Histoire des salons de Paris. Tome 4. Abrantès Laure Junot duchesse d'

Histoire des salons de Paris. Tome 4 - Abrantès Laure Junot duchesse d'


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oui!.. Pauvre princesse!.. comme elle chantait faux!

      Madame de Montesson sourit aussi à son tour, mais d'une manière imperceptible, car elle était avant tout la femme du monde et celle des excellentes manières. Elle avait voulu prouver au premier Consul que le duc d'Orléans n'était pas le seul prince qui eût joué avec des artistes, puisque la reine de France chantait dans un concert devant cinquante personnes avec un homme qui se faisait entendre dans un concert payant.

      Napoléon n'aimait pas Garat. Cependant comme il aimait le chant, et que Garat avait vraiment un admirable talent, il l'écouta avec plus d'attention qu'il ne l'avait fait jusque-là, et même il lui fit répéter une romance que Garat chantait admirablement et dont la musique est de Plantade!

      Le jour se lève, amour m'inspire,

      J'ai vu Chloé dans mon sommeil;

      Je l'ai vue, et je prends ma lyre, etc.

      Mais le Consul n'eut pas la même patience pour Steibelt. Celui-ci arrivait à Paris et désirait vivement se faire entendre de l'homme dont le nom remplissait non-seulement l'Europe, mais le monde habité. Madame de Montesson lui demanda de venir à l'un de ses déjeuners, et ce même jour il y était venu. Ce fut donc avec une grande joie qu'il se mit au piano. Il joua d'abord une introduction improvisée admirable, qui à elle seule était une pièce entière; mais il tomba dans sa faute ordinaire; il entreprit toute une partition; il commença la belle sonate à madame Bonaparte, une de ses plus belles compositions, sans doute, mais qui ne finit pas. Le premier Consul fit assez bonne contenance pendant l'introduction et la première partie de la sonate; mais à la reprise de la seconde, il n'y put tenir. Il se leva brusquement, prit congé de madame de Montesson en lui baisant la main, ce qui était rare pour lui, murmura quelques mots sur ses occupations, et sortit saluant légèrement à droite et à gauche, en entraînant Joséphine, qui le suivait en mettant ses gants, rajustant son châle et disant adieu en courant à madame de Montesson.

      – Il est charmant, s'écria madame de Montesson toute ravie du baisement de main. N'est-ce pas, Steibelt, qu'il est charmant?

      – Charmant? dit le Prussien furieux!.. charmant? dites plutôt que c'est un Vandale!.. demandez à Garat.

      Mais Garat avait été écouté; on lui avait même redemandé sa romance, et il dit non-seulement comme les autres: – Il est charmant…; mais il ajouta, avec cette expression importante que nous lui avons tous connue, et qui rendait si drôle sa figure de singe:

      C'est un grand homme!

      Mais où madame de Montesson eut une maison peut-être encore plus agréable qu'à Paris, ce fut à Romainville. Elle s'ennuya bientôt de Paris; elle y eut quelques désagréments. On ne peut servir tout le monde, quelque crédit qu'on ait; et ceux qui ne réussissent pas par votre moyen sont mécontents et vous accusent: ce fut ce qui arriva à madame de Montesson. Elle eut de plus des cabales de théâtre qui vinrent lui donner de l'ennui.

      Mademoiselle Duchesnois voulut débuter aux Français33. Chaptal, qui prétendait se connaître en figures, prononça qu'un aussi laid visage ne pourrait jamais réussir, et refusa ou du moins éluda l'ordre de début. On en parla à madame de Montesson; elle avait joué la comédie trop souvent et trop bien pour ne pas porter intérêt à une jeune personne qui annonçait du talent, car elle promettait alors ce qu'elle n'a pas donné, tandis que mademoiselle Georges a été depuis, comme alors, bien au-dessus d'elle.

      Quoi qu'il en soit, madame de Montesson se passionna pour le talent de mademoiselle Duchesnois, qui était laide à renverser. Le moyen, quelque esprit qu'elle eût, de se douter que c'était M. de Valence qui lui imposait mademoiselle Duchesnois!.. Comme elle était loin de cette pensée, elle voulut, à son tour, employer son crédit pour imposer mademoiselle Duchesnois aux Parisiens. Elle fit donc promettre à madame Bonaparte de venir entendre mademoiselle Duchesnois en petit comité. On invita cent cinquante personnes, plus de deux cents s'y trouvèrent. Chaptal était du nombre. Il pensait comme beaucoup de gens qu'un beau ou un joli physique est une condition, sinon première, au moins très-importante pour réussir sur le théâtre. C'était un homme d'esprit sur lequel on faisait des mots qu'on croyait bons et qui n'étaient que de pauvres sottises. Il avait de la science et de la bonté, et, en surplus de sa science, il avait de l'esprit. Mademoiselle Duchesnois, avec sa grande bouche, sa maigreur osseuse, car alors elle était maigre et sans forme, avec sa laideur enfin, lui parut avoir raison lorsqu'elle disait:

