Mémoires de Constant, premier valet de chambre de l'empereur, sur la vie privée de Napoléon, sa famille et sa cour. Louis Constant Wairy

Mémoires de Constant, premier valet de chambre de l'empereur, sur la vie privée de Napoléon, sa famille et sa cour - Louis Constant Wairy


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vive Bonaparte! vive le premier consul! ne cessèrent qu'après qu'il eut remonté dans ses appartemens.

      Les conspirateurs qui s'obstinaient avec tant d'acharnement à attaquer les jours du premier consul n'auraient pu choisir une époque où les circonstances eussent été plus contraires à leurs projets qu'en 1800 et 1801; car alors on aimait le premier consul non-seulement pour ses hauts faits militaires, mais encore et surtout pour les espérances de paix qu'il donnait à la France. Ces espérances furent bientôt réalisées. Au premier bruit qui se répandit que la paix avait été conclue avec l'Autriche, la plupart des habitans de Paris se rendirent sous les fenêtres du pavillon de Flore. Des bénédictions, des cris de reconnaissance et de joie se firent entendre; puis des musiciens rassemblés pour donner une sérénade au chef de l'état finirent par se former en orchestres, et les danses durèrent toute la nuit. Je n'ai rien vu de plus singulier ni de plus gai que le coup d'œil de cette fête improvisée.

      Lorsque, au mois d'octobre, la paix d'Amiens ayant été conclue avec l'Angleterre, la France se trouva délivrée de toutes les guerres qu'elle soutenait depuis tant d'années et au prix de tant de sacrifices, on ne saurait se faire une idée des transports qui éclatèrent de toutes parts. Les décrets qui ordonnaient soit le désarmement des vaisseaux de guerre, soit l'organisation des places fortes sur le pied de paix, étaient accueillis comme des gages de bonheur et de sécurité. Le jour de la réception de lord Cornwallis, ambassadeur d'Angleterre, le premier consul déploya la plus grande pompe. «Il faut, avait-il dit la veille, montrer à ces orgueilleux Bretons que nous ne sommes pas réduits à la besace.» Le fait est que les Anglais, avant de mettre le pied sur le continent français, s'étaient attendus à ne trouver partout que ruines, disette et misère. On leur avait peint la France entière sous le jour le plus triste, et ils s'étaient crus au moment de débarquer en Barbarie. Leur surprise fut extrême quand ils virent combien de maux le premier consul avait déjà réparés en si peu de temps, et toutes les améliorations qu'il se proposait d'opérer encore. Ils répandirent dans leur pays le bruit de ce qu'ils appelaient eux-mêmes les prodiges du premier consul, et des milliers de leurs compatriotes s'empressèrent devenir en juger parleurs propres yeux. Au moment où lord Cornwallis entra dans la grande salle des ambassadeurs, avec les personnes de sa suite, la vue de tous ces Anglais dut être frappée de l'aspect du premier consul, entouré de ses deux collègues, de tout le corps diplomatique et d'une cour militaire déjà brillante. Au milieu de tous ces riches uniformes, le sien était remarquable par sa simplicité; mais le diamant appelé le Régent, qui avait été mis en gage sous le directoire, et depuis quelques jours dégagé par le premier consul, étincelait à la garde de son épée.

      CHAPITRE VII

      Le roi d'Étrurie.—Madame de Montesson.—Le monarque peu travailleur.—Conversation à son sujet entre le premier et le second consul.—Un mot sur le retour des Bourbons.—Intelligence et conversation de don Louis.—Traits singuliers d'économie.—Présent de cent mille écus et gratification royale de six francs.—Dureté de don Louis envers ses gens.—Hauteur vis-à-vis d'un diplomate, et dégoût des occupations sérieuses.—Le roi d'Étrurie installé par le futur roi de Naples.—La reine d'Étrurie.—Son peu de goût pour la toilette.—Son bon sens.—Sa bonté.—Sa fidélité à remplir ses devoirs.—Fêtes magnifiques chez M. de Talleyrand.—Chez madame de Montesson.—À l'hôtel du ministre de l'intérieur, le jour anniversaire de la bataille de Marengo.—Départ de Leurs Majestés.

