Les enfants des bois. Reid Mayne

Les enfants des bois - Reid Mayne


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des insectes parfaits. Guidées par leur instinct, elles suivent une direction invariable. La mer et les grands fleuves peuvent seuls les arrêter; elles traversent à la nage les rivières, gravissent le long des murs et des maisons, et dès qu'elles ont franchi un obstacle, elles continuent leur route toujours tout droit. En essayant de passer les grands cours d'eau rapides, elles se noient en quantité et sont emportées dans la mer. Si leur bande est peu nombreuse, les fermiers réussissent parfois à les éloigner au moyen de feux, comme on vous l'a dit, mais si l'émigration est importante, c'est peine perdue.

      – Comment peuvent-elles faire, demanda Hendrik, pour traverser ces feux, est-ce qu'elles sautent par-dessus?

      – Non, répondit Hans, les feux qu'on allume sont de trop grande dimension pour cela.

      – Alors je n'y comprends rien, dit Hendrik.

      – Ni moi non plus, dit le petit Jan.

      – Ni moi, dit Gertrude.

      – Des milliers d'insectes, reprit Hans, se jettent dans les brasiers et les éteignent.

      – Comment, sans se brûler! s'écrièrent tous les auditeurs.

      – Il y en a un nombre inimaginable de brûlés. Leurs corps entassés étouffent les feux; mais les premiers rangs de la grande armée sont sacrifiés, et les autres passent impunément sur les victimes. Vous voyez donc que les feux ne peuvent arrêter la marche des locustes quand elles sont en grand nombre.

      »Dans certaines parties de l'Afrique où le sol est cultivé, les indigènes sont pris d'une terreur panique aussitôt qu'ils voient apparaître les insectes voyageurs. Ils les redoutent autant qu'un tremblement de terre ou toute autre grande calamité.

      – Nous comprenons sans peine, dit Hendrik, le sentiment qu'ils éprouvent.

      – Les sauterelles volantes, poursuivit Hans, ne suivent pas une direction aussi constante que leurs larves; elles semblent être guidées par le vent, qui les emporte souvent dans la mer, où elles sont englouties. Sur quelque partie de la côte, on a trouvé en quantités incroyables leurs cadavres rejetés par le flux. Des voyageurs dignes de foi affirment en avoir vu sur une plage une bande de quatre pieds de hauteur sur cinquante milles de long. Les émanations de cette masse énorme répandaient une infection sensible à cent cinquante milles dans l'intérieur.

      – Il fallait tout de même avoir bon nez, s'écria le petit Jan.

      Tout le monde rit de cette observation, à l'exception de Von Bloom, qui avait en ce moment des idées noires. Gertrude s'en aperçut, et lui dit, pour tâcher de le distraire:

      – Papa, la Bible dit que Jean-Baptiste vivait, dans le désert, de miel et de sauterelles. Etaient-ce les mêmes que celles que nous voyons?

      – Je le crois, répondit laconiquement le père.

      – Permettez-moi de vous contredire, repartit Hans; mais l'analogie n'est pas complète. La sauterelle de l'Ecriture est le véritable criquet émigrant (gryllus migratorius); celle de l'Afrique méridionale en est une variété. Toutes deux appartiennent au genre des orthoptères et à la famille des sauteurs.

      Quelques auteurs ont d'ailleurs nié que saint Jean mangeât des insectes, et les Abyssiniens prétendent qu'il se nourrissait de graines brunes du faux acacia, nommé par eux arbre aux sauterelles.

      – Et quel est votre avis? demanda Hendrik, qui avait foi dans l'instruction de son frère.

      – Je crois qu'il n'y a pas matière à discussion. Ce n'est qu'en torturant le sens d'un mot qu'on arrive à supposer qu'il s'agit de fruits et non d'insectes. Ce sont évidemment ces derniers que mentionne l'Ecriture. Nous avons des preuves nombreuses que du temps de Jésus-Christ les sauterelles et le miel sauvage entraient dans l'alimentation de ceux qui parcouraient le désert; et de nos jours encore ces deux mets font partie de la nourriture de plusieurs tribus nomades. Il est donc naturel d'admettre que saint Jean, habitant du désert, en suivit forcément le régime; c'est ce qui est arrivé à des voyageurs modernes en traversant les solitudes qui nous environnent.

