Comte du Pape. Hector Malot

Comte du Pape - Hector Malot


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éclairé par ce qu'il avait vu et entendu pendant le temps qu'il avait passé au Vatican, Aurélien avait assez bien jugé ce caractère complexe, et, s'il ne l'avait pas pénétré jusqu'au fond, il l'avait néanmoins assez bien justement deviné pour voir qu'en l'abordant par la flatterie, on était à peu près certain d'en faire ce qu'on voudrait. Quoique précoce en tout, ce n'était qu'un jeune homme de vingt ans sans expérience et qui ne s'était jamais heurté contre les difficultés de la vie.

      En moins d'une heure, Aurélien avait fait sa conquête, et, avant la fin du déjeuner, ils causaient les coudes sur la table, en face l'un de l'autre, comme deux anciens camarades.

      C'est-à-dire que Michel causait, tandis qu'Aurélien écoutait, montrant l'intérêt le plus vif, manifestant une véritable admiration au récit que lui faisait son nouvel ami de ses amours avec une jeune modiste du Corso, «qui avait du chien» et qui l'adorait au point que cela devenait ennuyeux.

      Ce récit arrangé à la mode italienne, c'est-à-dire à l'ancienne mode, parlait un peu trop de poignards et de cabinets sombres pour quelqu'un qui eût exigé de la vraisemblance et de la réalité; mais Aurélien n'exigeait qu'une chose, qui était que Michel fût heureux d'avoir trouvé un auditeur complaisant, et c'était à lui, non à Michel, de s'arranger pour obtenir ce résultat.

      —Je vous la ferai connaître, dit Michel, nous passerons ensemble tantôt dans le Corso, et je vous la montrerai; vous me direz ce que vous en pensez.

      —Non tantôt, dit Aurélien qui voulait se ménager une nouvelle entrevue, car j'ai pour cette après-midi un rendez-vous important, mais demain, si vous voulez bien; ce que vous venez de me raconter d'elle me donne un vif désir de la voir.

      —Oh! vous savez, pas de plaisanterie, n'est-ce pas, je la trouverais mauvaise; assurément je ne suis pas jaloux, mais enfin je tiens à elle, au moins pour quelques jours encore; elle m'amuse, et à Rome c'est précieux.

      Pour la première fois, Aurélien prit une figure scandalisée:

      —Permettez-moi de vous dire que vous ne savez pas dans quels principes j'ai été élevé; je ne cours pas après les femmes.

      Michel secoua la tête par un geste qui disait que pour lui les principes ne signifiaient absolument rien.

      —Enfin, à demain, dit-il; de quatre à cinq heures vous me trouverez dans le Corso, et elle nous regardera quand nous passerons.

      Aurélien avait trouvé cette histoire d'amour d'autant plus longue, que depuis qu'il était avec Michel, il y avait un point qu'il voulait éclairer, et qu'il ne pouvait pas aborder tant qu'il serait question de la modiste.

      C'était celui qui touchait les intentions de Michel quant au mariage de sa soeur.

      En disant à madame Prétavoine qu'il ne fallait pas que Bérengère se mariât sans avoir vu le monde, et qu'il se chargeait de lui trouver un mari qui eût une grande situation ou qui eût un grand nom et qui fût un peu bêta, avait-il parlé sérieusement, ou bien ces paroles n'avaient-elles été qu'une boutade?

      Il était d'une importance capitale d'être fixé à ce sujet.

      Enfin par d'habiles détours il ramena la conversation vers Condé, et tout naturellement lorsqu'ils en furent là, elle arriva à Bérengère.

      Après avoir longtemps parlé, Michel à son tour écouta, et surtout questionna.

      Sa soeur était-elle réellement une beauté, comme l'avait dit madame Prétavoine? la petite fille qu'il se rappelait était dégingandée, et elle n'avait alors de remarquable que des yeux et des cheveux.

      Aurélien ne pouvait pas parler de Bérengère avec la chaleur de sa mère, c'eût été se trahir; mais le portrait qu'il fit d'elle, long et détaillé, plutôt exact qu'enthousiaste, donnait bien l'idée de ce qu'elle était réellement.

