Les cotillons célèbres. Emile Gaboriau
ébloui par cette perspective de placer une de ses nièces sur le trône, était d'accord avec sa nièce, et dans son horreur «d'un mariage aussi monstrueux,» elle fit rédiger une protestation.
Plutôt que de souffrir une pareille infamie, disait-elle, je ferais un appel à la noblesse, j'armerais mon second fils contre son frère, et moi-même, à la tête de l'armée, je marcherais contre le roi.
Mais cette protestation était inutile. La reine-mère suspectait à tort les intentions du cardinal. Le ministre ne rêvait qu'une chose, l'alliance espagnole; et tandis qu'on l'accusait de traîner en longueur les dernières formalités du mariage de Louis XIV avec une princesse de Savoie, des agents habiles négociaient à Madrid et obtenaient du cabinet de l'Escurial la paix et la main de l'infante.
Pressé par son amante, le jeune roi avait osé déclarer au cardinal qu'il était résolu à faire mademoiselle Mancini reine de France.
—Moi vivant, avait répondu le ministre, jamais ce mariage n'aura lieu; je poignarderais plutôt ma nièce de ma propre main.
Ce qui diminue peut-être un peu le mérite du cardinal, c'est que depuis longtemps il avait pénétré l'ingratitude de sa nièce. Marie n'avait en effet usé de son ascendant que pour tâcher de perdre Mazarin, à qui elle devait tout, dans l'esprit du roi.
Et pourtant le moment approchait où Louis XIV allait avoir à prendre un parti. On avait rompu les projets de mariage avec la princesse de Savoie, et l'Espagne se décidait à offrir son infante. L'amour du roi pour Marie paraissait désormais le seul obstacle sérieux, et toute la cour suivait avec anxiété les phases diverses de cette grande passion, qui donnait aux combinaisons politiques d'ordinaire si froides tout l'intérêt d'un drame.
Qui l'emporterait dans le cœur du jeune prince, de la raison d'État ou de l'amour? Hélas! le parti de la sagesse eut raison.
Marie Mancini reçut l'ordre de quitter la cour et d'aller attendre à la Rochelle et au Brouage la fin des négociations avec l'Espagne. Louis XIV n'osa pas s'opposer au départ de son amie.
Les adieux des deux amants furent déchirants. Louis tout en pleurs conduisit son amie jusqu'au carrosse qui devait l'emmener bien loin de lui, et c'est alors que la jeune fille lui adressa ces paroles si souvent citées:—«Vous êtes roi, vous pleurez, et je pars!...»
À ces mots les larmes du roi redoublèrent, mais il n'osa pas révoquer l'ordre qu'avait donné le cardinal. Marie eût résisté, Louis céda.
Les deux amants n'eurent plus qu'une entrevue avant le mariage du roi. Comme la cour se rendait à Bordeaux pour attendre la fin des négociations, Marie Mancini eut la permission de venir saluer la reine-mère à son passage à Saint-Jean-d'Angely. C'était le seul moyen d'empêcher le roi de se détourner de son chemin pour aller voir son amie et d'éviter un scandale.
Cette entrevue raviva les espérances de l'orgueilleuse jeune fille et exalta si bien l'amour du roi que Mazarin, sérieusement inquiet, écrivit au roi pour le menacer de quitter la France avec ses nièces: «Aucune puissance humaine, disait-il, ne saurait m'ôter la libre disposition que Dieu et les lois m'ont donnée sur ma famille.»
Cette lettre du cardinal peint Marie sous les couleurs les plus sombres, il la traite d'extravagante, d'ingrate, d'ambitieuse, incapable d'aimer personne.
«Songez, je vous prie, écrivait-il au roi, s'il y a au monde un homme plus malheureux que moi, qui, après m'être appliqué avec ardeur à procurer par toutes les voies les plus pénibles, la gloire de vos armes, le repos de vos peuples et le bien de votre État, ai le déplaisir de voir qu'une personne qui m'appartient est sur le point de renverser tout et de causer votre ruine!...[8]»
Ces lettres ne servirent qu'à irriter la passion du roi. Les obstacles semblaient exalter son courage et l'affermir dans ses résolutions. Il menaçait de rompre les négociations avec l'Espagne, si avancées qu'elles fussent, et d'épouser, envers et contre tous, celle qui l'aimait et qui seule, disait-il, pouvait assurer le bonheur de sa vie, lorsque la jeune fille prit une résolution aussi héroïque qu'inattendue et trancha d'elle-même les difficultés de la situation.
