Au soleil de juillet (1829-1830). Paul Adam

Au soleil de juillet (1829-1830) - Paul Adam


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       Paul Adam

      Au soleil de juillet (1829-1830)

      Le temps et la vie

      Publié par Good Press, 2021

       [email protected]

      EAN 4064066082222

       I

       II

       III

       IV

       V

       VI

       VII

       VIII

       IX

       X

       XI

       XII

       XIII

       XIV

       XV

       ŒUVRES DE PAUL ADAM

       Table des matières

      Après les embrassades, les pleurs, les pardons, Mme Héricourt s'adossa contre la haute armoire de chêne sculpté, dans le vestibule des Moulins. Hochant la tête, elle répéta:

      —Hein, Caroline! Est-il bien mon fils...? Le sacripant! Ah Lucifer... va! Rome ne t'a point changé.

      Elle replia son mouchoir humide. Dans les arbres du jardin, à travers les carreaux de la cloison vitrée, elle regarda sa douleur de le savoir sans dévotion.

      —Eh bien, mon bel avocat, trouves-tu du changement par ici?... demandait, toute fière, la tante Caroline Cavrois.

      Avec son trousseau de clef, elle désigna le crépi neuf de la pièce octogone, un crépi jaune quadrillé de marron. Deux poissons frétillaient dans un bocal soutenu par un pied de bronze, au milieu du guéridon. La tante, du geste, admira le paravent recouvert d'une tapisserie fraîche dont le paysage tyrolien, reproduit cinq fois par feuille, était ceint d'une arabesque bleue. Il cachait la provision de bûches et de fagots entassés contre le mur. Les fouets de chasse, les colliers de chien, les baguettes de fusil, étaient suspendus contre un petit panneau, près de l'horloge battant la mesure dans sa haute gaine de bois. Les perspectives de la cuisine s'ouvraient là, sur leur carreau rouge, avec leurs chaises et leurs tables grattées au verre, leurs batteries de cuivre épanouies sous l'alignement des chandeliers, les figures rutilantes des bassinoires. Des grosses filles tiraient du four les plats brûlants. La graisse criait autour des perdreaux. Une odeur de dîner somptueux rassasia d'abord les narines.

      Omer vanta la netteté du vestibule clair, qu'agrémentait un gradin pourvu de cyclamens en pots, de résédas discrets et de sains hortensias. La tante Caroline releva délicatement leurs têtes, essuya leurs feuilles. D'une fleur, elle dit:

      —Ça embaume...

      —Comment n'as-tu pas essayé d'obtenir audience du Saint-Père? demandait encore à son fils Mme Héricourt.

      De ses doigts, mouillés au préalable par la bouche, la veuve lissa ses bandeaux fins et gris contre les rides migraineuses du front.

      Omer s'excusa de son mieux, en descendant les trois marches qui menaient à la salle basse, à sa vaste cheminée rustique, où la crémaillère d'apparât, creusée d'armoiries à devises, accrochait un chaudron très ancien, martelé, poinçonné, offrant l'image roide de saint Omer, qui, la truelle au poing, bâtissait le monastère et la ville de son nom.

      Le jeune homme s'attendrit au souvenir des vacances passées jadis à conter là, pour Elvire, des histoires de loups-garous. Du râtelier aux vieux fusils, il avait maintes fois décroché les armes, pour manier les canons, pour examiner les meutes coiffant le cerf sur la gravure des platines. Un saint Hubert sculpté en relief dans une crosse de 1720 l'avait ravi longtemps, telle une marionnette au nez camard et à la bouche grotesque. Tout cela décorait encore les panneaux, non moins que les coqs, les faisceaux de licteurs et les bonnets de Mithra sur les assiettes de la Révolution. Une servante ouvrit un bahut. Il s'en échappa le même parfum de sel et de pain bis qui précédait la confection du goûter, autrefois.

      —Ma tante, donnez-moi je vous prie, une tartine.

      —Fi donc!... grand sot!...

      Il l'eut. Avec délices, il la mangea.

      —Mets ton mouchoir sur ton habit, pour les miettes... Le beurre tache... tu sais!... Mais regarde-le donc, Virginie, ton fils... On dirait, par ma foi, qu'il vient de faire le fou, avec ses cousins, dans le Pré aux Vaches!... Une chope de bière, hein?

      La cruche mousseuse fut apportée par les bras nus et trop roses de la cuisinière. Dans un haut cristal à facettes, Omer but lentement l'aigre fraîcheur du liquide. Simulant une satisfaction sans bornes, il savait réjouir l'âge des parentes. Elles le contemplèrent. Elles se rappelaient maint bonheur défunt. Et il jugea bon de leur plaire ainsi.

      Les gros yeux navrés de Maman Virginie lui reprochaient doucement d'avoir omis leurs vœux. Accoudée sur le bras de son petit fauteuil roide, elle appuyait contre deux doigts secs, son visage de brune virile aux bandeaux minces que des peignes d'argent étiraient jusqu'en sa coiffe de veuve, soie blanche, crêpe noir. L'autre main égrenait le rosaire d'agathe et d'ambre que son fils avait, pour elle, acquis chez Gennarello l'antiquaire romain. Elle avait maigri beaucoup durant le séjour de son fils en Italie. L'embonpoint de la maturité, à la suite d'une fièvre cérébrale, s'était progressivement amoindri. A quarante-sept ans, elle était une personne plate, usée, aux longues jambes impatientes sous le taffetas de la sombre robe. Omer l'aimait mieux ainsi. Elle différait moins de l'image qu'il conservait d'elle, lorsque, dans sa prime enfance, il l'avait adorée, élégante et impériale, entraînant, après soi, le bruit des étoffes aux couleurs vives, et faisant tinter les pierres de ses bracelets, les mailles de ses chaînes d'or.

      Il se félicitait de la voir perdre cette lourdeur où, elle s'était empâtée, inerte, et se lamentant sur la mort de son mari, sur l'impossibilité d'atteindre la perfection chrétienne qui vaut les béatitudes séraphiques des saints, unique bonheur certain, croyait-elle: ceux du monde étaient trop fragiles. La transformation physique, sans doute déterminait le changement moral. La renonciation d'Omer à la prêtrise, le mariage avec Elvire Gresloup, elle les accueillit par moins de pleurs et de douleurs qu'au temps où elle les


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