (Erkenntnis), distinction dont Henrich se sert justement pour distinguer la conscience préréflexive de la conscience réflexive. Il se sert aussi du terme de familiarité (Vertrautheit7) pour désigner la conscience préréflexive. Cependant il me semble qu’il faut bien quelque part appeler la conscience préréflexive une connaissance de soi, car même si aucun acte de réflexion n’est impliqué, cette familiarité avec moi-même fait que je sais que je fais ceci ou cela et me permet en plus de m’en souvenir par après. Il s’agit d’une connaissance, mais non d’une connaissance sur la base d’un acte intentionnel par lequel je représente un objet.

      Et s’il en est ainsi nous ne pouvons décrire la conscience préréflexive autrement que par connaissance négative. Henrich, dans sa publication « Selbstbewusstsein » de 1970, parle explicitement d’une approche ex negativo du phénomène en question8. Concevoir la conscience de soi comme une relation sujet-objet est circulaire et présuppose une autre forme de familiarité du sujet avec lui-même9. Si toute réflexion est une relation à soi, la conscience préréflexive, dit-il, est sans relation (beziehungslos10) et n’est pas le résultat d’une performance active (keine aktive Leistung11). C’est plutôt une « dimension » qui rend possible une conscience-relation12. Et cette « dimension » inclut une Bekanntschaft ou aussi Kenntnis pour la distinguer de ce qui résulte d’une connaissance positive (Erkenntnis13). Comme le remarque aussi Manfred Frank, la description de Henrich se réduit à une négation du modèle de réflexion14.

      Le cheminement qui, au niveau de l’analyse de la conscience, nous fait aboutir à une connaissance négative est très semblable à celui que nous trouvons chez Thomas d’Aquin. Dans les deux cas, un raisonnement nous oblige à admettre l’existence de quelque chose qui échappe à la connaissance définie par le modèle épistémologique adopté. Pour Thomas, c’était la nécessité de poser l’existence de Dieu comme cause première à partir de ses cinq preuves ; pour l’analyse de la conscience, c’est la nécessité de poser l’existence d’une conscience préréflexive comme indispensable à une compréhension adéquate de la conscience humaine. Dieu échappe à la connaissance positive définie par l’épistémologie aristotélicienne, la conscience préréflexive échappe à la connaissance positive définie par une phénoménologie de la conscience.

      2.3. Échec des explications positives

      Il faut à mon avis s’en tenir strictement au fait que, de la conscience préréflexive, nous avons tout au plus une connaissance négative. Je considère que toute approche par connaissance positive est vouée à l’échec1. Il y a eu bien des tentatives d’expliquer la conscience préréflexive par une théorie positive, et l’année de la publication de « Selbstbewusstsein », donc en 1970, Henrich lui-même se distancie de l’idée d’une description ex negativo dans un article (resté non publié jusqu’en 2007) intitulé « Selbstsein und Bewusstsein2 ». Cependant, pour appuyer ma thèse selon laquelle (à partir de la perspective de la première personne) toute connaissance de la conscience préréflexive de soi est négative, je préfère discuter deux autres exemples (à mon avis plus significatifs que l’article de Henrich) cherchant à inclure la conscience préréflexive dans une théorie positive.

      Le premier exemple est le modèle de Klaus Düsing dans son ouvrage Selbstbewußtseinsmodelle de 1997, où il propose de se servir de la notion husserlienne d’horizon pour expliquer la conscience préréflexive. Tout acte de conscience qui thématise un objet est selon Husserl accompagné d’un grand nombre de vécus qui ne sont que vaguement présents, qui selon lui sont « apprésentés », c’est-à-dire qui ne font qu’accompagner ce qui est explicitement thématisé. Nous en sommes co-conscients, en quelque sorte. Dans une conversation, par exemple, mon attention est fixée en premier lieu sur mon interlocuteur. Mais j’entends aussi passer une voiture devant la fenêtre, je sens une odeur qui émane de la cuisine, je perçois mes mains, le bout de mon nez, une multitude d’objets autour de moi, je me souviens soudain de quelque chose, etc. Tout cela est vécu en même temps que d’être attentif à mon interlocuteur, tout cela forme l’horizon de ma conversation.

