Le vicomte de Bragelonne, Tome II.. Dumas Alexandre

Le vicomte de Bragelonne, Tome II. - Dumas Alexandre


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heures, d'Artagnan chercha Porthos.

      Pendant la troisième, il revint à la maison.

      – Nous nous serons croisés, dit-il, et je vais trouver les deux convives attendant mon retour.

      D'Artagnan se trompait. Il ne retrouva pas plus Porthos à l'évêché qu'il ne l'avait trouvé sur le bord du canal.

      Aramis l'attendait au haut de l'escalier avec une mine désespérée.

      – Ne vous a-t-on pas rejoint, mon cher d'Artagnan? cria-t-il du plus loin qu'il aperçut le mousquetaire.

      – Non. Auriez-vous fait courir après moi?

      – Désolé, mon cher ami, désolé de vous avoir fait courir inutilement; mais, vers sept heures, l'aumônier de Saint-Paterne est venu; il avait rencontré du Vallon qui s'en allait et qui, n'ayant voulu réveiller personne à l'évêché, l'avait chargé de me dire que, craignant que M. Gétard ne lui fît quelque mauvais tour en son absence, il allait profiter de la marée du matin pour faire un tour à Belle-Île.

      – Mais, dites-moi, Goliath n'a pas traversé les quatre lieues de mer, ce me semble?

      – Il y en a bien six, dit Aramis.

      – Encore moins, alors.

      – Aussi, cher ami, dit le prélat avec un doux sourire, Goliath est à l'écurie, fort satisfait même, j'en réponds, de n'avoir plus Porthos sur le dos.

      En effet, le cheval avait été ramené du relais par les soins du prélat, à qui aucun détail n'échappait.

      D'Artagnan parut on ne peut plus satisfait de l'explication.

      Il commençait un rôle de dissimulation qui convenait parfaitement aux soupçons qui s'accentuaient de plus en plus dans son esprit. Il déjeuna entre le jésuite et Aramis, ayant le dominicain en face de lui et souriant particulièrement au dominicain, dont la bonne grosse figure lui revenait assez.

      Le repas fut long et somptueux; d'excellent vin d'Espagne, de belles huîtres du Morbihan, les poissons exquis de l'embouchure de la Loire, les énormes chevrettes de Paimboeuf et le gibier délicat des bruyères en firent les frais.

      D'Artagnan mangea beaucoup et but peu. Aramis ne but pas du tout, ou du moins ne but que de l'eau. Puis après le déjeuner:

      – Vous m'avez offert une arquebuse? dit d'Artagnan.

      – Oui.

      – Prêtez-la-moi.

      – Vous voulez chasser?

      – En attendant Porthos, c'est ce que j'ai de mieux à faire, je crois.

      – Prenez celle que vous voudrez au trophée.

      – Venez-vous avec moi?

      – Hélas! cher ami, ce serait avec grand plaisir, mais la chasse est défendue aux évêques.

      – Ah! dit d'Artagnan, je ne savais pas.

      – D'ailleurs, continua Aramis, j'ai affaire jusqu'à midi.

      – J'irai donc seul? dit d'Artagnan.

      – Hélas! oui! mais revenez dîner surtout.

      – Pardieu! on mange trop bien chez vous pour que je n'y revienne pas.

      Et là-dessus d'Artagnan quitta son hôte, salua les convives, prit son arquebuse, mais, au lieu de chasser, courut tout droit au petit port de Vannes.

      Il regarda en vain si on le suivait; il ne vit rien ni personne.

      Il fréta un petit bâtiment de pêche pour vingt-cinq livres et partit à onze heures et demie, convaincu qu'on ne l'avait pas suivi. On ne l'avait pas suivi, c'était vrai. Seulement, un frère jésuite, placé au haut du clocher de son église, n'avait pas, depuis le matin, à l'aide d'une excellente lunette, perdu un seul de ses pas. À onze heures trois quarts, Aramis était averti que d'Artagnan voguait vers Belle-Île.

