L'oiseau blanc: conte bleu. Dénis Diderot

L'oiseau blanc: conte bleu - Dénis Diderot


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en était là, incertain si la sultane veillait ou dormait; car on n'entendait entre ses rideaux que le bruit d'une respiration et d'une expiration alternatives. Pour s'en assurer, on fit signe à la chatouilleuse de suspendre sa fonction. Le silence de la sultane continuant, on en conclut qu'elle dormait, et chacun se retira sur la pointe du pied.

      TROISIÈME SOIRÉE

      C'était une étiquette des soirées de la sultane, que le conteur de la veille ne poursuivait point le récit du lendemain. C'était donc au second émir à parler; ce qu'il fit après que la sultane eut remarqué que rien n'appelait le sommeil plus rapidement que le souvenir des premières années de la vie, ou la prière à Brama, ou les idées philosophiques.

      «Si vous voulez que je dorme promptement, dit-elle au second émir, suivez les traces du premier émir, et faites-moi de la philosophie.»

LE SECOND ÉMIR

      Un soir que l'oiseau blanc se promenait le long d'une prairie, moins occupé de ses desseins et de la recherche de Vérité, que de la beauté et du silence des lieux, il aperçut tout à coup une lueur qui brillait et s'éteignait par intervalles sur une colline assez élevée. Il y dirigea son vol. La lumière augmentait à mesure qu'il approchait, et bientôt il se trouva à la hauteur d'un palais brillant, singulièrement remarquable par l'éclat et la solidité de ses murs, la grandeur de ses fenêtres et la petitesse de ses portes. Il vit peu de monde dans les appartements, beaucoup de simplicité dans l'ameublement, d'espace en espace des girandoles sur des guéridons, et des glaces de tout côté. À l'instant il reconnut son ancienne demeure, les lieux où il avait passé les premiers et les plus beaux jours de sa vie, et il en pleura de joie; mais son attendrissement redoubla, lorsque, achevant de parcourir le palais, il découvrit la fée Vérité, retirée dans le fond d'une alcôve, où, les yeux attachés sur un globe et le compas à la main, elle travaillait à constater la vérité d'un fameux système.

LA SULTANE

      Un prince élevé sous les yeux de Vérité! Émir, êtes-vous bien sûr de ce que vous dites là? Cela n'est pas assez absurde pour faire rire, et cela l'est trop pour être cru.

LE SECOND ÉMIR

      L'oiseau blanc vola comme un petit fou sur l'épaule de la fée, qui d'abord ne le remarqua pas; mais ses battements d'ailes furent si rapides, ses caresses si vives et ses cris si redoublés, qu'elle sortit de sa méditation et reconnut son élève; car rien n'est si pénétrant que la fée.

LA SULTANE

      Un prince qui persiste dans son goût pour la vérité! en voilà bien d'une autre! Peu s'en faut que je ne vous impose silence; cependant continuez.

LE SECOND ÉMIR

      À l'instant Vérité le toucha de sa baguette; ses plumes tombèrent; et l'oiseau blanc reprit sa forme naturelle, mais à une condition que la fée lui annonça: c'est qu'il redeviendrait pigeon jusqu'à ce qu'il fût arrivé chez son père; de crainte que s'il rencontrait le génie Rousch (ce qui signifie, dans la langue du pays, Menteur), son plus cruel ennemi, il n'en fût encore maltraité. Vérité lui fit ensuite des questions auxquelles le prince Génistan, qui n'est plus oiseau, satisfit par des réponses telles qu'il les fallait à la fée, claires et précises: il lui raconta ses aventures; il insista particulièrement sur son séjour dans le temple de la guenon couleur de feu; la fée le soupçonna d'ajouter à son récit quelques circonstances qui lui manquaient pour être tout à fait plaisant, et d'en retrancher d'autres qui l'auraient déparé; mais comme elle avait de l'indulgence pour ces faussetés innocentes…

LA SULTANE

      Innocentes! Émir, cela vous plaît à dire. C'est à l'aide de cet art funeste, que d'une bagatelle on en fait une aventure malhonnête, indécente, déshonorante… Taisez-vous, taisez-vous; au lieu de m'endormir, comme c'est votre devoir, me voilà éveillée pour jusqu'à demain; et vous, madame première, continuez.

LA PREMIÈRE FEMME

      La fée rit beaucoup des petits esprits qu'il avait laissés là. «Et cette belle princesse qui vous a pensé faire mettre à la basilique? lui dit-elle ironiquement.

      – Ah! l'ingrate, s'écria-t-il, la cruelle! qu'on ne m'en parle jamais.

      – Je vous entends, reprit Vérité, vous l'aimez à la folie.»

      Cette réflexion fut si lumineuse pour le prince, qu'il convint sur-le-champ qu'il aimait.

      «Mais que prétendez-vous faire de ce goût? lui demanda Vérité.

      – Je ne sais, lui répondit Génistan; un mariage peut-être.

      – Un mariage! reprit la fée; tant pis! Je vous avais, je crois, trouvé un parti plus sortable.

      – Et ce parti, demanda le prince, quel est-il?

      – C'est, dit la fée, une personne qui a peu de naissance, qui est d'un certain âge, et dont la figure sévère ne plaît pas au premier coup d'œil, mais qui a le cœur bon, l'esprit ferme et la conversation très-solide. Elle appartenait à un jeune philosophe qui a fait fortune à force de ramper sous les grands, et qui l'a abandonnée: depuis ce temps, je cherche quelqu'un qui veuille d'elle, et je vous l'avais destinée.

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