Césarine Dietrich. Жорж Санд
ou des miennes; elle voulait que je fusse une femme et rien de plus, rien de mieux. Mon père veut que je pense comme un homme, et vous, vous rêvez de m'élever à l'état d'ange. Heureusement je sais me défendre, et je saurai me faire aimer de vous comme Je suis.
– C'est fait, je vous aime; mais vous l'avez compris, je vous veux parfaite, vous pouvez l'être.
– Si je veux, peut-être; mais je ne sais pas si je le veux, j'y penserai.
Ainsi je n'avais jamais le dernier mot avec elle, et c'était à recommencer toutes les fois qu'une observation sur le fond de sa pensée me paraissait nécessaire. L'occasion était rare, car à la surface et dans l'habitude de la vie elle était d'une égalité d'humeur incomparable, je dirais presque invraisemblable à son âge et dans sa position. Jamais je n'eus à lui reprocher un instant de langueur, une ombre de résistance dans ses études. Elle était toujours prête, toujours attentive. Sa compréhension, sa mémoire, la logique et la pénétration de son esprit tenaient du prodige. Elle me paraissait dépourvue d'enthousiasme et de sensibilité» mais elle avait un grand sens critique, un grand mépris pour le mal, une si haute probité d'instincts qu'elle ne comprenait pas que l'héroïsme parût difficile et méritât de grandes louanges. J'osais à peine solliciter son admiration pour les grands caractères et les grandes actions; elle semblait me dire:
– Que trouvez-vous donc là d'étonnant? est-ce que vous ne seriez pas capable de ces choses si naturelles?
Ou bien:
– Me croyez-vous inférieure à ces hautes natures qui vous confondent?
Tant que l'on ne s'attaquait pas à son for intérieur, elle était calme, polie, délicate et charmante. Elle avait des prévenances irrésistibles, des louanges fines, des élans de tendresse apparente, et, si parfois elle était mécontente de moi, je ne m'en apercevais qu'à un redoublement de déférence et d'égards.
Comment gouverner, comment espérer de modifier une telle personne? J'avais lutté contre moi-même dans ma vie de revers et de douleur. Je ne m'étais jamais exercée à lutter contre les autres. Ce qui me consolait de mon impuissance, c'est que M. Dietrich, avec toute l'énergie acquise dans sa vie de travail et de calcul, n'avait pas plus de prise que moi sur les convictions de sa fille.
Ces convictions étaient fort mystérieuses, je ne réussissais pas à m'en emparer, tant elles étaient contradictoires. À l'heure qu'il est, je ne saurais dire encore si le désordre de ses assertions sur elle-même tenait à l'incertitude où flotte une vive intelligence en voie d'éclosion trop rapide, ou bien simplement au besoin de prendre le contre-pied de ce qu'on voulait lui persuader. Cette grande logique qu'elle portait dans l'étude disparaissait de son caractère dans l'application. Elle avait des goûts qui se contrariaient sans l'étonner.
– Je veux m'arranger, disait-elle alors, pour vivre en bonne intelligence avec les extrêmes que je porte en moi. J'aime l'éclat et l'ombre, le silence et le bruit. Il me semble qu'on est heureux quand on peut faire bon ménage avec les contrastes.
– Oui, lui disais-je, c'est possible dans certains cas; mais il y a le grand, l'éternel contraste du mal et du bien, qui ne se logeront jamais dans le même coeur sans que l'un étouffe l'autre.
– Je vous répondrai, reprenait-elle, quand je saurai ce que cela veut dire. Vous me permettrez, à l'âge que j'ai de ne pas savoir encore ce que c'est que le mal.
Et elle s'arrangeait pour ne pas paraître le savoir. Si je surprenais en elle un mouvement d'égoïsme et de cruauté, comme dans l'histoire du petit oiseau, sa figure exprimait un étonnement candide.
– Je n'avais pas songé à cela, disait-elle.
Mais jamais elle ne s'avouait coupable ni résolue à ne plus l'être. Elle promettait d'y réfléchir, d'examiner, de se faire une opinion. Elle ne croyait pas qu'on eût le droit de lui en demander davantage, et protestait assez habilement contre les convictions imposées.
