Aux glaces polaires. Duchaussois Pierre Jean Baptiste

Aux glaces polaires - Duchaussois Pierre Jean Baptiste


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que ce qu’ils vont dire sera peut-être leur parole suprême, et que, selon l’ancienne croyance, les volontés d’un mourant sont sacrées. Mais, en dehors de cet égard, la dérision accueille souvent les réflexions des vieillards. Un missionnaire du Grand Lac des Esclaves prêtait dernièrement l’oreille à une conversation tenue par des jeunes gens, au sujet de la chasse. Le père de l’un d’eux, qui avait été le plus adroit chasseur de la région, voulut intervenir en faveur de son fils. Mais celui-ci le rabroua:

      – Toi, ferme ta… bouche (le mot était plus grossier). Tu es trop vieux, pour être capable de discuter avec des jeunes gens!

      Une famille sera à table – c’est-à-dire à terre – mains et bouches pleines, le grand-père surviendra:

      – Berullé, pas de viande pour toi!

      Ils lui donneront cependant les restes du repas; et le vieux, qui se souvient d’avoir traité son propre père plus durement encore, s’en trouvera heureux. Que de fois n’entendra-t-il pas aussi un souhait de cette nature:

      – Tu ferais bien mieux de mourir, que de nous embarrasser! Que peut-on faire de toi?

      L’Evangile a dû créer, pour ainsi dire, dans ces cœurs sauvages, l’amour conjugal, l’amour maternel, l’amour filial.

      La mort, non par meurtre brutal, mais par abandon, était jadis la destinée du vieillard. Il le savait, et, le jour arrivé, il se soumettait sans récriminer.

      Peut-être serait-il injuste toutefois d’accuser toujours les Dénés nomades de cruauté voulue, à l’endroit des vieillards impotents. Pour juger ces actes, il faut avoir vu les Indiens du Nord dans la réalité de leur misère. Les vivres sont épuisés depuis longtemps. Le renne et l’orignal fuient toujours. La faim torture le camp. Il est nécessaire de partir afin de rejoindre le gibier errant. Que faire alors du pauvre perclus, que l’on ne peut porter? Toute la famille va-t-elle se condamner à mourir avec lui, ou bien l’abandonnera-t-elle à son sort fatal? Seul, le christianisme pouvait trancher, en faveur des faibles et des petits, ce poignant problème, en envoyant au vieillard, au malade, à l’orphelin le missionnaire et la sœur de charité.

      Le jour où il ne pouvait plus suivre la caravane, le vieillard était prévenu. On lui faisait un petit feu; on lui laissait les dernières provisions; et chacun de lui toucher la main, en lui recommandant de se glisser sous un tas de bois, préparé à cet effet, quand il se sentirait mourir, afin que ses restes ne fussent pas dévorés par les bêtes de la forêt:

      – Lorsque nous repasserons, dans les lunes de l’été, nous ensevelirons tes os, et ton esprit sera en paix.

      C’était l’adieu.

      Bien peu, sans doute, survécurent à cette épreuve. Nous ne savons qu’un fait, arrivé vers l’année 1900, pour nous dire quelque chose de la longue lutte que devaient soutenir ces abandonnés, contre la mort.

      Deux jeunes gens, d’une tribu des montagnes Rocheuses, qui avaient refusé le baptême, vivaient avec leur mère chrétienne. Un automne, ils lui annoncèrent que sa fin était venue. Ils lui préparèrent du feu; lui laissèrent un peu de viande desséchée, ainsi qu’un grelot de collier de chien et un tambourin, qu’elle avait demandés comme dernière faveur; et, s’éloignant, lui promirent qu’ils reviendraient lorsque les neiges seraient fondues, pour lui rendre les derniers devoirs.

      Sept mois après, ils revinrent en effet.