      Michel se montra très-satisfait de ce portrait, car il paraissait tenir beaucoup à la beauté de sa soeur. Quelle eût de l'esprit, du coeur, de la bonté, de la tendresse, il n'en prenait nul souci. Elle était belle? pour lui tout était là.

      Il n'était pas bien difficile de deviner ce qui inspirait ce désir. Si Bérengère était belle, on lui trouverait le mari à grand nom ou à grande situation financière qu'il voulait; car c'est avec la beauté comme appât, plus qu'avec le coeur, la bonté ou la tendresse qu'on pêche les maris.

      La seconde question sur laquelle il insista presque aussi longuement se rapporta à la santé de M. de la Roche-Odon.

      Comment le vieux comte portait-il ses soixante-seize ans? Était-il souvent malade? Que disaient de lui les médecins? Était-il vrai qu'il se fût astreint à un régime sévère, afin de prolonger son existence au-delà des limites permises? Cela était bien ridicule.

      Pour ces questions non plus, il n'était pas bien difficile de deviner le mobile qui les dictait: assurément ce n'était point un intérêt sympathique; et ce n'était pas que le comte de la Roche-Odon vécût longtemps encore que Michel souhaitait; tout au contraire, c'était qu'il mourût bientôt en laissant sa fortune à Bérengère.

      Mais là-dessus il n'entrait pas dans les combinaisons d'Aurélien de lui répondre comme il l'avait fait pour Bérengère. Tout au contraire, il s'appliqua à démolir les espérances que Michel pouvait avoir: le comte portait gaillardement sa vieillesse, jamais il n'avait une indisposition, le régime qu'il s'était imposé lui réussissait à merveille, et tout le monde, même les médecins, s'accordaient à dire qu'il vivrait au-delà de cent ans.

      A chacune de ces réponses Michel avait fait la grimace et à la dernière il s'était levé de table avec colère.

      —Il y a les accidents, avait-il dit.

      —Encore faut-il qu'on s'y expose.

      —Au revoir, à demain.

      Et, sans en dire ou en écouter davantage, Michel était sorti, avait fait signe à un cocher et montant en voiture avait planté là son nouvel ami.

      Aurélien s'était bien douté que ses paroles ne seraient pas agréables à Michel, mais les choses entre eux étaient assez avancées maintenant pour qu'il risquât ces réponses, quel que pût être leur effet.

      Michel pourrait en être contrarié, mais il ne pourrait pas s'en fâcher; et il importait qu'en même temps que ses espérances relatives au mariage de sa soeur se trouvaient confirmées et agrandies, ses calculs sur la mort prochaine du comte de la Roche-Odon fussent radicalement détruits.

      Jusqu'alors sa soeur lui avait paru bonne pour deux spéculations.

      Dans la première, le comte de la Roche-Odon mourait prochainement, et Bérengère héritière de son grand-père, venait vivre près de sa mère et de son frère, qui l'un et l'autre administraient la fortune de cette petite fille jusqu'au jour de la majorité de celle-ci, et même peut-être plus loin encore.

      Dans la seconde, Bérengère n'héritait pas, par cette raison que le comte de la Roche-Odon ne mourait pas, mais elle se mariait à un mari riche, «un bêta», et Michel, qui avait fait le mariage, profitait de la fortune en même temps que de la bêtise de son beau-frère.

      Tel était le plan à double issue de ce jeune homme précoce et pratique, qui avait jeté un clair regard sur la vie, et qui attendait le succès de l'une ou l'autre de ces combinaisons, pour prendre dans le monde le rang qui lui appartenait.

      Maintenant, éclairé comme il venait de l'être, il renoncerait sans doute à la combinaison n° 1, c'est-à-dire à celle qui reposait sur la mort de M. de la Roche-Odon, et il reporterait toutes ses espérances sur la combinaison n° 2, c'est-à-dire sur le mariage de sa soeur fait et arrangé par lui, dans les conditions qu'il désirait.

      C'était là un grand point d'obtenu.

      Décidément cette journée avait encore été bonne.

      Ce fut le mot de madame Prétavoine quand Aurélien,


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