Le roman d'un jeune homme pauvre (Play). Feuillet Octave

Le roman d'un jeune homme pauvre (Play) - Feuillet Octave


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ces brillantes qualités que j'admirais comme toi l'attiraient invinciblement dans toutes les fêtes de la vie mondaine dont il était le héros. Ma mère refusait obstinément de l'y suivre: elle refusa même bientôt de paraître dans son propre salon quand on recevait au château. J'attribuais à ces refus, qui exaspéraient mon père, les scènes pénibles, violentes parfois, dont les échos arrivaient jusqu'à moi. Je croyais la pauvre femme atteinte d'une affection nerveuse, d'une espèce de maladie noire, et mon père, d'ailleurs, me le donnait à entendre. Cependant, mon ami… tu sais que j'ai une soeur beaucoup plus jeune que moi?

       GASTON.

      Mademoiselle Hélène! Oui.

       MAXIME.

      Peu de jours après sa naissance, il y a sept ans de cela, mon père m'appela chez lui et me fit part avec un certain embarras d'un désir singulier que manifestait ma mère: c'était de me voir suivre un cours de droit. Alors, pour la première fois, mon ami, la pensée me vint que les goûts mondains de mon père, sa répugnance et son dédain pour le côté positif et ennuyeux de la vie avaient pu introduire dans notre fortune quelque secret désordre; peut-être, me disais-je, ma mère veut-elle que je sois en état de suppléer à la négligence de mon père, de réparer ses erreurs.

       GASTON.

      Eh bien?

       MAXIME.

      Je ne pus m'arrêter à cette idée… j'avais bien, à la vérité, entendu mon père se plaindre parfois des désastres que notre fortune avait subis pendant la révolution, mais ces plaintes m'avaient toujours paru assez injustes. Tu as vu toi-même quelle était notre situation, notre genre de vie.

       GASTON.

      Mais c'était tout ce qu'il y avait de plus confortable. Un hôtel à Paris, un château seigneurial, des écuries immenses peuplées de chevaux de prix.

       MAXIME.

      Cependant, j'obéis à ma mère, je fis mon droit; mais en même temps je commençai, j'avais vingt ans, à la fuir, à l'éviter… elle était toujours souffrante, et malheur à ceux qui souffrent toujours! oui, cette pauvre femme qui m'aimait tant, et que j'aimais aussi, je t'assure, je l'abandonnai chaque jour davantage; nous nous disions, mon père et moi, qu'elle n'était pas malade, qu'elle avait des manies. Nous n'étions jamais si heureux que quand nous nous élancions hors de cette pauvre maison où languissait cette malade éternelle! Allons, Maxime, criait gaiement mon père, un temps de galop!.. et nous courions!.. Un jour en recevant d'une de ces courses, nous trouvâmes… elle était morte, mon ami, me laissant un remords qui ne finira pas! (Il se lève.)

       GASTON.

      Maxime!

       MAXIME.

      Deux mois plus tard, sur le désir formel de mon père, je partis pour l'Italie, et je commençai une série de voyages dont il avait lui-même fixé le terme. Pendant plusieurs années, sa correspondance affectueuse, mais brève, ne témoigna jamais la moindre impatience au sujet de mon retour… Je n'en fus que plus alarmé, il y a deux mois, quand je trouvai, en débarquant à Marseille, plusieurs lettres de mon père qui, toutes, me rappelaient avec une hâte fébrile.

       GASTON.

      Ah! est-ce que vraiment…? il me semble avoir entendu le nom de ton père mêlé à des spéculations de Bourse l'an passé?

       MAXIME.

