Œuvres complètes de lord Byron, Tome 1. George Gordon Byron

Œuvres complètes de lord Byron, Tome 1 - George Gordon Byron


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est ici pour dresser un acte, n'empêchez pas ce brave monsieur de procéder; vous avez mis cet appartement dans un bel état; – il s'y trouve de l'encre et une plume pour vous, quand vous le désirerez. – Ayez soin de tout mentionner avec précision, je ne veux pas que vous receviez pour rien des honoraires. – Mais comme ma femme de chambre est déshabillée, veuillez mettre à la porte vos espions. – Oh! dit en sanglotant Antonia: je veux leur arracher les yeux.

      153. «C'est ici le cabinet, là la toilette, de ce côté l'antichambre. – Cherchez dessus, dessous: voilà le sopha, le grand fauteuil, la cheminée; – on pourrait bien y cacher un amant, mais je voudrais dormir; faites, je vous prie, moins de bruit, jusqu'à ce que vous ayez découvert le trou secret qui renferme ce cher trésor. Alors veuillez m'en donner aussi le plaisir.

      154. «Et vous, hidalgo, qui venez de faire planer des soupçons sur moi, et de la honte sur tous ces visages, ayez la complaisance de me faire connaître – quel est celui que vous cherchez! Comment le nommez-vous? de quelle famille? Montrez-le-moi? – Sans doute il est jeune et agréable? – Il est grand? Parlez et prouvez que vous avez eu de justes motifs pour ternir ainsi ma réputation.

      155. «Au moins peut-être, il n'a pas soixante ans; il serait à cet âge trop vieux pour être mis à mort, ou pour éveiller la jalousie d'un mari aussi jeune que vous. – (Antonia! donnez-moi un verre d'eau.) Je rougis d'avoir répandu des larmes, elles sont indignes de la fille de mon père; ma mère pouvait-elle prévoir en me mettant au monde que je tomberais au pouvoir d'un monstre!

      156. «Mais c'est peut-être d'Antonia que vous êtes jaloux? Vous avez vu qu'elle dormait à mes côtés quand vous frappâtes à la porte avec votre suite. Regardez où vous voudrez, nous n'avons rien à vous cacher, monsieur: une autre fois seulement, je l'espère, vous nous avertirez; ou, par égard pour la pudeur, vous attendrez un instant à la porte, afin de nous permettre de nous habiller pour recevoir une aussi bonne compagnie.

      157. «J'ai fini, monsieur, je cesse de parler. Le peu que j'ai dit doit assez vous apprendre qu'une ame pure sait dévorer en silence des torts dont elle ne pourrait parler sans rougir. – Je vous livre comme auparavant à votre conscience; un jour elle vous demandera raison de vos procédés à mon égard. Dieu veuille que vous ne vous en tourmentiez pas plus qu'aujourd'hui! Antonia, où est mon mouchoir de poche?»

      158. Elle s'arrête et retombe sur son oreiller. Elle est pâle et ses yeux noirs abîmés dans les pleurs rappellent un ciel obscurci par la pluie et les éclairs; ses cheveux ondoyans sont comme un voile jeté sur ses joues décolorées: en vain leurs noires boucles cherchent-elles à couvrir ses épaules charmantes; leur neige se faisait encore jour à travers. – Ses lèvres de rose sont entr'ouvertes, et son cœur bat plus fort que sa respiration.

      159. Le senor Don Alphonso restait confondu. Antonia remuait sans cesse dans la chambre bouleversée; puis, tout d'un coup tournant la tête, elle intriguait par ses malignes œillades le maître et ses mirmidons, qui ne paraissaient pas s'amuser beaucoup, à l'exception du procureur. Mais celui-ci, fidèle jusqu'au tombeau, comme un autre Achates, s'embarrassait peu de la cause des querelles, pourvu qu'il y en eût; car elles devaient toujours être apaisées en justice.

      160. Comme un chien en arrêt44, il suivait de ses petits yeux, et sans remuer, chacun des mouvemens d'Antonia; son attitude exprimait les plus vifs soupçons. Du scandale il s'en embarrassait peu; et s'il trouvait à justifier une poursuite ou une action judiciaire, la jeunesse, la beauté ne le touchaient que faiblement: quant aux dénégations, il lui fallait des témoignages faux, mais juridiques, pour qu'il y ajoutât foi.

      161. Cependant Don Alphonso, les yeux baissés, faisait, il faut le dire, une triste figure; après avoir cherché de cent côtés, et traité si durement une jeune femme, il n'en était pas plus avancé; seulement il sentait des reproches intérieurs se joindre à ceux que son épouse venait de lui prodiguer pendant une demi-heure, aussi vifs, aussi serrés, aussi cuisans qu'une pluie d'orage.

      162. D'abord il essaya de bégayer une excuse; on ne lui répondit que par des pleurs, des sanglots et les préludes d'une attaque de nerfs, lesquels sont toujours certaines douleurs, des palpitations, des étouffemens, et ce que les patientes choisissent de préférence. Alphonso vit sa femme et se rappela celle de Job; il vit encore en perspective tous les parens de Julia indignés, et il jugea plus à propos de ne pas perdre patience.