      Au mois de mai 1801 arriva à Paris, pour de là se rendre dans son nouveau royaume, le prince de Toscane, don Louis Ier, que le premier consul venait de faire roi d'Étrurie. Il voyageait sous le nom de comte de Livourne, avec son épouse l'infante d'Espagne Marie-Louise, troisième fille de Charles IV. Malgré l'incognito que, d'après le titre modeste qu'il avait pris, il paraissait vouloir garder, peut-être à cause du peu d'éclat de sa petite cour, il fut aux Tuileries accueilli et traité en roi. Ce prince était d'une assez faible santé, et tombait, dit-on, du haut-mal. On l'avait logé à l'hôtel de l'ambassade d'Espagne, ancien hôtel Montesson, et il avait prié madame de Montesson, qui habitait l'hôtel voisin, de lui permettre de faire rétablir une communication condamnée depuis long-temps. Il se plaisait beaucoup, ainsi que la reine d'Étrurie, dans la société de cette dame, veuve du duc d'Orléans, et y passait presque tous les jours plusieurs heures de suite. Bourbon lui-même, il aimait sans doute à entendre tous les détails que pouvait lui donner sur les Bourbons de France une personne qui avait vécu à leur cour et dans l'intimité de leur famille, à laquelle elle tenait même par des liens qui, pour n'être point officiellement reconnus, n'en étaient pas moins légitimes et avoués. Madame Montesson recevait chez elle tout ce qu'il y avait de plus distingué à Paris. Elle avait réuni les débris des sociétés les plus recherchées autrefois, et que la révolution avait dispersées. Amie de madame Bonaparte, elle était aimée et vénérée par le premier consul, qui désirait que l'on pensât et que l'on dît du bien de lui dans le salon le plus noble et le plus élégant de la capitale. D'ailleurs il comptait sur les souvenirs et sur le ton exquis de cette dame pour établir dans son palais et dans sa société, dont il songeait dès lors à faire une cour, les usages et l'étiquette pratiqués chez les souverains.

      Le roi d'Étrurie n'était pas un grand travailleur, et, sous ce rapport, il ne plaisait guère au premier consul, qui ne pouvait souffrir le désœuvrement. Je l'entendis un jour, dans une conversation avec son collègue M. Cambacérès, traiter fort sévèrement son royal protégé (absent, cela va sans dire). «Voilà un bon prince, disait-il, qui ne prend pas grand souci de ses très-chers et aimés sujets. Il passe son temps à caqueter avec de vieilles femmes, à qui il dit tout haut beaucoup de bien de moi, tandis qu'il gémit tout bas de devoir son élévation au chef de cette maudite république française. Cela ne s'occupe que de promenades, de chasse, de bals et de spectacles.—On prétend, observa M. Cambacérès, que vous avez voulu dégoûter les Français des rois en leur en montrant un tel échantillon, comme les Spartiates dégoûtaient leurs enfans de l'ivrognerie en leur faisant voir un esclave ivre.—Non pas, non pas, mon cher, repartit le premier consul; je n'ai point envie qu'on se dégoûte de la royauté; mais le séjour de sa majesté le roi d'Étrurie contrariera ce bon nombre d'honnêtes gens qui travaillent à faire revenir le goût des Bourbons.»

      Don Louis ne méritait peut-être pas d'être traité avec tant de rigueur, quoiqu'il fût, il faut en convenir, doué de peu d'esprit, moins encore d'agrémens. Lorsqu'il dînait aux Tuileries, il ne répondait qu'avec embarras aux questions les plus simples que lui adressait le premier consul; hors la pluie et le beau temps, les chevaux, les chiens et autres sujets d'entretien de cette force, il n'était rien sur quoi il pût donner une réponse satisfaisante. La reine sa femme lui faisait souvent des signes pour le mettre sur la bonne voie, et lui soufflait même ce qu'il aurait dû dire ou faire; mais cela ne faisait que rendre plus choquant son défaut absolu de présence d'esprit. On s'égayait assez généralement à ses dépens, mais on avait soin pourtant de ne pas le faire en présence du premier consul, qui n'aurait point souffert que l'on manquât d'égards vis-à-vis d'un hôte à qui lui-même il en témoignait beaucoup. Ce qui donnait le plus matière aux plaisanteries dont le prince était l'objet, c'était son excessive économie; elle allait à un point véritablement inimaginable; on en citait mille traits, dont voici peut-être le plus curieux.

      Le premier consul lui envoya plusieurs fois, durant son séjour, de magnifiques présens, des tapis de la Savonnerie, des étoffes de Lyon, des porcelaines de Sèvres; dans de telles occasions, Sa Majesté ne refusait rien, sinon de donner quelque légère gratification aux porteurs de tous ces objets précieux. On lui apporta, un jour, un vase du plus grand prix (il coûtait, je crois, cent mille écus); il fallut douze ouvriers pour le placer dans l'appartement du roi. Leur besogne finie, les ouvriers attendaient que Sa Majesté leur fît témoigner sa satisfaction, et ils se flattaient de lui voir déployer une générosité vraiment royale. Cependant le temps s'écoule, et ils ne voient point arriver la récompense espérée. Enfin ils s'adressent à un de messieurs les chambellans, et le prient de mettre leur juste réclamation aux pieds du roi d'Étrurie. Sa Majesté, qui n'avait pas encore cessé de s'extasier sur la beauté du cadeau et sur la magnificence du premier consul, fut on ne peut plus surprise d'une pareille demande. C'était


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