Nous passâmes huit mois à la campagne dans un véritable Éden et dans une solitude qu'interrompaient peu agréablement de rares visites de cérémonie. M. Dietrich se passionnait pour l'agriculture, et peu à peu il ne se montra plus qu'aux repas. Mademoiselle Helmina Dietrich était absorbée par les soins du ménage. Césarine était donc condamnée à vivre entre deux vieilles filles, l'une très-gaie (Helmina aimait à être taquinée par sa nièce, qui la traitait amicalement comme une enfant), mais sans influence aucune sur elle; l'autre, sérieuse, mais irrésolue et inquiète encore. J'avoue que je n'osais rien, craignant d'irriter secrètement un amour-propre que la lutte eût exaspéré. Nous revînmes à Paris au milieu de l'hiver. Césarine, qui n'avait pas marqué le moindre dépit de rester si longtemps à la campagne, ne fit pas paraître toute sa joie de revoir Paris, sa chère maison et ses anciennes connaissances; mais je vis bien que son père avait raison de penser qu'elle aimait le monde. Sa santé, qui n'avait pas été brillante depuis la mort de sa mère, prit le dessus rapidement dès qu'on put lui procurer quelques distractions.
Cette victoire, qui fût définitive dans son équilibre physique, la rendit en peu de temps si belle, si séduisante d'aspect et de manières, qu'à seize ans elle avait déjà tout le prestige d'une femme faite. Son intelligence progressa dans la même proportion. Je la voyais éclore presque instantanément. Elle devinait ce qu'elle n'avait pas le temps d'apprendre; les arts et la littérature se révélaient à elle comme par magie. Son goût devenait pur. Elle n'avait plus de paradoxes, elle se corrigeait de poser l'originalité. Enfin elle devenait si remarquable qu'au bout de mon année d'examen je me résumai ainsi avec M. Dietrich:
– Je resterai. Je ne suis pas nécessaire à votre fille. Personne ne lui est et ne lui sera, peut-être jamais nécessaire, car, ne vous y trompez pas, elle est une personne supérieure par elle-même; mais je peux lui être utile, en ce sens que je peux la confirmer dans l'essor de ses bons instincts. S'il venait à s'en produire de mauvais, je ne les détruirais pas, et vous ne les détruiriez pas plus que moi; mais à nous deux nous pourrions en retarder le développement ou en amortir les effets. Elle me le dit du moins, elle a pris de l'affection pour moi et me prie avec ardeur de ne pas la quitter. Moi, je me dis qu'elle mérite que je m'attache à elle, fallût-il souffrir quelquefois de mon dévouement.
M. Dietrich m'exprima une très-vive reconnaissance, et je m'installai définitivement chez lui. Je donnai congé du petit appartement que j'avais voulu garder jusque-là, j'apportai mon modeste mobilier, mes petits souvenirs de famille, mes livres et mon piano à l'hôtel Dietrich, et je consentis à y occuper un très-joli pavillon que j'avais jusque-là refusé par discrétion. C'était le logement de mademoiselle Helmina, qui prenait celui de sa défunte belle-soeur et se trouvait ainsi sous la même clef que Césarine.
J'eus dès lors une indépendance plus grande que je ne l'avais espéré. Je pouvais recevoir mes amis sans qu'ils eussent à défiler sous les yeux de la famille Dietrich. Le nombre en était bien restreint; mais je pouvais voir mon cher filleul tout à mon aise et le soustraire aux critiques probablement trop spirituelles que Césarine eût pu faire tomber sur sa gaucherie de collègien.
Cette gaucherie n'existait plus heureusement. Ce fut une grande joie pour moi de retrouver mon cher enfant grandi et en bonne santé. Il n'était pas beau, mais il était charmant, il ressemblait à ma pauvre soeur: de beaux yeux noirs doux et pénétrants, une bouche parfaite de distinction et de finesse, une pâleur intéressante sans être maladive, des cheveux fins et ondulés sur un front ferme et noble. Il n'était pas destiné à être de haute taille, ses membres étaient délicats, mais très-élégants, et tous ses mouvements avaient de l'harmonie comme toutes les inflexions de sa voix avaient du charme.
Il venait de terminer ses études et de recevoir son diplôme de bachelier. Je m'étais beaucoup inquiétée de la carrière qu'il lui faudrait embrasser. M. Dietrich, à qui j'en avais plusieurs fois parlé, m'avait dit:
– Ne vous tourmentez pas; je me charge de lui. Faites-le moi connaître, je verrai à quoi il est porté par son caractère et ses idées.
Toutefois, quand je voulus lui présenter Paul, celui-ci me répondit avec une fermeté que je ne lui connaissais pas:
– Non,