Christine. Enault Louis

Christine - Enault Louis


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pas se remarier ou de n'épouser que lui. Ce n'est pas le major qui l'a dit; mais on l'a répété devant lui, et il s'est contenté de répondre par un gros soupir. Voici, monsieur l'ambassadeur, à quel point nous en sommes, et il est fort possible que tout ceci vous donne à penser.

      – Je pense que la comtesse est une femme ravissante et que le major sera quelque jour le plus heureux des maris.

      – Et moi je crois que vous ne croyez que la moitié de ce que vous dites; mais c'est déjà beaucoup, et le temps nous apprendra la fin de l'histoire. Il est quatre heures; je n'entends plus de bruit nulle part: tous les soupeurs ont disparu; peut-être serez-vous bien aise de rêver tout seul: partons!»

      Norra, dormant debout, vint apporter la note avec un geste de somnambule: les deux jeunes gens quittèrent les derniers le bel établissement de Hans-Bamberg; Axel conduisit Georges jusqu'à sa porte, sur la grande place du Stortorget, la plus belle de Stockholm, et, après lui avoir souhaité des songes d'or, il reprit le chemin des quais en fredonnant un air d'opéra.

      III

      Le vin de Champagne, après un bal, n'a pas les vertus narcotiques de l'opium ou du hatchisch. Georges dormit peu, et, s'il fit des rêves, ce furent des rêves à demi éveillés. Ses yeux mal fermés revoyaient toujours la belle image de Christine, passant et repassant devant lui; il entendait encore les préludes de la valse de Weber; il pressait contre sa poitrine une taille fine, souple, frémissante; il respirait ce doux parfum de mimosa qui s'exhalait, quelques heures auparavant, de l'éventail et du mouchoir de la comtesse: son front brûlait. Puis, tout à coup, il éprouvait comme une sensation de froid: il se retrouvait sur le Mélar, la neige étendait devant lui sa nappe blanche sans fin. Les poneys noirs passaient comme le vent, emportant Christine, qui lui tendait les bras. Il s'élançait vers elle, et, au moment où il allait l'atteindre, les épaulettes du major lui barraient le chemin.

      Le réveil prolongea ces agitations de la nuit: le valet de chambre allait et venait dans l'appartement, faisant le feu, apportant le sucre, préparant le thé, attendant des ordres qu'il ne recevait pas. Le soleil était paresseux comme Georges; il oubliait de se lever: à midi, il ne faisait jour nulle part; Stockholm demeura enseveli dans un brouillard sombre. M. de Simiane passa le reste de sa journée à ranger ses papiers et à s'installer un peu: il ne sortit pas.

      Le lendemain, la matinée était souriante, le ciel bleu: Georges fit atteler deux beaux chevaux dalécarliens que le chevalier de Valborg lui avait cédés, et il fit une promenade sur la route de Haga; Haga est comme le Saint-Cloud de la Suède, et l'on y va par des routes charmantes, que fréquentent assez les gens du bel air. Comme il rentrait en ville, à la nuit tombante, sa voiture se croisa avec un traîneau fermé, qui en sortait. Il était lancé au grand trot. Le givre brodait d'arabesques la vitre obscurcie; c'est à peine si Georges put distinguer une forme à demi couchée sur les coussins. Il vit cependant que c'était une femme, mais il ne vit pas autre chose.

      Arrivé à la hauteur de la petite église de Sainte-Clara, située vers le milieu de la rue de la Reine, Georges donna l'adresse de la comtesse à son cocher, qui le mena chez elle et sonna.

      «Madame n'y est pas!» répondit le concierge, honnête Danois dont on avait fait un suisse, et que l'on affublait, dans les grandes occasions, d'une hallebarde et d'un baudrier.

      Georges descendit et se nomma.

      «Quand Mme la comtesse y est pour quelqu'un, elle y est pour tout le monde, fit avec une majestueuse solennité l'incorruptible gardien.

      – Au château!» dit le jeune homme assez brusquement.