      Le voyage de d'Artagnan fut rapide: un bon vent nord-nord-est le poussait vers Belle-Île.

      Au fur et à mesure qu'il approchait, ses yeux interrogeaient la côte. Il cherchait à voir, soit sur le rivage, soit au-dessus des fortifications, l'éclatant habit de Porthos et sa vaste stature se détachant sur un ciel légèrement nuageux.

      D'Artagnan cherchait inutilement; il débarqua sans avoir rien vu, et apprit du premier soldat interrogé par lui que M. du Vallon n'était point encore revenu de Vannes.

      Alors, sans perdre un instant, d'Artagnan ordonna à sa petite barque de mettre le cap sur Sarzeau.

      On sait que le vent tourne avec les différentes heures de la journée; le vent était passé du nord-nord-est au sud-est; le vent était donc presque aussi bon pour le retour à Sarzeau qu'il l'avait été pour le voyage de Belle-Île. En trois heures, d'Artagnan eut touché le continent; deux autres heures lui suffirent pour gagner Vannes.

      Malgré la rapidité de la course, ce que d'Artagnan dévora d'impatience et de dépit pendant cette traversée, le pont seul du bateau sur lequel il trépigna pendant trois heures pourrait le raconter à l'histoire. D'Artagnan ne fit qu'un bond du quai où il était débarqué au palais épiscopal.

      Il comptait terrifier Aramis par la promptitude de son retour, et il voulait lui reprocher sa duplicité, avec réserve toutefois, mais avec assez d'esprit néanmoins pour lui en faire sentir toutes les conséquences et lui arracher une partie de son secret.

      Il espérait enfin, grâce à cette verve d'expression qui est aux mystères ce que la charge à la baïonnette est aux redoutes, enlever le mystérieux Aramis jusqu'à une manifestation quelconque.

      Mais il trouva dans le vestibule du palais le valet de chambre qui lui fermait le passage tout en lui souriant d'un air béat.

      – Monseigneur? cria d'Artagnan en essayant de l'écarter de la main.

      Un instant ébranlé, le valet reprit son aplomb.

      – Monseigneur? fit-il.

      – Eh! oui, sans doute; ne me reconnais-tu pas, imbécile?

      – Si fait; vous êtes le chevalier d'Artagnan.

      – Alors, laisse-moi passer.

      – Inutile.

      – Pourquoi inutile?

      – Parce que Sa Grandeur n'est point chez elle.

      – Comment, Sa Grandeur n'est point chez elle! Mais où est-elle donc?

      – Partie.

      – Partie?

      – Oui.

      – Pour où?

      – Je n'en sais rien; mais peut-être le dit-elle à Monsieur le chevalier.

      – Comment? où cela? de quelle façon?

      – Dans cette lettre qu'elle m'a remise pour Monsieur le chevalier.

      Et le valet de chambre tira une lettre de sa poche.

      – Eh! donne donc, maroufle! fit d'Artagnan en la lui arrachant des mains. Oh! oui, continua d'Artagnan à la première ligne; oui, je comprends.

      Et il lut à demi-voix:

      «Cher ami, Une affaire des plus urgentes m'appelle dans une des paroisses de mon diocèse.

      J'espérais vous voir avant de partir; mais je perds cet espoir en songeant que vous allez sans doute rester deux ou trois jours à Belle-Île avec notre cher Porthos.

      Amusez-vous bien, mais n'essayez pas de lui tenir tête à table; c'est un conseil que je n'eusse pas donné, même à Athos, dans son plus beau et son meilleur temps.

      Adieu, cher ami; croyez bien que j'en suis aux regrets de n'avoir pas mieux et plus longtemps profité de votre excellente compagnie.»

      – Mordioux! s'écria d'Artagnan, je suis joué. Ah! pécore, brute, triple sot que je suis! mais rira bien qui rira le dernier oh! dupé, dupé comme un singe à qui on donne une noix vide!

      Et,


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