Nach Paris! (Roman). Dumur Louis

Nach Paris! (Roman) - Dumur Louis


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      —Aujourd'hui, reprit Schimmel, nous leur damons le pion en tout... En tout, vous m'entendez bien!... Notre infanterie, vous la connaissez aussi bien que moi, Kœnig. Notre cavalerie, magnifique. Notre artillerie, splendide. En tout, vous dis-je!... Notre train, notre génie, nos services de communications, tout est parfait, tout est au point. Il n'y a plus qu'à marcher.

      A l'ouïe de ces propos réconfortants, mon jeune cœur d'Allemand se soulevait d'enthousiasme et se délectait d'espérance. Je voyais nos innombrables troupes franchir victorieusement la frontière et se répandre en pays ennemi. Tout cédait à leur approche, les régiments s'effondraient, les divisions se disloquaient, les murailles bétonnées sautaient, les coupoles d'acier volaient en éclats. Successivement les villes se rendaient et les provinces tombaient. C'était d'abord Nancy, l'orgueilleuse cité lorraine, avec ses grilles, ses balustres, ses palais; puis, nos obusiers nous frayant violemment passage, nos armées envahissaient la Champagne, débordaient sur la Bourgogne, la Brie, le Valois, coulaient irrésistiblement vers Paris. Troyes, Reims, Soissons succombaient. L'inondation poursuivait sa marche torrentielle, gagnait la Normandie au nord, la Beauce au sud, et tandis qu'un ouragan de fer et de feu noyait et broyait Paris, que la double ceinture des forts crevait comme une digue impuissante et que, dans une dégringolade effroyable de poutrelles, de tôles, de fermes, de chevrons, la tour Eiffel, haute de trois cents mètres, venait s'écraser pitoyablement sur le sol, de nouveaux flots dégorgeaient inextinguiblement des bondes de l'est, où Verdun, Toul, Epinal, Belfort ne formaient déjà plus que des amas de ruines fumantes.

      Sans m'abandonner aux perspectives lointaines qu'avait ouvertes devant moi le juge de district Obercassel, je croyais déjà toucher des yeux cet avenir si proche qu'en l'espace d'un mois la réalisation en pouvait être acquise. J'assistais en imagination à l'entrée triomphale de notre armée de l'Ouest, notre fier Kronprinz à sa tête, dans la capitale française abattue. J'entendais les puissants appels du Deutschland, Deutschland über alles rugis par douze musiques de régiment à la fois sur la place de la Concorde. A Versailles, un nouveau couronnement se préparait. Amiens, Rouen, Chartres étaient occupés, Orléans enlevé, la Loire franchie, Bourges saisi, Lyon investi. Partout les populations se soumettaient et les pantalons rouges fuyaient; les convois de prisonniers s'acheminaient par milliers sur l'Allemagne. Quelques semaines encore et le Midi rayonnant s'ouvrait aux pas des cohortes germaines extasiées. Le sol du Languedoc était foulé; la Provence huileuse recevait l'empreinte de nos talons. Et par un matin flamboyant, un escadron de nos hussards, débouchant d'un vallon touffu d'orangers, découvrait tout à coup la Méditerranée baignée de soleil, tandis que leurs chevaux, le poitrail haletant et la crinière gonflée, reniflaient le vent brûlant de l'Afrique.

      —Quelle gloire! murmurai-je, emporté par mon rêve.

      —Et surtout, dit Kœnig, dont la pensée semblait avoir pris un cours semblable à la mienne, surtout quel bienfait pour le monde!... Nos mœurs, nos arts, notre science affirmant leur suprématie; notre langue et notre littérature se conquérant de nouveaux domaines: nos qualités nationales imposant leur supériorité et démontrant leur valeur: l'ordre, la discipline, le travail, la ténacité, l'honneur, l'amour du droit et le respect de la parole jurée; notre bonne foi et notre fidélité germaniques triomphant de l'intrigue, du mensonge et de l'envie; enfin, tout l'univers s'élevant à la culture allemande, qui n'est autre, messieurs, nous pouvons le déclarer sans orgueil, que la culture elle-même.

      Schimmel avait suivi ce petit discours d'un œil ironique.

