Nana. Emile Zola

Nana - Emile Zola


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       Émile Zola

      Nana

      Publié par Good Press, 2021

       [email protected]

      EAN 4064066078423

       I

       II

       III

       IV

       V

       VI

       VII

       VIII

       IX

       X

       XI

       XII

       XIII

       XIV

       Table des matières

      A neuf heures, la salle du théâtre des Variétés était encore vide. Quelques personnes, au balcon et à l'orchestre, attendaient, perdues parmi les fauteuils de velours grenat, dans le petit jour du lustre à demi-feux. Une ombre noyait la grande tache rouge du rideau; et pas un bruit ne venait de la scène, la rampe éteinte, les pupitres des musiciens débandés. En haut seulement, à la troisième galerie, autour de la rotonde du plafond où des femmes et des enfants nus prenaient leur volée dans un ciel verdi par le gaz, des appels et des rires sortaient d'un brouhaha continu de voix, des têtes coiffées de bonnets et de casquettes s'étageaient sous les larges baies rondes, encadrées d'or. Par moments, une ouvreuse se montrait, affairée, des coupons à la main, poussant devant elle un monsieur et une dame qui s'asseyaient, l'homme en habit, la femme mince et cambrée, promenant un lent regard.

      Deux jeunes gens parurent à l'orchestre. Ils se tinrent debout, regardant.

      — Que te disais-je, Hector? s'écria le plus âgé, un grand garçon à petites moustaches noires, nous venons trop tôt. Tu aurais bien pu me laisser achever mon cigare.

      Une ouvreuse passait.

      — Oh! monsieur Fauchery, dit-elle familièrement, ça ne commencera pas avant une demi-heure.

      — Alors, pourquoi affichent-ils pour neuf heures? murmura

       Hector, dont la longue figure maigre prit un air vexé. Ce matin,

       Clarisse, qui est de la pièce, m'a encore juré qu'on commencerait

       à neuf heures précises.

      Un instant, ils se turent, levant la tête, fouillant l'ombre des loges. Mais le papier vert dont elles étaient tapissées, les assombrissait encore. En bas, sous la galerie, les baignoires s'enfonçaient dans une nuit complète. Aux loges de balcon, il n'y avait qu'une grosse dame, échouée sur le velours de la rampe. A droite et à gauche, entre de hautes colonnes, les avant-scènes restaient vides, drapées de lambrequins à longues franges. La salle blanche et or, relevée de vert tendre, s'effaçait, comme emplie d'une fine poussière par les flammes courtes du grand lustre de cristal.

      — Est-ce que tu as eu ton avant-scène pour Lucy? demanda Hector.

      — Oui, répondit l'autre, mais ça n'a pas été sans peine… Oh! il n'y a pas de danger que Lucy vienne trop tôt, elle!

      Il étouffa un léger bâillement; puis, après un silence:

      — Tu as de la chance, toi qui n'as pas encore vu de première…

       La Blonde Vénus sera l'événement de l'année. On en parle depuis six mois. Ah! mon cher, une musique! un chien!… Bordenave, qui sait son affaire, a gardé ça pour l'Exposition.

      Hector écoutait religieusement. Il posa une question.

      — Et Nana, l'étoile nouvelle, qui doit jouer Vénus, est-ce que tu la connais?

      — Allons, bon! ça va recommencer! cria Fauchery en jetant les bras en l'air. Depuis ce matin, on m'assomme avec Nana. J'ai rencontré plus de vingt personnes, et Nana par-ci, et Nana par-là! Est-ce que je sais, moi! est-ce que je connais toutes les filles de Paris!… Nana est une invention de Bordenave. Ça doit être du propre!

      Il se calma. Mais le vide de la salle, le demi-jour du lustre, ce recueillement d'église plein de voix chuchotantes et de battements de porte l'agaçaient.

      — Ah! non, dit-il tout à coup, on se fait trop vieux, ici. Moi, je sors… Nous allons peut-être trouver Bordenave en bas. Il nous donnera des détails.

      En bas, dans le grand vestibule dallé de marbre, où était installé le contrôle, le public commençait à se montrer. Par les trois grilles ouvertes, on voyait passer la vie ardente des boulevards, qui grouillaient et flambaient sous la belle nuit d'avril. Des roulements de voiture s'arrêtaient court, des portières se refermaient bruyamment, et du monde entrait, par petits groupes, stationnant devant le contrôle, montant, au fond, le double escalier, où les femmes s'attardaient avec un balancement de la taille. Dans la clarté crue du gaz, sur la nudité blafarde de cette salle dont une maigre décoration Empire faisait un péristyle de temple en carton, de hautes affiches jaunes s'étalaient violemment, avec le nom de Nana en grosses lettres noires. Des messieurs, comme accrochés au passage, les lisaient; d'autres, debout, causaient, barrant les portes; tandis que, près du bureau de location, un homme épais, à large face rasée, répondait brutalement aux personnes qui insistaient pour avoir des places.

      — Voilà Bordenave, dit Fauchery, en descendant l'escalier.

      Mais le directeur l'avait aperçu.

      — Eh! vous êtes gentil! lui cria-t-il de loin. C'est comme ça que vous m'avez fait une chronique… J'ai ouvert ce matin le Figaro. Rien.

      — Attendez donc! répondit Fauchery. Il faut bien que je connaisse votre Nana, avant de parler d'elle… Je n'ai rien promis, d'ailleurs.

      Puis, pour couper court, il présenta son cousin, M. Hector de la Faloise, un jeune homme qui venait achever son éducation à Paris. Le directeur pesa le jeune homme d'un coup d'oeil. Mais Hector l'examinait avec émotion. C'était donc là ce Bordenave, ce montreur de femmes qui les traitait en garde-chiourme, ce cerveau toujours fumant de quelque réclame, criant, crachant, se tapant sur les cuisses, cynique, et ayant un esprit de gendarme! Hector crut qu'il devait chercher une phrase aimable.

      — Votre théâtre…, commença-t-il d'une voix flûtée.

      Bordenave l'interrompit tranquillement, d'un mot cru, en homme qui aime les situations franches.

      —


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