Le Docteur Pascal. Emile Zola

Le Docteur Pascal - Emile Zola


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absorbé dans ses images, que tout ce monde ne le dérangeait pas.

      – Mon petit chéri, c'est ton père, ce monsieur… Embrasse-le.

      Et tous, dès lors, s'occupèrent de Charles. Il était très joliment mis, en veste et en culotte de velours noir, soutachées de ganse d'or. D'une pâleur de lis, il ressemblait vraiment à un fils de ces rois qu'il découpait, avec ses larges yeux pâles et le ruissellement de ses cheveux blonds. Mais ce qui frappait surtout, en ce moment, c'était sa ressemblance avec Tante Dide, cette ressemblance qui avait franchi trois générations, qui sautait de ce visage desséché de centenaire, de ces traits usés, à cette délicate figure d'enfant, comme effacée déjà elle aussi, très vieille et finie par l'usure de la race. En face l'un de l'autre, l'enfant imbécile, d'une beauté de mort, était comme la fin de l'ancêtre, l'oubliée.

      Maxime se pencha pour mettre un baiser sur le front du petit; et il avait le coeur froid, cette beauté elle-même l'effrayait, son malaise grandissait dans cette chambre de démence, où soufflait toute une misère humaine, venue de loin.

      – Comme tu es beau, mon mignon!.. Est-ce que tu m'aimes un peu?

      Charles le regarda, ne comprit pas, se remit à ses images.

      Mais tous restèrent saisis. Sans que l'expression fermée de son visage eût changé, Tante Dide pleurait, un flot de larmes roulait de ses yeux vivants sur ses joues mortes. Elle ne quittait toujours pas l'enfant du regard, et elle pleurait lentement, à l'infini.

      Alors, ce fut, pour Pascal, une émotion extraordinaire. Il avait pris le bras de Clotilde, il le serrait violemment, sans qu'elle pût comprendre. C'était que, devant ses yeux, s'évoquait toute la lignée, la branche légitime et la branche bâtarde, qui avaient poussé de ce tronc, lésé déjà par la névrose. Les cinq générations étaient là en présence, les Rougon et les Macquart, Adélaïde Fouque à la racine, puis le vieux bandit d'oncle, puis lui-même, puis Clotilde et Maxime, et enfin Charles. Félicité comblait la place de son mari mort. Il n'y avait pas de lacune, la chaîne se déroulait, dans son hérédité logique et implacable. Et quel siècle évoqué, au fond du cabanon tragique, où soufflait cette misère venue de loin, dans un tel effroi, que tous, malgré l'accablante chaleur, frissonnèrent!

      – Quoi donc, maître? demanda tout bas Clotilde tremblante.

      – Non, non, rien! murmura le docteur. Je te dirai plus tard.

      Macquart, qui continuait seul à ricaner, gronda la vieille mère. En voilà une idée, de recevoir les gens avec des larmes, quand ils se dérangeaient pour vous faire une visite! Ce n'était guère poli. Puis, il revint à Maxime et à Charles.

      – Enfin, mon neveu, vous le voyez, votre gamin. N'est-ce pas qu'il est joli et qu'il vous fait honneur tout de même?

      Félicité se hâta d'intervenir, très mécontente de la façon dont tournaient les choses, n'ayant plus que la hâte de s'en aller.

      – C'est sûrement un bel enfant, et qui est moins en retard qu'on ne croit. Regarde donc comme il est adroit de ses mains… Et tu verras, lorsque tu l'auras dégourdi, à Paris, n'est-ce pas? autrement que nous n'avons pu le faire à Plassans.

      – Sans doute, sans doute, murmura Maxime. Je ne dis pas non, je vais y réfléchir.

      Il restait embarrassé, il ajouta:

      – Vous comprenez, je ne suis venu que pour le voir… Je ne peux le prendre maintenant, puisque je dois passer un mois à Saint-Gervais. Mais, dès mon retour à Paris, je réfléchirai, je vous écrirai.

      Et, tirant sa montre:

      – Diable! cinq heures et demie… Vous savez que, pour rien au monde, je ne veux manquer le train de neuf heures.

      – Oui, oui, partons, dit Félicité. Nous n'avons plus rien à faire ici.

      Macquart, vainement, s'efforça de les attarder, avec toutes sortes d'histoires. Il contait les jours où Tante Dide bavardait, il affirmait qu'un matin il l'avait trouvée en train de chanter une romance de sa jeunesse. D'ailleurs, lui n'avait pas besoin de la voiture, il ramènerait l'enfant à pied, puisqu'on le lui laissait.