      163. Il fit mine de vouloir parler, ou plutôt balbutier; mais avant de s'être exposé à servir encore d'enclume au marteau de sa femme, la sage Antonia vint l'arrêter, en lui disant: «Monsieur, je vous en prie, quittez cette chambre, et ne dites pas mot, ou madame va mourir. – Qu'elle aille au diable!» murmura Alphonso; mais rien de plus: le moment de parler était passé. Il lança un ou deux regards menaçans, et sans savoir comment, il fit ce qu'on lui ordonnait.

      164. Avec lui s'éloigna son posse comitatus, le procureur à l'arrière-garde s'arrêtant auprès de la porte et se retournant toujours jusqu'à ce qu'Antonia l'eût poussé dehors. – Il était vraiment fâché de l'inexprimable extravagance d'Alphonso qui, dans ce moment-là même, semblait avoir perdu le sens; mais, comme il y rêvait, la porte se ferma sur sa face magistrale.

      165. Dès qu'elle fut bien fermée. – Oh! honte, oh! crime, oh! douleur, et oh! sexe féminin! comment feriez-vous de semblables choses sans perdre l'honneur! – si ce monde, et même si l'autre n'étaient pas aveugles? Combien il est rare de trouver des réputations non usurpées! mais continuons. – Car je ne suis pas à la moitié de ma tâche, et il faut le dire, non sans grande répugnance; à demi suffoqué, le jeune Juan s'élança hors du lit.

      166. Il s'était caché, – je ne prétends pas dire comment, ni expliquer dans quelle position. – Jeune, svelte et flexible, il s'était tapi sans doute dans un mince espace rond ou carré. Mais de le plaindre d'avoir été étouffé sous deux aussi jolis corps, c'est ce que je ne dois ni ne veux faire; il eût mieux valu sans doute mourir ainsi, que d'être comme le buveur Clarence, plongé dans une tonne de Malvoisie45.

      167. En second lieu je ne le plains pas, parce qu'il n'avait pas besoin de commettre un péché défendu par le ciel et taxé par les lois humaines: ou du moins il s'y prenait de trop bonne heure. Mais à seize ans, la conscience n'est pas timorée comme à soixante, lorsque rappelant nos anciennes dettes, et calculant tous les à-comptes donnés en fautes, nous voyons que le diable emporte déjà les deux côtés de la balance.

      168. Je ne dirai rien de la position qu'il avait gardée: on voit dans les chroniques juives comment, lorsque le sang du vieux roi David était devenu pesant, les médecins, laissant pillules et potions, lui avaient conseillé de se servir d'une jeune et jolie fille en guise de cataplasme, et comment le remède eut les meilleurs effets46. On le lui avait peut-être appliqué différemment, car David en fut guéri, et Juan fut près d'en mourir.

      169. Que faire maintenant? Alphonso va revenir aussitôt qu'il aura congédié ses misérables: Antonia met son esprit à la torture, mais elle ne peut concevoir aucun expédient: – comment pourra-t-on soutenir une nouvelle attaque? Ajoutez que le jour allait paraître dans peu d'heures; Antonia ne savait qu'imaginer, Julia ne parlait pas, mais elle pressait de ses lèvres décolorées les joues de Don Juan.

      170. Il rapprocha ses lèvres des siennes, et de sa main, il rejeta en arrière les boucles de ses cheveux épars; même alors, ils ne pouvaient faire entièrement taire leur amour, ils oubliaient à demi leurs dangers, leur désespoir. La patience d'Antonia ne put se contenir. «Comment, s'écria-t-elle en fureur, est-ce là le moment de vous amuser encore? il faut que je mette ce beau monsieur dans le cabinet.

      171. «Remettez à une autre plus heureuse nuit vos caresses. – Qui peut avoir mis mon maître dans le secret? Que va-t-il résulter de cela? Je suis dans une frayeur, et ce vilain enfant a le diable au corps; est-ce le moment de faire des folies? En avons-nous le tems? Comment oubliez-vous que cela peut finir par du sang? Vous y perdrez la vie, moi ma place, ma maîtresse tout, et cela pour ce petit visage de fille.

      172. «Si,


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<p>44</p>

Avec un nez flairant inquiet (with prying snubnose).

<p>45</p>

Georges, duc de Clarence, condamné a mort, en 1478, par son frère Édouard IV. Pour toute faveur, il obtint d'être noyé dans un tonneau de Malvoisie, choix qui suppose, dit Hume, une violente passion pour cette liqueur. (Voyez le Richard III de Shakspeare.)

<p>46</p>

«Et le roi David avait vieilli… et quand on le couvrait d'habillemens il n'était pas réchauffé. Ses serviteurs cherchèrent donc une belle jeune fille dans toute l'étendue d'Israël, et lui trouvèrent Abisag, la Sunamite; elle était singulièrement belle, et elle dormait avec le roi… Or, le roi ne la connut pas.»

(III. Livre des Rois, ch. Ier.)