      Maintenant, la conscience de soi, pour Düsing, ne peut pas être réduite à une conscience réflexive dans le sens d’une auto-thématisation explicite. Selon lui, la façon dont nous sommes conscients de nous-mêmes dans des actes qui visent des objets autres que nous-mêmes n’est pas d’abord un acte réflexif, la conscience de soi qui accompagne nos actes primaires étant plutôt préréflexive, non-thématique ; plus exactement, elle accompagne nos actes primaires comme l’horizon de nos thématisations explicites. Je suis apprésent à toute une gamme de vécus formant l’horizon d’un acte intentionnel primaire par lequel je thématise quelque chose3.

      Le problème avec cette approche est l’identification de la dimension d’horizon avec le préréflexif. Car en fait, ce sont encore des actes qui constituent l’horizon de mes thématisations. L’horizon n’est pas simplement là sans contribution de ma part. Ce qui pour moi est horizon ne l’est que parce que, par un acte intentionnel, aussi fugitif qu’il soit, j’ai au moins une fois dirigé mon attention dessus. Pour sentir l’odeur de la cuisine, entendre la voiture passer devant la fenêtre, etc., il faut qu’à un moment donné mon attention se soit – même si ce n’est que vaguement – fixée sur l’odeur, la voiture, etc. Mais cela signifie que la conscience que Düsing conçoit comme préréflexive est en fait réflexive. On pourrait bien appeler lʼintentionnalité d’horizon une forme d’intentionnalité spéciale (eigentümlich), expression dont Husserl se sert pour caractériser la rétention dans les Leçons pour une phénoménologie de la conscience intime du temps4, il n’empêche qu’il s’agit d’une forme d’intentionnalité. Toute attention génère une représentation, aussi vague soit-elle, et est de ce fait intentionnelle.

      Mais avec cela, contrairement à ce que pense Düsing5, son modèle n’échappe pas à l’argument de la régression à l’infini. Car si par des actes d’attention portés sur moi-même je suis conscient de moi dans le sens d’un moi horizon de mes thématisations, la question se pose à nouveau : qu’est-ce qui fait que je sais que c’est moi-même sur qui porte mon attention ? L’intentionnalité d’horizon se visant elle-même présuppose elle aussi une conscience non-intentionnelle de soi, une conscience (de) soi, une conscience qui échappe à la connaissance positive de soi.

      Comme deuxième exemple, jetons un regard sur l’idée de la présence immédiate à soi dans la phénoménologie de Michel Henry. Contrairement à Düsing, Henry conçoit cette présence comme échappant totalement à l’intentionnalité. Et, à la différence de Henrich, il la situe au niveau de l’affectivité, au niveau d’une auto-affection originaire qui accompagne nos actes intentionnels et les rend manifestes à nous-mêmes de manière non-intentionnelle6. Henry justifie l’existence d’une telle auto-affection en référant explicitement au dilemme de la régression à l’infini qu’il appelle

      […] l’amer destin de la philosophie de la conscience classique, entraînée dans une régression sans fin, obligée de placer une seconde conscience derrière celle qui connaît, en l’occurrence une seconde intentionnalité derrière celle qu’il s’agit d’arracher à la nuit7.

      Il y a un accès plus originaire à nous-mêmes, à nos actes, un accès radicalement différent de l’accès par intentionnalité. Or l’auto-affection est selon Henry non-intentionnelle dans le sens d’« un s’éprouver soi-même originaire » « en lequel ce qui éprouve et ce qui est éprouvé ne font qu’un8 », comme il explique dans Incarnation, écrit central de son œuvre tardive. C’est le terme de vie qu’il met en avant pour désigner ce qui se révèle à soi de manière non-intentionnelle, ce qui est auto-révélation sans qu’il n’y ait « ni structure oppositionnelle ni intentionnalité, ni Ek-stase d’aucune sorte9 ». En même temps, Henry lie cette auto-affection à l’idée d’une auto-présence de notre corps, plus exactement de ce qu’il appelle la chair. Par l’auto-affection non-intentionnelle,


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