A travers chants: études musicales, adorations, boutades et critiques. Hector Berlioz

A travers chants: études musicales, adorations, boutades et critiques - Hector Berlioz


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magnifique! écrasant!

      – C'est singulier, je m'y suis cruellement ennuyé. Et vous? ajoute-t-il, en s'adressant à un Italien…

      – Oh! moi, je trouve cela inintelligible, ou plutôt insupportable, il n'y a pas de mélodie… Au reste, tenez, voici plusieurs journaux qui en parlent, lisons:

      – La symphonie avec chœurs de Beethoven représente le point culminant de la musique moderne; l'art n'a rien produit encore qu'on puisse lui comparer pour la noblesse du style, la grandeur du plan et le fini des détails.

      (Un autre journal.) – La symphonie avec chœurs de Beethoven est une monstruosité.

      (Un autre.) – Cet ouvrage n'est pas absolument dépourvu d'idées, mais elles sont mal disposées et ne forment qu'un ensemble incohérent et dénué de charme.

      (Un autre.) – La symphonie, avec chœurs de Beethoven, contient d'admirables passages, cependant on voit que les idées manquaient à l'auteur, et que, son imagination épuisée ne le soutenant plus, il s'est consumé en efforts souvent heureux pour suppléer à l'inspiration à force d'art. Les quelques phrases qui s'y trouvent sont supérieurement traitées et disposées dans un ordre parfaitement clair et logique. En somme, c'est l'œuvre fort intéressante d'un génie fatigué.

      Où est la vérité? où est l'erreur? partout et nulle part. Chacun a raison; ce qui est beau pour l'un ne l'est pas pour l'autre, par cela seul que l'un a été ému et que l'autre est demeuré impassible, que le premier a éprouvé une vive jouissance et le second une grande fatigue. Que faire à cela?.. rien… mais c'est horrible; j'aimerais mieux être fou et croire au beau absolu.

      IV

      SYMPHONIE EN SI BÉMOL

      Ici Beethoven abandonne entièrement l'ode et l'élégie, pour retourner au style moins élevé et moins sombre, mais non moins difficile, peut-être, de la seconde symphonie. Le caractère de cette partition est généralement vif, alerte, gai ou d'une douceur céleste. Si l'on en excepte l'adagio méditatif, qui lui sert d'introduction, le premier morceau est presque entièrement consacré à la joie. Le motif en notes détachées, par lequel débute l'allegro, n'est qu'un canevas sur lequel l'auteur répand ensuite d'autres mélodies plus réelles, qui rendent ainsi accessoire l'idée en apparence principale du commencement.

      Cet artifice, bien que fécond en résultats curieux et intéressants, avait été déjà employé par Mozart et Haydn, avec un bonheur égal. Mais on trouve dans la seconde partie du même allegro, une idée vraiment neuve, dont les premières mesures captivent l'attention, et qui après avoir entraîné l'esprit de l'auditeur dans ses développements mystérieux, le frappe d'étonnement par sa conclusion inattendue. Voici en quoi elle consiste: après un tutti assez vigoureux, les premiers violons morcelant le premier thème, en forment un jeu dialogué pianissimo avec les seconds violons, qui vient aboutir sur des tenues de l'accord de septième dominante du ton de si naturel; chacune de ces tenues est coupée par deux mesures de silence, que remplit seul un léger trémolo de timbales sur le si bémol, tierce majeure enharmonique du fa dièze fondamental. Après deux apparitions de cette nature, les timbales se taisent pour laisser les instruments à cordes murmurer doucement d'autres fragments du thème, et arriver, par une nouvelle modulation enharmonique, sur l'accord de sixte et quarte de si bémol. Les timbales rentrant alors sur le même son, qui, au lieu d'être une note sensible comme la première fois, est une tonique véritable, continuent le trémolo pendant une vingtaine de mesures. La force de tonalité de ce si bémol, très-peu perceptible en commençant, devient de plus en plus grande au fur et à mesure que le trémolo se prolonge; puis les autres instruments, semant de petits traits inachevés leur marche progressive, aboutissent avec le grondement continu de la timbale à un forte général où l'accord parfait de si bémol s'établit enfin à plein orchestre dans toute sa majesté. Cet étonnant crescendo est une des choses les mieux inventées que nous connaissions en musique; on ne lui trouverait guère de pendant que dans celui qui termine le célèbre scherzo de la symphonie en ut mineur. Encore ce dernier, malgré son immense effet, est-il conçu sur une échelle moins vaste, partant du piano pour arriver à l'explosion finale, sans sortir du ton principal; tandis que celui dont nous venons de décrire la marche, part du mezzo-forte, va se perdre un instant dans un pianissimo sous des harmonies dont la couleur est constamment vague et indécise, puis reparaît avec des accords d'une tonalité plus arrêtée, et n'éclate qu'au moment où le nuage qui voilait cette modulation, est complétement dissipé. On dirait d'un fleuve dont les eaux paisibles disparaissent tout à coup, et ne sortent de leur lit souterrain que pour retomber avec fracas en cascade écumante.

