Œuvres complètes de lord Byron, Tome 1. George Gordon Byron

Œuvres complètes de lord Byron, Tome 1 - George Gordon Byron


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Juan, sans m'en prévenir, jeta du haut des escaliers sur moi le seau d'eau de la chambrière.

      25. C'était un petit vaurien, aux cheveux bouclés, singe malfaisant depuis le jour de sa naissance. Ses parens ne tombèrent jamais d'accord qu'en raffolant du plus turbulent diablotin de la terre. Au lieu de quereller, s'ils eussent eu leur bon sens, ils auraient envoyé ce jeune docteur à l'école, ou l'auraient fouetté d'importance à la maison, pour lui apprendre à réformer ses manières à l'avenir.

      26. Pendant quelque tems, Don José et Donna Inès menèrent un triste genre de vie, se souhaitant mutuellement non le divorce, mais la mort. Comme époux et femme, ils sauvaient les apparences; leur conduite était excessivement mesurée, et nul signe extérieur n'attestait les débats intérieurs, jusqu'à ce qu'enfin le feu cessa de couver, et toute l'affaire fut mise hors de doute.

      27. Inès appela quelques droguistes et médecins, et voulut faire déclarer fou son cher mari; mais comme il avait quelques intervalles lucides, elle finit par décider qu'il n'était que mauvais époux. Encore, lorsqu'on voulut recueillir ses dépositions, ne donna-t-elle aucun éclaircissement, si ce n'est que ses devoirs envers Dieu et les hommes exigeaient d'elle cette conduite: ce qui parut fort singulier22.

      28. Elle tint un journal où furent notées toutes ses fautes; elle ouvrit certains coffres de livres et de lettres, toutes choses que l'on pouvait avoir occasion de citer: alors elle se fit des partisans de tout Séville, sans compter sa bonne vieille grand'mère (qui radotait)23. Les auditeurs de son histoire en devinrent ensuite les échos; puis accoururent avocats, inquisiteurs et juges, quelques-uns pour s'en amuser, les autres par un vieil esprit de rancune.

      29. Alors, cette femme, des femmes la meilleure et la plus douce24, supporta les chagrins de son mari avec une sérénité toute comparable à celle des dames de Sparte, quand, apprenant la mort de leurs époux, elles prirent le noble parti de ne jamais parler d'eux à l'avenir. – Elle écouta avec calme toutes les calomnies qui s'élevèrent, et telle fut la sublime froideur avec laquelle elle vit son agonie, que tout le monde s'écria: «Quelle magnanimité!»

      30. Cette patience de nos meilleurs amis, quand le monde nous condamne, est sans doute bien philosophique; il est doux aussi de paraître magnanime, surtout quand c'est un moyen d'arriver à nos fins; et ce que les juristes appellent malus animus ne peut avoir ici d'application: car sans doute il n'est pas bien de se venger soi-même, mais ce n'est pas ma faute si les autres vous accablent.

      31. Et si nos querelles ont ressuscité de vieux contes, et les ont surchargés d'un ou deux nouveaux mensonges, on ne peut, comme vous le savez, m'en blâmer ni quelqu'autre. Ils étaient devenus traditionnels; leur renaissance est d'ailleurs utile à notre gloire par un contraste que tous deux nous sommes également curieux d'établir; de plus elle tourne au profit de la science. – Les scandales morts sont de bons sujets à disséquer.

      32. Leurs amis cherchèrent à les réconcilier, puis leurs parens; ils empirèrent l'affaire (dans un cas semblable il est difficile de décider à qui l'on doit plutôt avoir recours, je suis faiblement porté pour les amis ou les parens). Les avocats firent tout pour obtenir le divorce, mais à peine avaient-ils été payés de quelques frais préliminaires que Don José vint à mourir.

      33. Il mourut, et bien mal à propos, car d'après ce que m'en ont rapporté les avocats au fait de ces sortes de lois (malgré la circonspection et l'obscurité ordinaire de leur langage), sa mort arriva pour prévenir la plus belle des causes; il faut aussi plaindre la sensibilité publique qui dans cette occasion fut singulièrement émue.

      34. Mais hélas! il mourut. Avec lui furent ensevelis la sensibilité publique et les frais de justice. Sa maison fut vendue, ses valets renvoyés, un juif prit l'une de ses maîtresses, un prêtre l'autre. – Au moins l'a-t-on raconté. J'interrogeai les médecins après son décès; il mourut de la fièvre lente appelée tierce, et il laissa sa femme en proie à sa haine.

      35. Cependant José était un homme d'honneur: je l'ai assez connu pour le dire: je ne m'occuperai donc plus de ses faiblesses. D'ailleurs on ne pourrait guère lui en trouver d'autres; si quelquefois ses passions excédèrent la juste convenance, et ne furent pas aussi paisibles que celles de Numa (qu'on nommait encore Pompilius), c'est qu'il avait été mal élevé, c'est qu'il était né bilieux.

