Hélika: Memoire d'un vieux maître d'école. Charles DeGuise

Hélika: Memoire d'un vieux maître d'école - Charles DeGuise


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et de plaisir, elle était amoureusement inclinée vers Octave et le main dans la sienne, ils se souriaient l'un à l'autre, Pendant que je passais ainsi toutes mes journées en folles rêveries amoureuses, Octave par son travail et avec l'aide de l'argent que son père lui avait donné s'était acquis une belle propriété, et moi je ne faisais rien. Ma famille était très occupée de voir la tournure que prenait mon esprit, car je devenais de plus en plus morose et taciturne. Ma mère un jour à la suggestion de mon père m'en fit la remarque d'une manière douce et maternelle. Je lui répondis d'un ton bourru et grossier. La sainte femme m'écouta avec étonnement d'abord, comme si elle n'en pouvait croire ses oreilles ou comme si elle se fut éveillée d'un mauvais rêve, puis tout à coup elle fondit en larmes et m'entourant de ses bras elle me dit en m'embrassant: "Pauvre enfant, tu souffres donc bien." Elle ne put ajouter un seul mot, les sanglots la suffoquèrent. Ces larmes de ma mère furent les premières qu'elle versa de chagrin, mais elles ne furent pas, hélas! les dernières que virent couler ses cheveux blancs et dont seul je fus la cause par mon ingratitude et ma méchanceté.

      Enfin le jour décisif arrivait, il me fallait sortir de cet affreux état.

      Un dimanche matin, Octave était absent, je revenais de l'église accompagnant Marguerite. Je résolus de profiter de l'occasion pour tenter un dernier effort. Je lui rappelai d'une voix émue les joies, les plaisirs de notre enfance, combien alors les journées étaient longues et ennuyeuses quand nous ne pouvions nous rencontrer pour partager nos jeux et nos promenades. Je remontai ainsi jusqu'au temps présent. Elle m'écouta d'abord avec plaisir, ne sachant où je voulais en venir. Mais bientôt mes paroles devinrent plus significatives et plus pressantes. Lorsque je lui exprimai en termes brûlants combien je l'aimais, quels étaient mes rêves, le bonheur que j'avais fondés sur son amour et son union avec moi, elle rougit, puis pâlit au point que je crus qu'elle allait défaillir. Je lui fis ensuite le tableau de mes souffrances passées et de mon désespoir si elle refusait de se rendre à mes voeux. Alors des larmes abondantes glissèrent sur ses joues, mais elle ne me répondit pas. Je redoublai d'instances, tout mon coeur, toute mon âme, tout mon amour passèrent dans mes paroles, elles devaient tomber sur son coeur de glace comme des gouttes de feu. Insensé, j'espérai un instant qu'elle aurait pitié de moi et se laisserait fléchir, mais ce ne fut qu'un éclair.

      Jugez de ce que je devins, lorsque me prenant les deux mains et m'enveloppant de son regard si doux et si caressant elle me dit en pleurant: "Le ciel m'est à témoin que je donnerais la plus grande part du bonheur qu'il me destine pour vous savoir heureux. Mais pour vous appartenir je manquerais au serment que j'ai fait à un autre devant Dieu, je manquerais de plus aux cris de ma conscience et à la voix de mon coeur; car je ne vous cacherai pas je suis fiancée à Octave et que dans peu de jours nous serons irrévocablement unis." Je ne sais quelle transformation se fit dans ma figure, si elle eut peur de l'expression des mes traits ou de l'effet de ses paroles; mais en levant les yeux sur moi elle recula de quelques pas.

      "Pourquoi ajouta-t-elle tristement, faut-il que je vous cause du chagrin? une autre vous comprendra mieux que je ne le puis faire, car elle sera plus que moi à la hauteur de votre intelligence et vous serez heureux avec elle. Octave et moi vous avons désigné une place au coin du feu où vous viendrez vous asseoir bien souvent, nous causerons, nous nous amuserons et nous nous occuperons de vous trouver une épouse digne de vous".

      Tels furent les dernier mots qu'elle m'adressa en me pressant affectueusement la main. Elle était toute émue et tremblante, je la voyais pleurer et j'avais l'enfer dans le coeur; c'est ainsi que nous nous quittâmes.

      Je passai le peu de jours qui suivirent cet entretien et précédèrent leur union dans des transports de rage et de jalousie inexprimables. Mes parents crurent véritablement que je devenais fou furieux.

