Histoire Médicale de l'Armée d'Orient. Volume 2. Desgenettes René

Histoire Médicale de l'Armée d'Orient. Volume 2 - Desgenettes René


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Garros, Barbès, et Claris, quoique cet établissement eût été longtemps encombré de malades privés de beaucoup de choses utiles dans leur situation.

      La maladie dont nous parlons était ordinairement accompagnée d'une fièvre gastrique, bilieuse, qui reparaissait sous toutes les formes dans les diverses affections que l'on remarquait dans le même temps. La dysenterie, sur le rapport des malades, était ordinairement précédée d'une diarrhée légère; quelquefois elle s'annonçait par un frisson suivi de chaleur, et, à l'époque où la sueur doit paraître, cette excrétion était remplacée par des selles abondantes. Le malade ne tardait pas à éprouver des tranchées plus ou moins vives, et le jour suivant, lorsqu'il se présentait à la selle, il rendait avec douleur une petite quantité de matières, tantôt visqueuses, tantôt aqueuses; mais comme elles étaient rarement sanguinolentes dès le premier abord, il restait dans l'inaction, et ne cherchait du soulagement que lorsque le sang paraissait dans les excrétions alvines. Outre ce symptôme, pour l'ordinaire très opiniâtre, le malade se plaignait encore d'une douleur plus ou moins vive, selon que son siège était plus ou moins bas. Cette douleur, sans occuper la même place chez tous les individus, était néanmoins presque toujours fixée à une partie du colon. Les selles, toujours fréquentes et peu abondantes, ne soulageaient point; sujettes à présenter des variations infinies dans leur couleur et dans leur consistance, le plus souvent elles ne se moulaient qu'après la guérison parfaite. Lorsque le malade entrait dans l'hôpital, il était plus ou moins affaibli; la peau était aride, le pouls ordinairement petit et débile, la respiration quelquefois gênée, et la bouche constamment mauvaise: nul appétit; un sédiment jaunâtre couvrait la langue, et semblait en quelque sorte se séparer de cet organe lorsque la turgescence était prononcée. Tous ces symptômes diminuaient d'intensité après les premières évacuations; mais la faiblesse persistait le plus souvent, même après la disparition des phénomènes caractéristiques de la maladie, et rendait les rechutes très fréquentes par le désordre qu'elle apportait dans l'exercice des fonctions, et surtout de la digestion.

      Tels sont à peu près les principaux symptômes qui se présentaient dans le cours de cette maladie, avec différents degrés d'intensité dans ses diverses périodes. Sa durée était très incertaine, et dépendait d'une infinité de circonstances inutiles à détailler. Lorsqu'elle était traitée à temps, elle guérissait beaucoup plus promptement; la négligence des moyens curatifs amenait un état de langueur, dans lequel il était peu permis de compter sur les mouvements critiques: aussi les crises qui en étaient le résultat ne produisaient presque jamais la solution complète de la maladie; il fallait des crises répétées à des intervalles plus ou moins éloignés, et dirigées, tantôt vers le même organe, tantôt vers un organe différent. L'ophtalmie apportait toujours un soulagement marqué, lorsqu'elle survenait dans les dysenteries de long cours: les douleurs des yeux, et celles du bas-ventre, se remplaçaient mutuellement; mais les dernières reparaissaient pour l'ordinaire après la cessation des premières, à moins que l'on ne parvînt à seconder avantageusement ces mouvements salutaires; et les moyens les plus efficaces pour cela étaient, comme dans toutes les maladies bilieuses, ceux qui favorisent l'excrétion cutanée. Au défaut des sueurs, les urines pouvaient devenir critiques; et je n'ai jamais vu leur évacuation augmenter sans qu'elle n'apportât un changement heureux dans l'état du malade: mais cette crise n'était ni plus sûre ni plus complète que les autres.

      Les signes d'une terminaison heureuse et prompte étaient la disparition, ou au moins une diminution notable des principaux symptômes, après l'application des premiers remèdes. Les symptômes qui dépendent de la gastricité cédaient ordinairement les premiers; le malade reprenait peu à peu l'appétit et les forces; les selles devenaient rares, mais abondantes; et ce signe, joint à la cessation des douleurs du bas-ventre, annonçait une santé prochaine. En effet, le malade, n'étant plus fatigué par ces étreintes continuelles, par ces envies fréquentes et inutiles d'aller à la selle, passait les nuits dans le repos, et se réparait de jour en jour: l'action seule des intestins suffisait pour expulser les restes impurs qui altéraient encore la consistance et la couleur des matières rendues par les selles.