      36. Quoi qu'on puisse dire de ses qualités ou de ses défauts, il avait, le pauvre homme! bien des sujets de douleur. Ce fut un cruel moment pour lui que de se trouver seul auprès de son triste foyer, autour de ses dieux domestiques brisés en morceaux. Sa sensibilité ou sa fierté ne pouvaient choisir qu'entre la mort ou les Doctors Commons. – Il mourut donc25.

      37. Étant mort intestat, Juan demeura l'unique héritier d'un procès, de plusieurs fermes et terres qui, à l'aide de soins et d'une longue minorité, promettaient de bien tourner entre ses mains. Inès devint seule sa tutrice, ce qui était sagement fait et conforme aux justes vœux de la nature. Un fils unique, confié à une mère veuve, est élevé bien mieux que tout autre.

      38. En sa qualité de la plus sage des épouses et même des veuves, elle décida que Don Juan devait être une merveille, digne en tout de sa très-noble race (son père était de Castille, sa mère de l'Aragon). Et pour qu'il se montrât un chevalier accompli, dans le cas où notre sire roi aurait encore à guerroyer, il apprit l'art de monter à cheval, celui de faire des armes, de dresser l'artillerie, et d'escalader une forteresse – ou un couvent.

      39. Mais ce que désirait le plus Donna Inès, ce dont elle s'assurait par elle-même chaque jour avant tous les savans maîtres qu'elle réunissait autour de son fils, c'était que la plus stricte morale présidât à son éducation: elle s'informait avec soin de ses sujets d'études, et l'on commençait d'abord par les lui soumettre tous; aucune branche dans les arts ou dans les sciences n'était dérobée aux regards de Juan, à l'exception de l'histoire naturelle.

      40. Il était profondément versé dans les langues, – surtout les mortes; dans les sciences, les plus abstraites de préférence; dans les arts, ceux au moins dont on ne faisait plus communément usage. Mais on ne lui laissait pas lire une page d'un ouvrage licencieux, ou qui traitât de la reproduction des espèces; on eût craint de le rendre vicieux.

      41. Ses études classiques donnèrent quelque inquiétude, à cause des indécens amours des dieux et des déesses, qui, dans le premier âge, occupaient vivement l'attention, mais qui ne mirent jamais de corsets ou de pantalons. Ses révérends tuteurs encouraient quelquefois le blâme, et se voyaient forcés de demander une espèce de grâce pour leur Énéide, leur Iliade et leur Odyssée, car Donna Inès redoutait la mythologie.

      42. Ovide est un vaurien, comme l'attestent la moitié de ses vers; Anacréon offre une morale encore plus relâchée; on trouve à peine dans Catulle une pièce de vers qui soit décente, et pour Sapho, son ode ne me semble pas d'un bon exemple, en dépit de ce que dit Longin, qu'il n'y a pas d'hymne où le sublime se fasse mieux sentir26. Cependant, les chants de Virgile sont chastes, si l'on excepte cette horrible églogue commençant par Formosam pastor Corydon.

      43. L'impiété hardie de Lucrèce est une nourriture indigeste pour de jeunes estomacs, et je ne puis pardonner à Juvénal, malgré la droiture de ses intentions, d'avoir, dans ses vers, poussé la franchise jusqu'à la grossièreté. Quant à Martial, quel est l'homme bien élevé qui aimerait ses dégoûtantes épigrammes?

      44. Juan étudiait sur la meilleure édition expurgée par des hommes instruits, qui judicieusement avaient placé hors de la vue des écoliers les endroits les plus obcènes. Seulement, dans la crainte de défigurer par ces rognures leur modeste poète et par pitié pour ses membres mutilés, ils les avaient tous ajoutés dans un appendice27, ce qui réellement évite la peine de faire un index.

      45. Car, au lieu d'être éparpillés dans toutes les pages, nous les voyons


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<p>22</p>

«Je fus surpris de voir entrer chez moi, un jour, un médecin et un procureur qui avaient forcé ma porte… Si j'avais pu soupçonner qu'on les avait envoyés pour constater que j'étais devenu fou…»

(Les Conversations.)
<p>23</p>

«Sa mère m'a toujours détesté.»

(Ibid.)
<p>24</p>

«On me regardait comme le plus mauvais mari qui fût sur la terre, le plus méchant, le dernier des hommes, et ma femme était un ange.»

(Les Conversations.)
<p>25</p>

Les doctors commons sont les juges qui connaissent des divorces, en Angleterre.

«J'étais à la merci de mes créanciers. Je fus obligé de vendre Newstead, ce que je n'aurais pas osé faire du vivant de ma mère… La nécessité la plus impérieuse m'a seule décidé à ce sacrifice. Il fallait rembourser ce que j'avais reçu de Lady Byron… Du moment que j'eus mis mes affaires en règle, je quittai l'Angleterre, mais avec l'intention de n'y jamais revenir.»

(Medwine, Convers. de L. Byron.)
<p>26</p>

Ινα μη εν τι περι αυτην παθος φοπνεται, παθων δε συνοδος.

(Longin, Section X.)
<p>27</p>

Historique. Il y a, ou il y avait une édition comme celle-ci, avec toutes les pigrammes licencieuses de Martial rejetées à la fin.

(Note de Byron.)