      Cependant, ainsi qu'elle me l'avait dit, huit jours après, la tête brûlante, la figure affreusement contractée, j'entendis à l'abri d'un pilier de la petite église de notre paroisse le serment qu'Octave et Marguerite se firent de s'appartenir l'un à l'autre. J'aurais voulu voir le temple s'écrouler sur eux et les mettre en poussière. C'en était fait de moi, j'avais au fond du coeur tous les esprits du mal et tout ce que le coeur humain peut avoir de haine contre son semblable, je le ressentis pour eux. De tous les pores de ma peau sortait le cri vengeance, vengeance! Si elle m'eut aperçu lorsque sa robe vint me frôler au sortir de l'église, elle eut reculé, épouvantée comme à l'aspect d'un serpent.

      Fou, insensé, j'avais espéré jusqu'au moment solennel. Oui j'espérais qu'elle comprendrait toute l'immensité de mon amour et combien j'aurais travaillé à la rendre heureuse. Le dimanche même, malgré la publication des bancs, cet espoir m'enivrait encore.

      Vous êtes peut-être surpris qu'après tant d'années et en ce de moment solennel où il ne me reste que peu de temps à vivre, je vous parle avec autant de chaleur du passé; mais sur son lit de mort, le vieillard sent quelquefois son sang se réchauffer aux brûlants souvenirs de sa jeunesse: c'est la dernière lueur du flambeau qui va s'éteindre.

      Je laissai le cortège nuptial s'éloigner et m'élançai hors du temple. Je courus à la maison, fis un paquet de quelques hardes, me munis d'un bon sac de provisions et d'amples munitions, sifflai mon chien et répondant à peine aux douces paroles de ma mère qui pleurait en m'embrassant, je pris le chemin du bois.

      Mes bons parents je ne les ai jamais revus depuis; mais j'ai appris par d'autres que mes deux soeurs avaient embrassé la vie religieuse dans un couvent des Soeurs de Charité; que mon père et ma mère joignaient leurs prières aux leurs pour celui qu'ils croyaient mort depuis longtemps. Hélas! leur fils dénaturé n'a pas été essuyer les pleurs de leurs vieux ans et leur fermer les yeux.

       Table des matières

      Les forces du moribond étaient complètement épuisées. Ces souvenirs chargés de repentir avaient trop longtemps pesé sur son âme.

      Il indiqua à monsieur Fameux un endroit dans la chambre où il trouverait un manuscrit qui contenait toute l'histoire de sa vie. Il nous demanda comme une faveur de vouloir en prendre connaissance, de le publier même, si on le voulait, afin qu'il servit d'enseignement.

      Sur un des rayons poudreux de ses tablettes, Monsieur d'Olbigny alla prendre un manuscrit jauni par le temps: "Voilà, nous dit-il, qui complétera l'histoire d'Hélika, si elle vous présente quelqu'intérêt. Mais auparavant, permettez-moi de vous raconter ses derniers moments."

      Il était donc évident que l'heure suprême était arrivée pour le vieillard, aussi le sentait-il lui-même. Il nous fit signer comme témoins, un testament olographe qu'il avait préparé, par lequel il instituait Adala, sa légatrice universelle, lui enjoignant toutefois de prendre un soin tout filial de la vieille indienne et nommait monsieur Fameux son exécuteur testamentaire.

      Toutes ces dispositions prises, il nous exprima le désir de rester encore quelques instants seul avec le ministre de Dieu. Ses forces l'abandonnaient rapidement. Après un assez long entretien avec monsieur Fameux, sur sa demande nous rentrâmes dans la chambre. La jeune fille agenouillée, recevait toute en larmes la dernière bénédiction et les derniers baisers du mourant, pendant que la vieille indienne regardait d'un oeil sec et stoïque cet émouvant tableau.

      Bientôt après, nous nous mîmes à genoux et récitâmes les prières des agonisants; quelques heures plus tard, Hélika était devant Dieu. Le surlendemain, nous le déposâmess dans sa dernière demeure à l'endroit qu'il nous avait lui-même indiqué. La cérémonie fut touchante et bien propre à nous impressionner. La nature avait cette journée là une teinte morne et sombre. Le temps était couvert, le soleil voilé ne répandait qu'une lumière blanchâtre à travers les nuages qui le recouvraient. Une brise froide et glacée comme un vent d'automne, imprimait aux arbres des craquements et un balancement qui leur arrachaient des plaintes continues; elles faisaient écho aux lamentations la jeune orpheline, qui, la figure prosternée, arrosait de ses larmes la terre sous laquelle reposait celui qu'elle


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