      – Embrasse ton papa, mon petit, parce qu'on sait bien quand on se voit, mais on ne sait jamais si l'on se reverra!

      Du même mouvement surpris et indifférent, Charles avait levé la tête, et Maxime troublé lui posa un second baiser sur la front.

      – Sois bien sage et bien beau, mon mignon… Et aime-moi un peu.

      – Allons, allons, nous n'avons pas de temps à perdre, répéta Félicité.

      Mais la gardienne rentrait. C'était une grosse fille vigoureuse, attachée spécialement au service de la folle. Elle la levait, la couchait, la faisait manger, la nettoyait, comme une enfant. Et tout de suite elle se mit à causer avec le docteur Pascal, qui la questionnait. Un des rêves les plus caressés du docteur était de traiter et de guérir les fous par sa méthode, en les piquant. Puisque, chez eux, c'était le cerveau qui périclitait, pourquoi des injections de substance nerveuse ne leur donneraient-elles pas de la résistance, de la volonté, en réparant les brèches faites à l'organe? Aussi, un instant, avait-il songé à expérimenter la médication sur la vieille mère; puis, des scrupules lui étaient venus, une sorte de terreur sacrée, sans compter que la démence, à cet âge, était la ruine totale, irréparable. Il avait choisi un autre sujet, un ouvrier chapelier, Sarteur, qui se trouvait depuis un an à l'Asile, où il était venu lui-même supplier qu'on l'enfermât, pour lui éviter un crime. Dans ses crises, un tel besoin de tuer le poussait, qu'il se serait jeté sur les passants. Petit, très brun, le front fuyant, la face en bec d'oiseau, avec un grand nez et un menton très court, il avait la joue gauche sensiblement plus grosse que la droite. Et le docteur obtenait des résultats miraculeux sur cet impulsif, qui, depuis un mois, n'avait pas eu d'accès. Justement, la gardienne, questionnée, répondit que Sarteur, calmé, allait de mieux en mieux.

      – Tu entends, Clotilde! s'écria Pascal ravi. Je n'ai pas le temps de le voir ce soir, nous reviendrons demain. C'est mon jour de visite… Ah! si j'osais, si elle était jeune encore…

      Ses regards se reportaient sur Tante Dide. Mais Clotilde, qui souriait de son enthousiasme, dit doucement:

      – Non, non, maître, tu ne peux refaire de la vie… Allons, viens. Nous sommes les derniers.

      C'était vrai, les autres étaient sortis déjà. Macquart, sur le seuil, regardait s'éloigner Félicité et Maxime, de son air de se ficher du monde. Et Tante Dide, l'oubliée, d'une maigreur effrayante, restait immobile, les yeux de nouveau fixés sur Charles, au blanc visage épuisé, sous sa royale chevelure.

      Le retour fut plein de gêne. Dans la chaleur qui s'exhalait de la terre, le landau roulait pesamment. Au ciel orageux, le crépuscule s'épandait en une cendre cuivrée. Quelques mots vagues furent échangés d'abord; puis, dès qu'on fut entré dans les gorges de la Seille, toute conversation tomba, sous l'inquiétude et la menace des roches géantes, dont les murs semblaient se resserrer. N'était-ce point le bout du monde? n'allait-on pas rouler à l'inconnu de quelque gouffre? Un aigle passa, jeta un grand cri.

      Des saules reparurent, et l'on filait au bord de la Viorne, lorsque Félicité reprit, sans transition, comme si elle eût continué un entretien commencé:

      – Tu n'as aucun refus à craindre de la mère. Elle aime bien Charles, mais c'est une femme très raisonnable, et elle comprend parfaitement que l'intérêt de l'enfant est que tu le reprennes. Il faut t'avouer, en outre, que le pauvre petit n'est pas très heureux chez elle, parce que, naturellement, le mari préfère son fils et sa fille… Enfin, tu dois tout savoir.

      Et elle continua, voulant sans doute engager Maxime et tirer de lui une promesse formelle. Jusqu'à Plassans, elle parla. Puis, tout d'un coup, comme le landau était secoué sur le pavé du faubourg:

      – Mais, tiens! la voilà, la mère… Cette grosse blonde, sur cette porte.

      C'était au seuil d'une boutique de bourrelier, où pendaient des harnais et des licous. Justine prenait le frais, sur une chaise, en tricotant


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