      —Tout cela, dit-il, mon cher Kœnig, est fort beau: mais c'est de l'idéalisme! Pour moi, si ma philosophie n'est point incapable de concevoir de si belles choses, elle se contente à moindre compte. Dans quelques jours, peut-être, s'il plaît à Dieu, nous serons en France. Nous y serons hors de toute loi, sinon celle de la guerre, exempts de toute contrainte autre que le succès de nos armes et le bon plaisir du guerrier. Rien qu'à y songer, je me sens déjà plein de joie et d'ardente convoitise. Quel pays que la France! Quelles femmes, quels vins, quelles richesses!... Voilà la réalité, voilà ce qui est appréciable et tangible... La culture, c'est très bien. Vous la répandrez, je n'en doute pas, mon cher Kœnig, vous et vos pareils. Mais croyez-moi, laissez cela aux professeurs, qui s'en chargent. Nous autres, nous sommes des soldats. Nous risquons notre peau, mais nous y trouvons le bénéfice de compensations immédiates. Pour moi, si, comme je l'espère, je rentre en France le sabre au clair et à la tête de ma section, je veux bien me battre, bien tuer, bien manger, bien boire et bien b..... Après quoi, je m'en f... et je laisse la place aux professeurs... Prosit!

      Peu à peu Schimmel avait élevé la voix et quand, parvenu au bout de son couplet, il eut haussé victorieusement son verre, de sonores hourras partirent des tables voisines.

      —Bravo!... Hoch Schimmel!... Voilà qui est parler! criait-on de divers côtés.

      Le premier-lieutenant Poppe se dérangea pour venir lui serrer la main, et la table des capitaines elle-même fut secouée d'un frémissement joyeux.

      Les échos de cette animation générale ne s'étaient pas encore calmés, que la porte de la salle s'ouvrit. Elle livra passage au major von Nippenburg, qu'accompagnait le capitaine Kaiserkopf. Tout le monde se leva.

      C'était un homme d'une cinquantaine d'années, replet et rose, sans un poil sur la nuque, non plus que sous le busc de son nez d'épervier. Ganté, sanglé, la casquette profondément enfoncée sur le crâne, la torsade à deux brins aux épaules, la cravache sous l'aisselle et les jambes arquées par l'exercice du cheval, il avait l'air tout à la fois burlesque et matamore. Auprès de lui, le capitaine Kaiserkopf paraissait un colosse.

      —Bonsoir, messieurs, dit-il. Je vous en prie, reprenez place.

      Il circulait de table en table, saluant aimablement du geste.

      —Vous n'êtes pas très commodément installés... Vous êtes à l'étroit, messieurs... Vous regrettez votre casino...

      —D'autant plus, fit la grosse voix de Kaiserkopf, que ces bougres de sous-officiers nous font ici à côté un sabbat... Potztausend!

      Cette observation déchaîna une franche hilarité. Le fait est que les sous-officiers du régiment, qui avaient leur cantine dans la salle voisine, ne se gênaient guère pour procéder à leur vacarme habituel, dont, chaque fois que la porte s'ouvrait, nous percevions les éclats et le grossier tintamarre.

      —Que voulez-vous, messieurs... poursuivait le major. A la guerre comme à la guerre!

      A peine avait-il laissé choir ces mots qu'un vif émoi s'emparait des assistants. Des officiers se précipitaient:

      —La guerre!... Vous avez dit la guerre, monsieur le commandant?... Est-ce la guerre?...

      Assailli de la sorte, le major ne vit d'autre ressource que de lever au plafond ses bras courts.

      —Je vous en prie, messieurs, chevrota-t-il, calmez-vous... Je n'ai pas dit la guerre... Si j'ai dit la guerre, c'était sans y prendre garde, dans l'emploi d'une expression usuelle à laquelle je n'attachais pas d'autre importance... Je ne sais rien, messieurs... Je vous assure que j'ignore tout... Comme vous, j'attends... Calmez-vous, messieurs, je vous en supplie...

      —Calmez-vous donc, nom de Dieu! tonitrua le capitaine Kaiserkopf. Le major von Nippenburg vous dit qu'il ne sait rien: c'est qu'il ne sait rien.

      Cette injonction eut raison du tumulte. Que le major von Nippenburg sût quelque chose qu'il ne voulût pas dire ou que vraiment il ne sût rien, le résultat en était le même et la conséquence identique: la patience.

      Ce fut le moment de me lever de nouveau, de faire trois pas à la rencontre du major qui s'avançait vers notre table et de me présenter à lui. Il voulut bien me reconnaître, m'adressa plusieurs questions et me demanda des nouvelles de mon père. Cet accueil ne manqua pas d'impressionner le capitaine Kaiserkopf.

      —Gewiss, fit celui-ci, je crois que nous pouvons compter sur ce jeune gaillard. J'ai vu ses notes, qui sont bonnes, et je lui ai confié le cinquième groupe de la troisième


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