      J'ai lu beaucoup d'ouvrages relatifs aux sauterelles; mais, puisqu'on a cité la Bible, je dois dire que je ne connais pas de description de ces insectes aussi vraie et aussi belle que celle du livre saint. Faut-il la lire, mon père?

      – Certainement, répondit le porte-drapeau, satisfait de la tournure que prenait la conversation.

      Gertrude courut à la chambre voisine et en rapporta un énorme volume relié en peau de canaa et solidifié par deux gros fermoirs de cuivre. C'était la Bible de famille; et qu'il me soit permis de faire observer à ce propos qu'on trouve presque chez tous les boors un livre semblable, car les colons hollandais sont des protestants pleins de ferveur. Leur zèle est tel, qu'ils n'hésitent pas à faire quatre fois par an un voyage de cent milles pour assister au nacht-maal ou souper des grandes fêtes solennelles. Qu'en dites-vous?

      Hans ouvrit le volume et chercha le livre du prophète Joel. La facilité avec laquelle il trouva le passage auquel il avait fait allusion prouvait que l'étude de l'Ecriture lui était familière.

      Il lut ce qui suit:

      «La sauterelle a mangé les restes de la chenille, le ver les restes de la sauterelle, et la nielle les restes du ver.

      »Réveillez-vous, hommes enivrés; pleurez et criez, vous tous qui mettez vos délices à boire du vin, parce qu'il vous sera ôté de la bouche.

      »Car un peuple fort et innombrable vient fondre sur ma terre. Ses dents sont comme les dents d'un lion.

      »Il réduira ma vigne en un désert; il arrachera l'écorce de mes figuiers, il les dépouillera de toutes leurs figues, et leurs branches demeureront toutes sèches et toutes nues.

      »Pleurez comme une jeune femme qui se revêt d'un sac pour pleurer celui qu'elle avait épousé étant fille.

      »Les oblations du blé et du vin sont bannies de la maison du Seigneur; les prêtres, les ministres du Seigneur pleurent.

      »Pourquoi les bêtes se plaignent-elles? pourquoi les bœufs font-ils retentir leurs mugissements, sinon parce qu'ils ne trouvent rien à paître et que les troupeaux, même de brebis, périssent comme eux?

      »Jour de ténèbres et d'obscurités, jour de nuages et de tempêtes! comme la lumière du matin se répand en un instant sur les montagnes, ainsi un peuple nombreux et puissant se répandra tout d'un coup sur toute la terre.

      »Il est précédé d'un feu dévorant, et suivi d'une flamme qui brûle tout. La campagne qu'il a trouvée comme un Eden n'est, après lui, qu'un désert affreux, et nul n'échappe à sa violence.

      »A les voir marcher, on les prendrait pour des chevaux de combat, et ils s'élanceront comme des cavaliers.

      »Ils sauteront sur le sommet des montagnes avec un bruit semblable à celui des chariots armés et d'un feu qui brûle de la paille sèche; et ils s'avanceront comme une puissante armée qui se prépare au combat.

      »Les peuples, à leur approche, trembleront d'effroi; on ne verra partout que des visages ternis et plombés.

      »Ils courront comme de vaillants soldats, ils monteront sur les murs comme des hommes de guerre; ils marcheront serrés dans leurs rangs, sans que jamais ils quittent leur route.

      »Ils ne se presseront point les uns les autres; chacun gardera la place qui lui a été marquée; ils se glisseront par les moindres ouvertures, sans avoir besoin de rien abattre.

      »Ils pénétreront dans les villes; ils courront sur les remparts; ils monteront jusqu'au haut des maisons, et ils entreront par les fenêtres comme un voleur.

      »La terre tremblera devant eux, les cieux seront ébranlés, le soleil et la lune seront obscurcis, et on ne verra plus l'éclat des étoiles.»

      L'ignorant Swartboy lui-même fut frappé de la beauté poétique de cette description; mais, tout en admirant les inspirations de Joel, il voulut aussi dire son mot sur les sauterelles.

      – Le Bosjesman ne craint pas les sauterelles. Il n'a ni jardin, ni maïs, ni sarrasin,


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