      Leur canot amarré, ils s’avancent dans la forêt, avec les prostrations et les lamentations d’usage, dans le rite païen des funérailles. Comme ils abordent le «tas de bois», quelle n’est pas leur stupeur d’entendre s’en échapper un gémissement, tout faible, presque imperceptible. Un squelette, à peine respirant, se dégage peu à peu… Leur mère! Ils veulent fuir. Mais, de ses mains décharnées, elle les supplie de l’écouter. Haletante, et comme si elle en demandait pardon, elle leur raconte comment il se fait qu’elle vive encore… Elle avait ménagé, et ménagé, sa petite provision. Ensuite, elle avait mangé des racines, puis des écorces, puis ses mocassins, enfin sa robe. Longtemps elle avait réussi à conserver le feu, pour éloigner les loups, qui hurlaient tout autour. Afin de ne dépenser ses forces que le moins possible, elle allait, marchant doucement sur ses mains et ses genoux, chercher des branches mortes. Avec les lanières de ses mocassins, elle s’attelait au petit fagot et le traînait, dans la neige, jusqu’au foyer… Un jour, il n’y eut plus de branches mortes, et le feu s’éteignit. Les loups accoururent. Elle les empêcha encore quelque temps de la mordre, en agitant sa clochette et en frappant son tambourin… A la fin, n’ayant plus rien à manger, elle s’était mise sous les troncs d’arbres, pour mourir…

      Les jeunes gens ne purent se défendre d’un mouvement de pitié. Ils firent un brancard, portèrent leur mère au canot, et la conduisirent, à 300 kilomètres de là, chez de braves chrétiens, Boniface et Madeleine Laferté, qui nous ont eux-mêmes raconté ce trait.

      La vieille Indienne vécut encore deux ans dans leur maisonnette, revit le missionnaire, reçut le saint Viatique, et mourut tout heureuse.

      Tel était le peuple sauvage que la Croix vint aborder, en 1844, et sur lequel elle rayonne aujourd’hui.

      Quel fut le chemin de cette Croix pour les missionnaires, appelés par Dieu à l’honneur de la planter dans les glaces les plus lointaines? Quels furent ces apôtres, évêques, prêtres, frères convers et religieuses? Quelles déceptions et quelles consolations les accompagnèrent?

      C’est ce que voudrait raconter le reste de ce livre.

      CHAPITRE III

      L’HIVER

      Caractère de l’apostolat dans l’Athabaska-Mackenzie. – Linceul de neige et de nuit. – Une âme par 250 kilomètres carrés. – Le fort et la mission. – Traîneaux et chiens. – Les chemins du Nord. – Bordillons, crevasses, poudrerie. – En détresse sur le Grand Lac des Esclaves. – Carrosse épiscopal. – Les raquettes. – La soif. – Le Père Laity.

      Les missionnaires sont les soldats des postes avancés. Mais combien diffèrent leurs champs de bataille, des sables de l’équateur aux neiges du pôle, des anthropophages océaniques aux Peaux-Rouges arctiques!

      L’effort soutenu par les missionnaires de l’Athabaska-Mackenzie ne peut se comparer. Ce n’est pas dans la lutte corps à corps avec le paganisme qu’ils eurent à s’épuiser: le paganisme des Dénés s’avoua vaincu d’avance. Ce n’est pas contre la persécution violente: ces timides peuplades n’ont point de mandarins sanguinaires. Ce n’est pas contre l’inertie spirituelle des néophytes: la ferveur des convertis confondrait souvent la nôtre. Les âmes à conquérir dans l’Athabaska-Mackenzie n’étaient que des captives, soupirant du fond de leur exil.

      La vie des missionnaires s’est usée à les atteindre, par delà deux barrières qui paraissaient d’abord infranchissables: les distances et la pauvreté. Les distances reculées jusqu’aux confins du globe. La pauvreté entretenant une disproportion énorme entre les immensités et les moyens de les parcourir.

      Ainsi donc, les longs voyages, les durs ouvrages matériels, qui furent les soucis secondaires des missionnaires de l’Asie orientale sont devenus les travaux apostoliques de première importance dans l’Extrême-Nord de l’Amérique.

      Dire par quel courage furent domptés ces obstacles serait raconter presque toute l’histoire de la conquête des Dénés au royaume de Dieu.

      Pendant que le missionnaire des tribus Ceylanaises ne se déplace que pour jeter continuellement ses larges filets, à sa droite et à sa gauche, parmi des masses assemblées, mesurant son labeur par le chiffre des âmes qu’il a sauvées, le missionnaire voyageur du Mackenzie compte les lieues qu’il a parcourues, les jours de disette qu’il a traversés, et dit: «Voilà mon apostolat!» Au bout de ces tournées douloureuses, il inscrit quelques baptêmes, quelques communions, une mort sanctifiée par sa présence sous la hutte indienne, et son rôle est rempli. A lui la consolation de ressembler à Notre-Seigneur cheminant


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