      Soleil, je viens te voir pour la dernière fois.

      et il jugea inutile de la faire mentir en la faisant revenir pour le répéter. En conséquence, il lui refusa un ordre de début. Voilà pourquoi madame de Montesson sollicita madame Bonaparte d'entendre la jeune débutante chez elle, et fit prier par elle M. Chaptal d'y venir. Le moyen de refuser la reine de France, car Joséphine l'était déjà!.. Chaptal vint donc chez madame de Montesson, où nous entendîmes mademoiselle Duchesnois dans Phèdre, et, je crois, dans Clytemnestre et dans Didon

      – Que ferez-vous? dis-je à Chaptal, lorsque après avoir écouté la débutante on se mêla pour causer.

      Il me regarda en souriant.

      – Je parie que vous m'avez deviné, me dit-il.

      – Mais non… J'ai fort bonne opinion de votre fermeté…

      – Vraiment!.. mais le moyen!.. mettez-vous à ma place… tenez, voyez plutôt.

      En effet, nous vîmes s'avancer vers nous madame Bonaparte, donnant le bras à madame de Montesson, qui, pour cette grande attaque, avait quitté son canapé et son tabouret34, et, tenant mademoiselle Duchesnois par la main, venait solliciter le fameux ordre de début…

      – Et la protégée de madame Louis Bonaparte? dis-je à Chaptal…

      – Oh! qu'elle est belle! s'écria-t-il comme transporté à ce seul souvenir!

      – Et comme elle est bonne dans les moments de force de son rôle! vous ne pouvez pas la refuser si celle-ci débute.

      – Vous avez raison… Eh bien! toutes deux débuteront.

      Ces dames arrivèrent alors auprès de nous… Madame de Montesson demanda, madame Bonaparte appuya et Chaptal accorda ce qu'il ne pouvait au fait pas refuser à madame Bonaparte, qui, par instinct, n'aimait pas mademoiselle Georges, rivale de mademoiselle Duchesnois, que mademoiselle Raucourt avait amenée chez madame Louis, où je l'admirai le lendemain de la soirée de madame de Montesson.

      – N'est-ce pas, me dit mademoiselle Raucourt avec son accent de Léontine dans Héraclius, ou de Cléopâtre dans Rodogune, n'est-ce pas que voilà un bel outil de tragédie?..

      Le fait est qu'elle était superbe, et que son talent, très-beau dans cette première époque de sa vie, est devenu un des plus remarquables de notre temps: c'est le dernier soupir de la bonne tragédie. Mademoiselle Raucourt lui avait donné les bonnes traditions, et elle les a conservées…

      Madame de Montesson voulut quitter Paris, et comme sa fortune lui permettait d'avoir une maison à elle, elle en acheta une charmante à Romainville; mais elle était trop petite, il fallut l'agrandir. Elle fit bâtir, et ce qu'elle ordonna fut d'un goût si parfait, que tout le monde voulut connaître cette charmante chaumière ou moulin, comme elle l'appelait, et bientôt elle eut plus de monde qu'à Paris.

      J'ai déjà dit qu'elle peignait admirablement les fleurs; elle voulut en élever d'aussi belles que celles du Jardin des Plantes, pour lui servir de modèles. Elle fit donc construire une serre à Romainville: cette serre servit ensuite de modèle pour celle de la Malmaison35; elle communiquait à la chambre à coucher de madame de Montesson par une glace sans tain. Au milieu, était une rotonde dans laquelle on déjeunait tous les matins. Il y avait souvent des personnes qui ne pouvaient pas venir plus tard et venaient déjeuner à Romainville, et puis l'entourage de madame de Montesson était fort nombreux. Elle avait ses deux nièces, dont l'une, madame


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<p>33</p>

Alors on ne disait pas la Comédie Française, on disait les Français.

<p>34</p>

Madame de Montesson savait sans doute, par les Mémoires de Saint-Simon et ceux de Dangeau, que les princesses se couchaient sur leur lit pour ne pas reconduire lorsque l'étiquette était douteuse. Pour trancher la difficulté, madame de Montesson était sur un canapé, les pieds posés sur un tabouret et les jambes recouvertes d'un couvrepied. Cette attitude admettait un état qui l'empêchait de se lever et conséquemment de reconduire. Elle ne reconduisait que madame Bonaparte et madame Louis, quelquefois aussi la princesse Pauline: celle-ci exigea qu'elle ne le fît pas, mais elle le voulait faire. J'ai déjà parlé de cette coutume de la maison de madame de Montesson.

<p>35</p>

La serre de la Folie de Saint-James, à Neuilly, avait été faite sur ce plan bien avant toutes deux.