      Pour l'adagio, il échappe à l'analyse… C'est tellement pur de formes, l'expression de la mélodie est si angélique et d'une si irrésistible tendresse, que l'art prodigieux de la mise en œuvre disparaît complétement. On est saisi, dès les premières mesures, d'une émotion qui, à la fin devient accablante par son intensité; et ce n'est que chez l'un des géants de la poésie, que nous pouvons trouver un point de comparaison à cette page sublime du géant de la musique. Rien, en effet, ne ressemble davantage à l'impression produite par cet adagio, que celle qu'on éprouve à lire le touchant épisode de Francesca di Rimini, dans la Divina Comedia, dont Virgile ne peut entendre le récit sans pleurer à sanglots, et qui, au dernier vers, fait Dante tomber, comme tombe un corps mort. Ce morceau semble avoir été soupiré par l'archange Michel, un jour où, saisi d'un accès de mélancolie, il contemplait les mondes, debout sur le seuil de l'empyrée.

      Le scherzo consiste presque entièrement en phrases rhythmées à deux temps, forcées d'entrer dans les combinaisons de la mesure à trois. Ce moyen, dont Beethoven a usé fréquemment, donne beaucoup de nerf au style; les désinences mélodiques deviennent par là plus piquantes, plus inattendues; et d'ailleurs, ces rhythmes à contre-temps ont en eux-mêmes un charme très-réel, quoique difficile à expliquer. On éprouve du plaisir à voir la mesure ainsi broyée se retrouver entière à la fin de chaque période, et le sens du discours musical, quelque temps suspendu, arriver cependant à une conclusion satisfaisante, à une solution complète. La mélodie du trio, confiée aux instruments à vent, est d'une délicieuse fraîcheur; le mouvement en est plus lent que celui du reste du scherzo, et sa simplicité ressort plus élégante encore de l'opposition des petites phrases que les violons jettent sur l'harmonie, comme autant d'agaceries charmantes. Le finale, gai et sémillant, rentre dans les formes rhythmiques ordinaires; il consiste en un cliquetis de notes scintillantes, en un babillage continuel, entrecoupé cependant de quelques accords rauques et sauvages, où les boutades colériques, que nous avons eu déjà l'occasion de signaler chez l'auteur, se manifestent encore.

      V

      SYMPHONIE EN UT MINEUR

      La plus célèbre de toutes, sans contredit, est aussi la première, selon nous, dans laquelle Beethoven ait donné carrière à sa vaste imagination, sans prendre pour guide ou pour appui une pensée étrangère. Dans les première, seconde et quatrième symphonies, il a plus ou moins agrandi des formes déjà connues, en les poétisant de tout ce que sa vigoureuse jeunesse pouvait y ajouter d'inspirations brillantes ou passionnées; dans la troisième (l'héroïque), la forme tend à s'élargir, il est vrai, et la pensée s'élève à une grande hauteur; mais on ne saurait y méconnaître cependant l'influence d'un de ces poëtes divins auxquels, dès longtemps, le grand artiste avait élevé un temple dans son cœur. Beethoven, fidèle au précepte d'Horace:

      «Nocturnâ versate manu, versate diurnâ,»

      lisait habituellement Homère, et dans sa magnifique épopée musicale, qu'on a dit à tort ou à raison inspirée par un héros moderne, les souvenirs de l'antique Iliade jouent un rôle admirablement beau, mais non moins évident.

      La symphonie en ut mineur, au contraire, nous paraît émaner directement et uniquement du génie de Beethoven; c'est sa pensée intime qu'il y va développer; ses douleurs secrètes, ses colères concentrées, ses rêveries pleines d'un accablement si triste, ses visions nocturnes,


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