      J'arrivai le soir: il y avait une légère couche de neige sur le sol, et en traversant l'avenue j'entendais les flocons de givre se détacher des arbres, et tomber autour de moi comme des larmes… Comme j'approchais du château, je vis derrière les fenêtres à demi éclairées du grand salon une ombre qui me parut être celle de mon père. A peine j'eus franchi le seuil, il accourut, il me saisit dans ses bras avec une effusion de sensibilité à laquelle il ne m'avait pas habitué, et je sentis son coeur battre contre le mien avec une violence effrayante; il me montra un siège et s'assit brusquement en face de moi. (Maxime s'asseoit.) Alors comme s'il eût désiré de parler sans en trouver le courage, ses yeux s'arrêtèrent sur les miens avec une expression d'angoisse, d'humilité et de prière, qui de la part d'un homme aussi fier que l'était mon père, me toucha, me navra profondément! Ah! ce tort qu'il avait tant de peine à confesser, je l'avais compris déjà, et Dieu sait que du fond de l'âme j'étais prêt à lui crier: Je vous pardonne! je vous pardonne! quand soudain ce regard qui ne me quittait pas prit une fixité grave, étonnée et terrible; la main se mon père se crispa sur mon bras, il se souleva sur son fauteuil et retomba lourdement sur le parquet, il n'était plus!

      GASTON, se levant.

      Pauvre ami… mais quoi?.. qu'y a-t-il encore?.. parle… est-ce la ruine?

       MAXIME.

      Tu l'as dit. (Il se lève1 [1. Maxime, Gaston.].) La Bourse l'avait achevé. De sorte que je me trouve avec ma soeur en face d'un abîme dont je ne connais même pas le fond, car le désordre était immense, et j'avais à peine, d'ailleurs, essayé de mettre un peu de lumière dans ce chaos que je tombai gravement malade. J'ai été pendant deux mois entre la vie et la mort; dès que j'ai pu marcher, je suis accouru à Paris, et me voilà.

       GASTON.

      Mais tes affaires pendant ce temps? La liquidation…

       MAXIME.

      Grâce à Dieu, un ami s'en était chargé dès la première heure, un ami que je connais à peine, mais en qui cependant j'ai pleine confiance, parce que ma mère l'estimait profondément; c'est un vieillard, un monsieur Laubépin, autrefois notaire de notre famille.

       GASTON.

      Ah! je crois l'avoir vu chez vous, un ébouriffé un peu fantasque?

       MAXIME.

      Oui, un peu… Je l'avais perdu de vue depuis des années… mon père ne l'aimait pas; il se moquait de ses formes solennelles et respectueuses, sous lesquelles il prétendait flairer un vieux levain bourgeois, roturier, et même jacobin, disait-il. J'ai ri moi-même plus d'une fois aux dépens de ce bonhomme, ne me doutant guère que j'attendrais un jour, de sa bouche, le dernier mot de ma destinée.

       GASTON.

      Mais enfin, vous aviez cent mille francs de rente… Les morceaux en sont bons, que diable!

       MAXIME.

      Tu penses, n'est-ce pas, que je sauverai quelque épave? Eh! mon Dieu, si seulement l'existence de ma soeur était assurée!.. mais cette incertitude est affreuse!..

       GASTON.

      Et comment n'as-tu pas encore vu ton Laubépin?

       MAXIME.

      Tu peux croire qu'à peine arrivé j'ai couru chez lui, mais bah! il n'y était pas! Il était à la campagne, en province, je ne sais où… aussi je suis là depuis deux jours dans un état de misère, de détresse morale… et physique… dont j'ose à peine te donner l'idée.

      GASTON, avec distraction et embarras.

      Pauvre ami! Ah! voilà… voilà la vie!.. c'est atroce! c'est atroce! (Regardant l'heure à sa montre.) Ah çà, mon ami, je te demande mille fois pardon, mais j'ai un rendez-vous au tattersall pour trois heures; voilà trois heures et demie…

      MAXIME, froidement.

      Va, mon ami, va. (Avec une nuance d'ironie.) Tu reviendras, n'est-ce pas?

       GASTON.

      Parbleu, en doutes-tu? Diable! ce n'est pas dans des moments pareils qu'on abandonne ses amis. (Il tire son porte-cigare.) Ah çà, tu vas bien me permettre de t'offrir un cigare, mon ami, j'en ai d'excellents; il n'y en a plus que deux… nous allons partager en frères… A revoir, Maxime, à bientôt, bon courage!

      MAXIME, qui s'est laissé mettre le cigare dans la main, avec un sourire triste.

      Je


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