La San-Felice, Tome 02. Dumas Alexandre

La San-Felice, Tome 02 - Dumas Alexandre


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et moi.

      – Et je suis sûr, dit Acton, que Votre Majesté a choisi le bon rôle.

      – Je le crois, dit la reine; d'ailleurs, vous verrez.

      Acton s'inclina une seconde fois et sortit.

      – Ah! murmura la reine en sonnant ses femmes, si Emma fait ce qu'elle m'a promis, tout ira bien.

      XXI

      LE MÉDECIN ET LE PRÊTRE

      Finissons-en avec les événements de cette nuit si pleine d'événements, afin que nous puissions continuer désormais notre récit, sans être forcé de nous arrêter ou de revenir en arrière.

      Si nos lecteurs ont lu avec attention notre dernier chapitre, ils doivent se rappeler que les conspirateurs, après le départ de Salvato Palmieri, s'étaient séparés en deux groupes de trois personnes chacun: l'un, qui avait remonté le Pausilippe; l'autre, qui avait pris la mer dans une barque.

      Le groupe qui avait remonté le Pausilippe se composait de Nicolino Caracciolo, de Velasco et de Schipani.

      L'autre, qui était parti à l'aide d'une barque amarrée sous le grand portique du palais de la reine Jeanne, portique que baigne la mer, et où elle avait bravé la tempête, se composait de Dominique Cirillo, d'Ettore Caraffa et de Manthonnet.

      Ettore Caraffa était, comme nous l'avons dit, caché à Portici. Manthonnet y demeurait. Manthonnet, grand amateur de la pêche, avait une barque à lui. Avec cette barque, aidé d'Hector Caraffa, il se rendait de Portici au palais de la reine Jeanne. Rudes rameurs tous deux, ils faisaient le trajet en deux heures par les temps calmes. Quand il y avait du vent et que le vent était bon, ils allaient à la voile, et la voile leur suffisait.

      Cette nuit-là, ils s'en retournaient ainsi que de coutume; seulement, ils s'en allaient à la rame, le vent étant tombé et la mer ayant calmi; en passant, ils devaient déposer Cirillo à Mergellina. Cirillo demeurait à l'extrémité de la rivière de Chiaïa: voilà pourquoi, au lieu de nager directement sur Portici, ils avaient été vus par les sbires longeant le rivage.

      Arrivés en face du casino du Roi, aujourd'hui appartenant au prince Torlonia, ils déposèrent Cirillo à terre, choisissant un endroit où la pente était facile pour atteindre le chemin, devenu depuis une rue.

      Puis ils avaient repris la mer, s'écartant cette fois du rivage et naviguant pour passer à la pointe du château de l'Oeuf.

      Cirillo avait donc atteint la rue facilement et sans être remarqué, lorsque, après avoir fait une centaine de pas, il vit tout à coup un groupe composé d'une vingtaine de soldats arrêtés et paraissant discuter au milieu du chemin; leurs fusils brillaient à la lueur de deux torches.

      A cette même lueur qui se reflétait dans leurs armes, ils semblaient examiner deux hommes couchés en travers de la rue.

      Cirillo reconnut une patrouille dans l'exercice de ses fonctions.

      C'était, en effet, la patrouille qu'avait entendue venir Pasquale de Simone, et devant laquelle il avait fui pour ne pas compromettre la reine.

      Comme l'avait présumé le sbire, arrivée au lieu du combat, la patrouille avait trouvé couché sur le lastrico un mort et un blessé; les deux autres blessés, celui qui avait reçu un coup de sabre à travers la figure et celui qui avait eu l'épaule brisée par une balle, avaient eu la force de fuir par la petite rue qui longeait la partie nord du jardin de la San-Felice.

      La patrouille avait facilement reconnu que l'un des deux hommes était mort, et que, de celui-là, il était parfaitement inutile de se préoccuper; mais, quoique évanoui, son compagnon respirait encore, et, celui-là, peut-être pouvait-on le sauver.

      On était à vingt pas de la fontaine du Lion; un des soldats alla y prendre de l'eau dans son bonnet et revint vider cette eau sur le visage du blessé, qui, surpris par cette fraîcheur inattendue, rouvrit les yeux et revint à lui.