      Les chevaux repartirent, et, franchissant au galop la place de Gustave-Adolphe et le pont du Nord, s'arrêtèrent tout en sueur au pied de la Montée des Lions, rampe gigantesque dont les lions de Charles XII semblent défendre l'accès. La sentinelle et le cocher échangèrent quelques mots; puis la voiture, entrant dans l'intérieur du palais, traversa deux cours et alla gagner la petite terrasse des Lynx, disposée en parterre et garnie de bouquets d'arbres. Le baron de Vendel s'y promenait avec le fils du ministre de la guerre. Le major avait l'air assez soucieux; Georges l'évita et fit demander le chevalier de Valborg. On lui répondit au bout d'un instant que le service retenait le chevalier dans les appartements. Georges écrivit au crayon sur sa carte: «J'ai besoin de vous: venez! On dit que vous serez libre à huit heures; je vous attendrai depuis sept.»

      Il alla ensuite lire les journaux dans un cercle, trouva les nouvelles diverses insignifiantes, la politique absurde, les feuilletons ennuyeux, et, en fin de compte, ne sachant plus que faire, dîna pour tuer le temps et rentra chez lui.

      A huit heures dix minutes il entendit un coup de sonnette brusque qui le fit bondir.

      C'était le chevalier.

      «Axel, je vous remercie, dit Georges en lui tendant les mains; vraiment, j'avais besoin de vous voir.

      – Je m'en doutais: aussi me voilà!

      – Merci encore! Eh bien?

      – Est-ce que vous savez déjà…

      – Rien! Qu'y a-t-il?

      – Avez-vous vu la comtesse?

      – Non.

      – Êtes-vous allé chez elle?

      – Oui, sans être reçu… Je suis d'assez méchante humeur…

      – A quelle heure y êtes-vous allé?

      – A quatre heures.

      – Elle était partie.

      – Partie!.. Ah! et pourtant le major est toujours ici!

      – Comte, ce n'est pas bien ce que vous dites là. C'est une injure gratuite et que personne ne se permettrait chez nous. Un jour vous vous repentirez de vos paroles.

      – Soit! je m'en repens déjà; mais, de grâce, ou est-elle?

      – Près d'Upsala, chez son oncle, qui est très-mal. La nouvelle est arrivée à deux heures; la comtesse est partie à trois!..

      – Et… quand revient-elle?

      – On ne sait.

      – Upsala… c'est loin d'ici?

      – Trente ou quarante lieues.

      – J'y peux aller?

      – Oui, si vous voulez la perdre!

      – Axel, mon ami, je crois que je vais l'aimer.

      – Il est évident que vous l'adorerez… surtout si elle ne revient pas.

      – Mon cher Valborg, vous avez trop d'esprit pour moi.

      – Allons, ne vous fâchez pas! je vous donnerai de ses nouvelles.»

      IV

      Christine ne revint point à Stockholm de tout l'hiver. Je n'affirmerai point que le chevalier eut raison tout d'abord, et que, par cela seul qu'elle était absente, Georges l'adora; mais du moins il y pense très-souvent.

      Le comte de Simiane était jeune: il n'avait pas encore trente ans. Mais il y en avait déjà sept ou huit qu'il vivait de la vie du monde. Il avait connu la meilleure compagnie de l'Europe et passé quelques hivers dans des capitales plus renommées pour leur élégance que pour leur moralité. Beau, distingué, spirituel et discret, il n'avait pas rencontré beaucoup plus de cruelles qu'un surintendant de l'ancien régime.

      La facilité du plaisir est un de ces malheurs heureux dont on ne songe point à se plaindre, mais qui donne souvent à nos relations une légèreté fâcheuse et à nos sentiments une inconstance coupable. Georges faisait la cour à une femme comme un autre lui aurait dit bonjour. Il appelait cela être poli, et il était trop bien élevé pour ne pas être poli avec tout le monde. Mais ces intrigues, nouées par la fantaisie, dénouées par le caprice, ne lui rapportaient pas plus qu'elles ne lui coûtaient: le plaisir n'est pas même la petite monnaie du bonheur. Des millions de centimes ne font pas toujours une pièce d'or; il y a manière de compter. Si Christine fût restée à Stockholm, sans doute il eût été pour elle un poursuivant


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