      Lorsqu'après les premières évacuations on n'apercevait aucun changement dans l'état du malade, on devait augurer que la maladie serait longue: alors quelle série de chances on avait à courir! que d'obstacles à surmonter! que d'incommodités à éprouver pour parvenir à la guérison! D'ailleurs, cette maladie, sans être bien dangereuse par elle-même, pouvait le devenir à raison de cet affaiblissement général, qui augmentait quelquefois dans une progression rapide, et laissait le corps ouvert à toutes les impressions. Les intestins, après des efforts trop longtemps continués, perdaient enfin leur ton naturel; le mucus qui les revêt d'ordinaire n'existait plus, et la membrane veloutée, altérée en différents endroits, les exposait sans défense à l'action d'une cause irritante qui n'était pas encore détruite. Alors se manifestaient, quoiqu'heureusement les exemples en aient été fort rares, tous les signes d'une inflammation gangréneuse, et avec eux une série de phénomènes alarmants, dont la réunion faisait toujours désespérer du salut du malade. L'abattement et la maigreur devenaient extrêmes; la peau était sèche et rude, le pouls petit, quoiqu'un peu dur, la voix grêle et coupée; la langue était aride et raboteuse; de profonds sillons régnaient dans toute son étendue, et quelquefois elle adhérait aux parties voisines. À tous ces symptômes venaient se joindre une soif inextinguible, des ardeurs d'entrailles, un ténesme violent, des selles écumeuses et fluides; et l'on pouvait prédire une mort prochaine lorsque le malade était pris d'un léger délire, que le pouls devenait intermittent, qu'il survenait des aphtes dans l'intérieur de la bouche, et surtout lorsque le ventre s'affaissait, que les excrétions alvines sortaient involontairement, et rendaient une odeur cadavéreuse. J'ai vu tous ces symptômes se présenter pendant ce mois chez deux hommes, dont la maladie fut mortelle; l'un d'eux fut de plus attaqué, deux jours avant de mourir, d'un hoquet convulsif, et rendit par le vomissement un nombre assez considérable de vers.

      Ce petit nombre de cas excepté, le pronostic de la dysenterie n'était pas pour l'ordinaire fâcheux; aussi elle a fait peu de ravages. On peut l'attribuer à plusieurs causes; une des principales est cette diarrhée salutaire qui, dans le principe, régnait en même temps que la dysenterie. Au premier coup d'œil on serait porté à croire que la diarrhée pouvait elle-même produire la dysenterie, parce qu'en effet on la voyait survenir souvent quelques jours avant son apparition; mais elle pouvait tout au plus en devenir la cause occasionnelle, et le plus souvent au contraire elle la prévenait. Parmi les circonstances heureuses qui ont contribué à diminuer le danger de la dysenterie, on ne doit pas oublier l'impuissance dans laquelle se trouvaient en général les malades d'abuser des spiritueux. Les auteurs sont remplis d'observations sur les funestes effets de ces boissons, et nous en avons nous-mêmes tous les jours des exemples. Mon collègue et ami Carrié me rapportait encore dernièrement que deux hommes robustes étaient morts sous ses yeux le troisième jour d'une dysenterie bénigne, pour s'être gorgés d'eau-de-vie.

      Dans toutes les maladies, l'indication principale à remplir est de combattre la cause matérielle à laquelle elle doit son existence. La dysenterie dont je viens de parler était, ainsi qu'on l'a vu, entretenue par un état gastrique; et comme cet état se montrait constamment, quoiqu'avec des modifications, à différentes époques, on ne pouvait en aucun temps se dispenser d'employer les moyens propres à évacuer les premières voies: seulement on devait apporter quelque attention dans le choix de ces remèdes. Il n'était pas indifférent d'employer dans le commencement les vomitifs ou les purgatifs: ces derniers rendaient toujours la maladie longue, et difficile à guérir, lorsque l'on n'avait pas soin de faire précéder l'usage des premiers. L'ipécacuanha administré seul était alors suivi du plus heureux succès: vers le milieu de la maladie, il fallait lui joindre quelque substance capable de mener par le bas; et sur la fin les purgatifs suffisaient quelquefois pour compléter la guérison, surtout lorsque le malade était entré à l'hôpital peu de jours après l'invasion de la maladie. La nature nous a elle-même indiqué cette marche en dirigeant suivant ses fins des remèdes opposés, à tel point que j'ai vu nombre de fois les vomitifs ne produire que des selles, lorsque la saison était avancée.

      Les variations étonnantes que l'on remarquait dans l'action des évacuants venaient en partie du lieu où la maladie avait son siège: comme


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