      Se voyant entouré de soldats, il essaya de se lever, mais inutilement; il était complétement paralysé, la tête seule pouvait tourner à droite et à gauche.

      – Dites donc, mes amis, fit-il, si je n'ai plus qu'à mourir, ne pourrait-on pas au moins me porter sur un lit un peu plus doux?

      – Ma foi, dirent les soldats, c'est un bon diable; il faut, quel qu'il soit, lui accorder ce qu'il demande.

      Ils essayèrent de le soulever dans leurs bras.

      – Eh! mordieu! dit celui-ci, touchez-moi comme si j'étais de verre, mannaggia la Madonna!

      Ce blasphème, un des plus grands que puisse proférer un Napolitain, indiquait que le mouvement qu'on venait de lui faire faire avait causé au blessé une vive douleur.

      En apercevant ce groupe, la première pensée de Cirillo fut de l'éviter; mais, presque aussitôt, il songea que cette patrouille, et les hommes qu'elle ramassait sur le pavé, se trouvaient justement au beau travers de la route qu'avait dû suivre Salvato Palmieri, pour se rendre chez l'ambassadeur français, et il lui vint naturellement à l'idée que ce rassemblement pouvait bien être causé par quelque catastrophe dans laquelle le jeune envoyé du général Championnet avait eu sa part et joué son rôle.

      Il s'avança donc résolument, au moment même où l'officier commandant la patrouille menaçait d'enfoncer la porte d'une maison située de l'autre côté de la fontaine du Lion et faisant l'angle de la rue, un des caractères distinctifs de la population napolitaine étant la répugnance qu'elle éprouve instinctivement à porter secours à son semblable, fût-il en danger de mort.

      Mais, à l'ordre de l'officier, et surtout devant les coups de crosse de fusil des soldats, la porte finit par s'ouvrir, et Cirillo entendit deux ou trois voix qui demandaient où l'on pouvait trouver un chirurgien.

      Son devoir et sa curiosité le poussaient doublement à s'offrir.

      – Je suis médecin et non chirurgien, dit-il; mais, peu importe, je puis au besoin faire de la chirurgie.

      – Ah! monsieur le docteur, dit le blessé que l'on apportait et qui avait entendu les paroles de Cirillo, j'ai peur que vous n'ayez en moi une mauvaise pratique.

      – Bon! dit Cirillo, la voix ne me paraît pas mauvaise, cependant.

      – Il n'y a plus que la langue qui remue, dit le blessé, et, ma foi, j'en use.

      Pendant ce temps, on avait tiré un matelas du lit, on l'avait posé sur une table au milieu de la chambre; on y coucha le blessé.

      – Des coussins, des coussins sous la tête, dit Cirillo; la tête d'un blessé doit toujours être haute.

      – Merci, docteur, merci! dit le sbire; je vous aurai la même reconnaissance que si vous réussissiez.

      – Et qui vous dit que je ne réussirai pas?

      – Hum! je me connais en blessures, allez! Celle-là va à fond.

      Il fit signe à Cirillo de s'approcher. Cirillo pencha son oreille vers la bouche du blessé.

      – Ce n'est pas que je doute de votre science; mais vous feriez bien, je crois, comme si cela venait de vous, d'envoyer chercher un prêtre.

      – Déshabillez cet homme avec les plus grandes précautions, dit Cirillo.

      Puis, s'adressant au maître de la maison, qui, avec sa femme et ses deux enfants, regardaient curieusement le blessé:

      – Envoyez un de vos deux bambins à l'église de Santa-Maria-di-Porto-Salvo et faites demander don Michelangelo Ciccone.

      – Ah! nous le connaissons. Cours, Tore, cours – tu as entendu ce que dit M. le docteur.

      – J'y vais, dit l'enfant.

      Et il s'élança hors de la maison.

      – Il y a une pharmacie à dix pas d'ici, lui cria Cirillo; réveille en passant le pharmacien et dis-lui que le docteur Cirillo va lui envoyer une ordonnance. Qu'il ouvre sa porte et qu'il attende.

      – Ah çà! quel diable d'intérêt


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