Marie Mancini eut le courage de s'arracher à son beau rêve; elle cessa toute correspondance avec le roi et annonça qu'elle était décidée à ne le revoir jamais. «Action telle, écrit Mazarin, qui peut-être par ses intimidations avait contribué à la résolution de Marie, action telle qu'il eût été malaisé d'en attendre une semblable, d'une personne de quarante ans qui eût été nourrie toute sa vie avec des philosophes.»
Ainsi se termina ce roman d'amour, épisode important de la vie de Louis XIV.... Avec «moins de bons sens précoce, de sagesse et de politique,» il eût épousé Marie Mancini; et alors que de malheurs épargnés, à la France[9]!
Abandonné à ses propres forces, le jeune roi ne résista plus et, le 9 juin 1660, on célébra, à Saint-Jean-de-Luz, son mariage avec l'infante d'Espagne Marie-Thérèse. Après douze jours d'une marche triomphale à travers la France, le royal couple fit son entrée à Paris au milieu des acclamations d'un peuple qui dans cette union ne voyait que l'assurance d'une paix durable.
Marie-Thérèse avait du premier jour déplu au roi, elle était petite, replète, fort rouge, presque naine, et la passion admirative qu'elle eut toute sa vie pour son mari ne fut jamais payée de retour.
Louis XIV n'eut même pas pour elle les égards qu'il devait à sa femme légitime, à la reine. Presque au lendemain des noces, il déserta son salon pour aller chercher ailleurs de galantes distractions.
Lorsque plus tard la reine, entourée des maîtresses au milieu desquelles vivait le roi de France comme Bajazet dans son sérail, osa élever la voix et se plaindre de l'indignité de ces relations de chaque jour, le roi lui répondit aigrement:
—De quoi vous plaignez-vous, madame, n'ai-je pas toujours partagé votre lit?
Après comme avant le mariage, la question restait la même: quelle serait la reine de fait? d'où soufflerait désormais la faveur? On était fort indécis, et les courtisans les plus habiles s'abstenaient, ne sachant de quel côté encore tourner leurs adorations.
Le salon favori du roi était alors celui de la comtesse de Soissons, cette même Olympia Mancini, l'une des inclinations enfantines de Louis. Il était fort assidu chez elle, et les plus médisants assuraient que la comtesse, pour s'attacher le prince, n'avait pas reculé devant l'adultère.
Nulle influence ne pouvait être plus fâcheuse que celle de madame de Soissons, et cependant le roi semblait chaque jour s'attacher davantage à elle, lorsque l'arrivée d'Henriette d'Angleterre vint rendre inutiles toutes les séductions d'Olympia. Dès lors le charme fut rompu, le roi ne garda plus rien de son ancien faible pour la comtesse, et même il chargea de Vardes, son favori, de l'en débarrasser en se déclarant son galant.
Henriette d'Angleterre, dont l'arrivée à la cour de France marque l'aurore d'une ère nouvelle, était fille de la charmante et trop galante Henriette de France, et de Charles Ier, ce prince infortuné qui expia si cruellement ses fautes sur l'échafaud.
Nulle vie ne fut plus terriblement agitée que la sienne. Elle était le gage de la dernière réconciliation de Charles Ier fugitif et de sa trop infidèle épouse. «Née d'une larme et d'un baiser d'adieu,» elle vint au monde au milieu des horreurs d'un siége, sous le canon de l'ennemi.
L'épouse de Charles Ier eut le bonheur d'échapper aux puritains, elle s'enfuit entraînant ses enfants, appuyée sur le bras de son amant, ce bel Anglais qu'elle épousa plus tard.
Les fugitifs purent gagner la France, ils y trouvèrent un asile, mais non du pain; ils avaient un appartement au Louvre, mais l'hiver ils manquaient de bois et restaient au lit faute de feu.
La petite Henriette avait cinq ans lorsque son père fut décapité en Angleterre. Nul alors ne se souciait d'elle. On la laissait aux mains des femmes de chambre. Elle avait sous les yeux de déplorables exemples, le ménage illégitime et sans cesse troublé